Scratch Massive, duo composé de Maud Geffray et Sébastien Chenut, revient avec la B.O. du dernier film de Zoe Cassavetes, Day Out of Days, l’histoire de la lutte d’une actrice qui vieillit dans le monde impitoyable d’Hollywood. Pour accompagner le récit de cette nostalgie d’une gloire révolue, le duo électronique s’est éloigné de son ADN techno pour produire des sons plus pop et aériens à l’image de la ville de Los Angeles – où l’album a été produit – qui s’étire à l’infini. Rencontre avec Maud Geffray.
Manifesto XXI – Ce nouvel album est la B.O. de Day Out of Days de Zoe Cassavetes. Quelle est la principale contrainte quand on crée de la musique pour un film ?
La contrainte est de tenir compte de ce que la réalisatrice veut raconter. Essayer de capter ce qu’elle a dans la tête tout en amenant une vision qui nous est propre.
Manifesto XXI – Quelle ambiance vouliez-vous retranscrire dans cet album ?
Il y a un élément de nostalgie, c’est sûr. Le film raconte la vie d’une femme qui est confrontée à la détresse de sa vie. À quarante ans, elle est à une époque charnière de son existence à Hollywood, univers impitoyable où, à son âge, toute actrice est bonne à jeter. On comprend qu’elle a eu beaucoup de succès auparavant mais qu’aujourd’hui elle est seule, elle doute dans cette grande ville qu’est Los Angeles. Avec la musique, on ne voulait pas forcément suivre toutes les scènes du film, qu’elles soient drôles ou tristes, mais plutôt représenter la voix de l’actrice principale, son intériorité mêlée à ce grand espace qui l’entoure, où elle est un peu perdue et ressent un certain spleen.
Manifesto XXI – Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec Zoe Cassavetes. Comment s’est passée la rencontre ?
On l’a rencontrée à New York il y a pas mal d’années, dans l’idée de faire une collaboration. Il était question qu’elle nous fasse un clip. Puis très vite on s’est retrouvé à faire la musique d’un premier long-métrage qu’elle avait fait.
Manifesto XXI – Vous avez tous les deux étudié le cinéma, c’était important pour vous de réaliser des musiques de film ?
Le cinéma et la musique sont deux moyens d’expression qu’on aime beaucoup, et travailler l’un avec l’autre les nourrit. La musique est une activité un peu solitaire, on est toujours seul avec ses ordinateurs donc c’est agréable et enrichissant de travailler à plusieurs sur un film.
Manifesto XXI – Vous avez enregistré l’album à Los Angeles. C’est la première fois que vous travaillez en Californie ?
Maintenant on a un studio là-bas parce que Sébastien habite à LA depuis plus de deux ans, donc on a aussi produit le prochain album de Scratch Massive là-bas, il sortira en 2017.
Manifesto XXI – Comment la ville vous a-t-elle influencés ?
Le film se passe à LA, donc en étant sur place on a pu baigner dans l’univers de l’actrice principale. La notion d’espace n’a rien à voir, tout est très bas, très grand. Il y avait des montagnes à côté de notre studio donc on était assez proche de la nature. Ça amène une certaine spatialité et une atmosphère à la musique sans forcément qu’on s’en rende compte.
Manifesto XXI – Le fait que cet album soit beaucoup plus pop que les précédents est une volonté de Scratch Massive, ou c’est uniquement lié à l’exercice de la B.O. de film ?
C’était vraiment par rapport à ce film-là, on avait envie de lui donner une couleur pop, d’accentuer ce que l’on ressentait sur la ville. Le film n’insiste pas beaucoup sur la grandeur de Los Angeles mais on la ressent en permanence et on voulait retranscrire ça. D’ailleurs notre prochain album, que l’on a produit en même temps, a aussi beaucoup d’éléments de spatialité.
Manifesto XXI – Venons-en à la genèse de Scratch Massive. Comment vous êtes-vous rencontrés avec Sébastien ?
On s’est rencontré en rave party à La Baule. Sébastien venait d’Angers, moi de Saint-Nazaire, et on était dans les mêmes fêtes l’été. Lui commençait à mixer un peu. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la techno. Je me suis dit que c’était génial, une sorte d’échappatoire à la monotonie de ma vie à Saint-Nazaire. C’était une incroyable ouverture sur le monde puisque ça réunissait tellement de gens. Quand les gars arrivaient avec leurs disques pour mixer je ne savais même pas ce qu’ils faisaient. J’ai mis un mois à comprendre ce que faisait le DJ, c’était fascinant et mystérieux.
Manifesto XXI – Cette culture rave que tu as côtoyée, tu l’as mise en image avec le clip de « 1994 ». Que penses-tu du revival des raves, du gabber et de tout code vestimentaire issu du monde de la nuit dans les années 1990 ?
Il y a d’un côté la tentative désespérée des marques d’essayer de refaire des raves : no comment, ça n’a pas de sens. Même s’ils essaient, personne n’est dupe, ça ne prend pas. À coté de ça, il y a toute une scène qui pousse dans Paris et ses alentours. Je pense à la Péripate ou à la Station. Je trouve ça hyper marrant ce côté « à l’arrache » ; et un peu comme en rave, on n’attend pas qu’on nous dise de faire les choses. On pose un son avec les moyens du bord. C’est un coup de fouet pour Paris, on est quand même habitué à cette société de salon et là on commence à pousser les murs avec un périph qui éclate. Pour avoir vu Paris très enfermé dans son intramuros éternel, je me demandais comment on allait en sortir. La nouvelle génération se réapproprie les choses à sa sauce.
Manifesto XXI – Tu as un avis à donner sur les soirées que tu trouves pertinentes en Île-de-France ?
Il y a les soirées Wet for Me que je trouve toujours très réussies. J’avais beaucoup aimé y jouer au Cabaret Sauvage, une salle que j’adore. Sinon j’ai découvert récemment la Station que j’ai trouvé pas mal.
Manifesto XXI – En parlant de Wet for Me, comment vous êtes-vous retrouvés à jouer au Pulp il y a plus de dix ans ?
En y allant un soir, Seb – qui peut être assez culotté – a dit aux filles du Pulp : « Vous voulez pas qu’on fasse une soirée ? ». C’était très à la cool. On avait fait une première soirée avec Jennifer Cardini et Sex Toy. Au début c’était la panique, on se demandait si la salle serait vide, mais finalement c’était génial.
Manifesto XXI – Ça représentait quelque chose pour vous de jouer dans une boîte lesbienne mythique ?
À l’époque ce n’était pas mythique. C’était un club lesbien qui commençait à s’ouvrir un peu parce que Mimi avait envie de faire des choses plus festives. Du coup le jeudi c’était la soirée plus électro. Quand on a démarré ces soirées-là, c’était vraiment le début et ça a pris de l’ampleur au fil des années. On voyait le phénomène grossir, c’était rigolo. Nous on faisait ça une fois par mois en se relayant avec Kill the DJ par exemple.
Manifesto XXI – Ça vous a ouvert des portes cette résidence au Pulp ?
Sur le moment on ne se rend pas compte que ça va devenir important dans la tête des gens. Évidemment, à un moment ça a franchi les frontières, il y avait des échos de ce petit club et ça nous permettait de faire venir des gens qui normalement prenaient des gros cachets et qui acceptaient de jouer pour presque rien au Pulp. Les autres clubs faisaient la gueule d’ailleurs, parce que parfois ils programmaient des artistes qui préféraient jouer au Pulp pour 200 boules à la dernière minute. Ça faisait un peu les Gaulois, le petit club qui fout le bordel (rires).
C’est vraiment là-bas que j’ai appris à mixer, la première soirée j’étais en panique. Mais dans ce club-là on pouvait se permettre d’apprendre sur le tas.
Manifesto XXI – Sébastien vit à Los Angeles, tu penses à partir aussi ?
Évidemment c’est toujours mieux ailleurs, dès qu’on en a un peu marre de Paris on est tenté de partir. Finalement, une fois qu’on y est, on recommence à être nostalgique de la France. Je pense que j’ai un équilibre assez chouette en ce moment, qui me convient, entre Paris et Los Angeles.
Manifesto XXI – Du coup maintenant vous êtes vegan et vous buvez des jus verts ?
Oui (rires). Quand j’étais là-bas, au début je me foutais de leur gueule, mais la dernière fois j’avais envie de me détoxifier et j’ai fait trois jours de jus ! Bon, je ne suis pas vegan mais je me rapproche plus de ce mode d’alimentation que d’un plat de saucisses aux lentilles. Là-bas il y a deux civilisations qui s’affrontent : d’un côté la partie très healthy avec des petits marchés bio, et de l’autre la malbouffe extrême. On est obligé d’aller vers l’hyper sain sinon c’est dégueulasse (rires).
Manifesto XXI – Et la scène techno à Los Angeles, elle vaut le coup ?
Il n’y a pas beaucoup de techno là-bas. En musique électronique ils font des sortes de raves, avec un gros smiley et l’entrée à vingt balles. On sent que la genèse de la musique électronique ne s’est pas faite aux États-Unis.
La soundtrack de Day Out of Days sort le 21 octobre prochain sur bORDEL et Record Makers.
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