En suivant deux troupes qui reprennent des pièces majeures de l’œuvre de la célèbre chorégraphe Pina Bausch, Florian Heinzen-Ziob signe un magnifique film, émouvant par sa bienveillance et sa beauté, tant visuelle que philosophique.
Pina Bausch, on peut le dire sans trop de prudence, a largement participé à construire la danse contemporaine. Danseuse et chorégraphe incontournable de son époque, elle laisse aujourd’hui un héritage qui influence nos façons d’aborder la danse, en pratique et en théorie. C’est à cet héritage que le documentaire Dancing Pina rend hommage, et le perpétue.
École des sables, près de Dakar. Une scène, grande ouverte sur une forêt de cimes. Des danseur·euses, venu·es de 14 pays d’Afrique reprennent Le Sacre du Printemps. À quelques milliers de kilomètres, au Semperoper, à Dresde en Allemagne, on reprend Iphigénie en Tauride. Deux pièces majeures de Pina, montées à nouveau, sous la direction d’ancien·nes danseur·euses du Tanztheater, sa troupe. Nous suivons ces deux groupes – dans ce que le mot groupe a de plus essentiel – qui, fouillant dans les mémoires individuelles et collectives, cherchent à comprendre et reproduire ces chorégraphies majestueuses où se jouent la philosophie du sacrifice et les rapports entre hommes et femmes.
Il s’agit de reconstruire une mémoire. Dancing Pina se déroule comme une réflexion sur la vie d’une œuvre, sur sa façon de traverser le temps et les gens. Que reste-t-il, dans les cœurs de celleux qui campaient les rôles principaux, des indications de la chorégraphe décédée en 2009 ? Comment retranscrire ses intentions, sa vision de la danse, sa mise en scène ? Et comment se la réapproprier ? La magie de Pina Bausch tenait dans son attachement aux imperfections, sa capacité à laisser aux danseur·euses la place d’être elleux-mêmes au sein de ces chorégraphies, d’être des individu·es entier·es au sein du groupe. Il faudra les faire siennes, pour les comprendre. « Si c’était une copie, ce ne serait pas du Pina » affirme l’une de ses anciennes collaboratrices.
Parce que la plus grande œuvre de Pina a été de léguer à toute une génération de danseur·euses la capacité de s’émanciper des diktats autour des corps. Petite, elle se cache sous les tables du bistrot de l’hôtel tenu par ses parents et dans lequel elle a grandi. Là, protégée des regards et à hauteur de genoux, elle observe les gens. C’est précisément cet amour et cette fascination pour l’humain qui va construire toute sa philosophie de la danse. Toute sa vie, elle ira à l’encontre d’une danse qui bafoue, écrase, questionne ou critique les corps des danseuses et la masculinité des hommes. La force de ce documentaire réside justement dans sa capacité à perpétuer cet effort. Florian Heinzen-Ziob filme et écoute ces femmes et ces hommes qui, au fil des répétitions et de cette transmission, se réapproprient leur corps, comme espace intime et politique pour aller vers le renouement. Iels parlent d’elleux, des autres, de leurs complexes, de leurs fiertés, de toutes ces choses que danser du Pina Bausch remue et remet en question.
Dancing Pina est avant tout à l’image du travail de la chorégraphe : d’une grande beauté, émouvant de sincérité, intime et universel, et mû par un amour immense de la danse comme espace de liberté et d’émancipation. Avec ce film, Florian Heinzen-Ziob entretient avec brio l’héritage de Pina Bausch.