Chez Manifesto XXI, on a voulu savoir ce qui poussait les gens exclus de la mode parisienne à se mettre tel ou tel vêtement sur le dos. Pourquoi donc ? Sans doute par saturation des street styles assommants de stéréotypes et de placements de produits qui défilent dans les magasines et autres blogs.
Du coup, j’ai été mandatée pour explorer des contrées plus ou moins reculées à la recherche d’autres visions du vêtement. Je me balade donc en France pour découvrir les goûts et les conceptions de la mode qui peuplent le territoire. Alors, qu’est-ce que se saper signifie aujourd’hui ? Peut-on réellement être hors d’un système de mode ? Pourquoi se passionne-t-on pour le rétro ? Ça veut dire quoi, dans la mode, être punk ?
Ici, je te parle alternative textiles, je te parle contre-courant du style, je te parle contre-idées de la mode.
Pour ce premier chapitre des Contre-idées de la mode, on est partis faire un tour en Bourgogne, et c’est à Dijon qu’on a rencontré Maxime, qui travaille dans le BTP et qui a bien voulu nous parler de fringues, de normcore et de Cristina Cordula.
Salut Maxime ! Tu veux bien te présenter ?
Je m’appelle Maxime, j’ai 26 ans, je travaille depuis six ans à la communauté de communes de Gevrey-Chambertin en tant que canalisateur.
Qu’est-ce que tu portes maintenant ?
Là, je suis en jogging et T-shirt.
J’ai choisi ça parce que ce sont des habits détente que je mets pour me rendre au travail et que je renfile le soir pour rentrer chez moi.
Pourquoi tu as choisi ces vêtements ?
Je choisis mes vêtements en fonction de la météo et de l’endroit où je dois me rendre.
Sur quels critères tu choisis un vêtement en général ? Tu as une marque préférée ?
Non je n’ai pas de préférence sur les marques de mes habits. Je les choisis parce que je les trouve bien.
Est-ce que tu pourrais t’identifier aux normcores (c’est-à-dire à un mouvement dans la mode qui refuse les choses dites artificielles et qui du coup préfère des vêtements basiques, choisis par confort, robustesse, et goût de la simplicité, ndlr) ?
On m’a mis cette étiquette de normcore, notamment Marion et Piot (des amis de Maxime, ndlr), et je pense qu’ils ont raison. Je suis normcore.
Quand on parle de mode, qu’est-ce que ça t’évoque ?
La mode m’évoque Cristina Cordula et le fait d’appartenir à un groupe.
Ça t’intéresse ? Pourquoi ?
Ça ne m’intéresse aucunement parce qu’il y a beaucoup de choses plus intéressantes que la façon de s’habiller.
Merci beaucoup d’avoir bien voulu répondre mec !
Bon, il me semble qu’il y a un paquet de trucs intéressants dans cet entretien (et pas uniquement les photos collectors que Maxime a bien voulu me donner).
J’ai été frappée, et pas qu’un peu, par la définition de la mode de Maxime : un joyeux mélange entre Cristina Cordula et « le fait d’appartenir à un groupe ». Plutôt détonnant. Et étonnamment juste : déjà en 1905, Georg Simmel (philosophe allemand rpz) soulignait dans sa Philosophie de la mode la fonction identitaire du vêtement. D’un côté, il distingue, il singularise l’individu qui le porte de ses congénères (cf. le combo moumoutes violettes + gesticulations d’épileptique sous acide de Cricri). De l’autre, il assimile, il nous permet de montrer notre appartenance à un groupe social en adoptant ses codes vestimentaires. Oui. Les Stan Smiths sont un moyen d’intégration sociale. Désolée.
Cette ambivalence se retrouve dans le positionnement de Maxime par rapport à cette définition. Il se désintéresse de la mode, jugée frivole et préfère considérer le vêtement dans sa dimension utilitaire.
On retrouve là une distinction un peu étrange à mon sens : l’esthétique du vêtement est dissociée de sa fonction d’usage.
Malgré tout, notre interviewé connaît le normcore qui est plutôt une tendance de niche.
Ce qui marque particulièrement dans cet entretien, c’est donc une certaine forme de contradiction.
Alors, les Français sont-ils tous schizo face à la mode ?
L’enquête continue…
Par Juliette Payrard