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Cœur. La trap enragée des amours perdues

Cœur. La trap enragée des amours perdues

Cœur est une artiste qui bat la chamade parée d’une robe de mariée. Entourée de ses « minouches », elle évolue dans un univers rap punk d’un lyrisme endiablé, ou trap love d’un romantisme effréné, au choix. Ensemble, on a parlé rap et féminisme, intensité et sobriété, drag queens et enfance.

Charlie Dirty Duran, la moitié de Schlaasss, trace une route parallèle à celle de son duo punk trash. Un side project sans bite ni couteau : Cœur. Cœur célèbre les amours brisées dans une trap romantico-théâtrale premier degré, accoutrée dans ses clips en plan séquence d’une robe de mariée.

Avec ses élégies rappées, une voix de petite fille énervée et un univers visuel singulièrement déjanté, Cœur remplit un vide dans la poitrine musicale de la France. Le genre de princesse moderne sulfureuse et enragée qui manquait, et dont on a parfois terriblement besoin.

« Le Club Des Thugs Brisé.e.s est en marche » ! Cœur rassemble les gens qui accompagnent le projet de près ou de loin dans sa « Minouche Mafia ». Elle écrit seule, compose avec Jérôme Donzel (le beatmaker de Schlaasss) et Nicolas Steib (Slogan, Texas Menthol). Une team improbable selon elle, entre Lyon et Paris, entre le studio Polycarpe et leur chez eux, pour un résultat organique. Kokoro (cœur en japonais) boum boum, un flow qui fait palpiter notre cardio.

Cœur et ses ‘Minouches’. © Josephine Lointaine

/ Cœur en live /

> Le 29 mars, Les Chants de Mars x le Fair (Lyon)

> Le 4 avril, Les Femmes S’en Mêlent #22 (Paris)
Sur la scène Manifesto XXI

> Le 13 avril, Vertige de la nuit #1 (Saint-Etienne)

Cœur en fleur
Cœur en fleur

Manifesto XXI : Pourquoi Cœur ?

Cœur : Parce que c’est l’organe du corps qui a été arbitrairement choisi pour représenter notre rapport à l’amour.

C’est un héritage de Schlaasss ? Ou plutôt sa cousine romantique ?

C’est la musique qui suit le flow de mon cœur. Schlaasss continue toujours, pas de malentendu. Disons que Cœur, c’est Schlaasss sans le couteau ni le point du logo, et sans Daddy Schwartz. Schlaasss et Cœur, c’est comme la vie, compliqué et génial à gérer. Ça illustre mon combat, celui de dire que des énergies différentes peuvent coexister.

Tu devais te marier, tu t’es fait planter. Tu dis qu’il te restait les yeux pour pleurer, et la robe. Alors tu la portes. Pourquoi ?

Parce qu’elle m’est restée sur les bras, et sans doute pour résoudre un obscur nœud généalogique lointain. Pour rendre justice à toutes mes arrières-arrières-mémés qui ont perdu leur énergie vitale dans un mariage avec un mec dont elles n’étaient pas amoureuses…

© Messalina Mescalina

Est-ce que la robe de mariée fait de l’énergie de Cœur une énergie moins « bonhomme » que celle de Schlaasss ? Comment tu t’es réapproprié le symbole ?

« Bonhomme », ça ne veut rien dire. Ça ne marche que dans un certain milieu – si tu demandes à un enfant de te dessiner un bonhomme, le mot prend un autre sens. Mais effectivement, je souffre d’une certaine hypersensibilité que je masque avec ma moto, ma grosse voix et mes grosses couilles [rires]. Ça fait sept ans que je fais de la musique avec Schlaasss. Il était temps d’explorer la danse classique et ma voix de tête…[rires] Qu’on associe la robe de mariée à de la féminité, ce sont des constructions. La robe versus le ton de la musique ? Non, sur nos quatorze morceaux, certains sont très rap, d’autres très doux.

La binarité, c’est pas trop mon truc.

La dichotomie violence/douceur, filles/garçons, c’est un peu ce contre quoi je lutte. Je me rends bien compte que je suis victime de plein de constructions aussi : j’ai reçu tout ce qu’on inculque aux petites filles de princesse, de femme mariée, de petit cœur et de rose. Peut-être que les générations futures ne seront pas construites là-dedans, mais ce serait ridicule et faux de dire que j’en suis complètement affranchie. Par contre ce sont pour moi des symboles d’aliénation, mais aussi d’émancipation. C’est intéressant de jouer avec ces codes. Comment tu peux les remettre à ta sauce ?  Je fais par exemple exister la mariée sans mari. Qu’elle soit bien, qu’elle ait des galères, qu’elle continue sans mec ou avec et qu’elle s’en batte les couilles.

Avec Cœur, à fond le lyrisme ?

Ouais la vie est trop courte pour ne pas en faire une comédie espagnole.

C’est quoi la différence avec le romantisme ?

Le lyrisme ça me rappelle un peu l’école, et le mot n’est pas hyper joli. Dans « romantisme », il y a le mot « romance », et ça c’est classe. C’est la capacité de créer les fictions qui t’arrangent à partir de la réalité. J’adore cette vibe. J’adore les actes chevaleresques et fous. J’adore les chansons d’amour. Le mariage, les déclarations d’amour folles, on sait que ça ne va pas durer pour toujours.

On sait que la vie est plus compliquée. Mais putain, branlons-nous avec les mots… Ils sont là pour ça aussi.

Fini de cultiver cette « débilité virile » ?

Non jamais de la vie. C’est trop drôle. Et puis, il n’y a pas de miracle. Je ne vais pas, d’un coup, me transformer en princesse minimaliste et manger proprement, parler doucement et découvrir que « c’était moi en fait ». Je ne crois pas à toutes ces conneries de « vrai moi ». On nous fait croire que d’autres gens savent mieux que nous-mêmes qui l’on est, et ça nous rend faibles. J’essaie déjà de suivre ce que je ressens, histoire d’avoir l’impression d’être dans la bonne voiture sur la bonne route au bon moment. Et c’est déjà un putain de taf de malade.

Tu pourrais/voudrais définir la féminité ?

Pas du tout. C’est un mot. Ça ne m’intéresse pas. On m’a suffisamment fait chier avec Schlaasss là-dessus. Avec ma féminité bitchy, ou ma virilité outrancière. Parce qu’il y aurait un modèle de « bonne féminité », qui correspond à la bourgeoise parisienne mince discrète avec un make-up nude qui passe des heures à penser à son apparence sans en avoir l’air. Un truc qui rassure les hommes. Et les femmes qui ont construit leur image dans le regard de ces hommes. Je m’en fous totalement. L’important c’est d’être créatif.

Tu fais du rap, de la trap love comme tu dis parfois. Comment se marie le rap avec le lyrisme ou avec le féminisme ?

Tout se marie avec le rap. Le rap c’est la vie. Si tu savais le nombre de morceaux de rap sur lesquels j’ai pleuré… Parler de soi, c’est courageux. Tu ne trouveras jamais un rappeur qui chante un morceau qu’il n’a pas écrit. Donc faut savoir écrire et transformer la banalité de ta petite vie de merde en un truc vibrant. Si ce n’est pas ça le lyrisme…  Il n’y a absolument rien qui ne se marie pas avec le rap.

Le rap souffre de putains de préjugés. Le rap est multiple et fractal.

Les gens qui associent le rap au machisme ce sont des gens qui ne connaissent pas le rap. Je suis très mitigée sur la critique du machisme dans le rap en particulier. Il y a aussi la misogynie latente des « rockeurs » bien élevés qui vont dire : « Oh les rappeurs ils disent qu’ils vont niquer des meufs ça craint ! », mais qui parlent en rigolant de celles qu’ils ont à moitié violé dans les loges. Comme ils ont les bons outils, ils savent à qui il faut en parler, quand il faut parler. Madame Rap avait fait une compilation de chansons ultra misogynes craignos de Brassens, des Stones etc… Y’a des mecs qui font de la musique très propre, mais derrière… Sauf qu’ils ont les codes et le bon entourage, donc ça passe.

Stigmatiser le rap, c’est un truc de classe, c’est facile.

Je ne pense pas que ce soit un milieu plus macho que les autres. Au moins, il y a ce truc de brutasse qui moi est mon langage, et qui me parle. Je préfère les dominants assumés, je sais à qui j’ai affaire et comment me positionner, c’est moins dangereux.

Comment ça bouge le rap ? 

Quand j’allais voir des concerts de rap il y a dix ans, il n’y avait que des mecs, et à la limite leurs meufs. Tout le monde était habillé pareil et ça ne dansait pas trop. Mais c’est en train de se fractionner, c’était déjà le cas dans les milieux underground que personne ne connaissait, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Amérique latine. En Espagne, il y a des meufs géniales intelligentes et bossy qui font de la trap. On est un peu à la masse en France. Mais ça commence à se mélanger, on commence à mêler les figures de hip-hop et le twerk ! [rires]

Tu t’es entourée de drag queens.

Je suis sur scène avec deux drag queens du collectif lyonnais Les DragonesMessalina Mescalina et Olek Do. Ce sont mes kokorettes, mes artères, mes danseuses. C’est un milieu plus déconstruit. Je travaille avec elles parce qu’elles dansent trop bien, parce qu’elles ont une vibe de ouf, parce que c’est ma famille. Ma Minouche Mafia. Mais ça me plait aussi dans tout ce que ça déplace, dans ce que ça peut exprimer sans que je le dise. Ce sont des gens qui m’ont beaucoup aidée dans ce projet.

© TOINE

Cœur, c’est un projet cathartique ? Tu dis dans une interview à Paulette que le plaisir pour toi c’est la musique (et le sexe). Que « l’alcool et la fête sont des palliatifs que [tu as] expérimentés, ça ne marche pas ». Comment tu te positionnes sur le débat de la drogue dans le milieu de l’art, sur la tendance de la sobriété et du décrochage ?  

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C’est quelque chose qui m’a choquée tout au long de mon parcours dans la musique. Choquée du fait que la plupart des gens qui essaient de s’émanciper et d’être transgressifs – moi la première – suivent presque toujours une deuxième énergie dans laquelle ils se dévastent. Il y a une espèce de dictature de la destruction dans la musique : tout le monde se défonce, tout le monde boit, tout le monde se drogue.

Peut-être que ce serait finalement politique de faire des trucs intenses sans se droguer ?

J’ai eu des comportement bien craignos avec l’alcool mais je n’ai jamais pris de drogue dure, mais avec ce que je fais dans Schlaasss, tout le monde croit le contraire. Après les concerts, quand je suis posée au stand de merch, on vient me dire que je suis pleine de coke, systématiquement. C’est intéressant d’associer l’intensité à la défonce. J’essaie de comprendre pourquoi.

Ma théorie du moment, qui changera sûrement, c’est que tu te punis de ne pas correspondre à un schéma. Tu valides la pensée des gens que tu dénonces en te punissant de faire ce que tu fais. Enfin, je pense que dans mon cas, c’était ça, plus ou moins.

Comment tu fais toi ?

Mon trick là-dessus, c’est faire comme les enfants. Les Minouches, c’est aussi les enfants. Je n’en ai pas pour l’instant, mais je suis entourée de beaucoup d’entre eux. Quand tu es avec eux, tu retrouves des sentiments d’ivresse gratos, tu retrouves une intensité gratos. Tu peux être complètement fou et subversif sans avoir besoin de rien prendre.

Quand tu es petit, tu es une éponge. La grosse merde du monde vient de l’enfance mal traitée. C’est le truc dont il faut s’occuper en priorité, le reste suivra.

Il peut y avoir cette lecture de mon parcours que je n’aimerais pas du tout : Schlaasss, puis assagie avec Cœur, la rédemption. C’est juste que le rapport à l’intensité me déprime. Et a failli me tuer aussi accessoirement. Mais les choses changent, il y a des rappeurs qui font des chansons sur l’eau, sur les fruits, à la place de la weed et du cognac habituels. Et c’est sexy quand même !

Tu peux être complètement fou et subversif sans avoir besoin de rien prendre.

Cœur en live à Paris pour Les Femmes s’en mêlent #22 le 4 avril prochain. © Lendohn

Ça ressemble à quoi un cœur pour toi ?

Quand j’aurai niqué le game, ça ressemblera à moi. Et ça va arriver vite.

Ce que Cœur veut dire en une phrase ?

Pas en une phrase, en un album. Si je pouvais le dire en une phrase, je ne ferais pas de musique. J’espère que l’album arrivera en 2019.

« Ah je parle mal ?  Ah je parle mal, je fais que du sale avec les mots, enchantée, toi t’as cradé toute l’histoire avec la pauvreté de ta pensée, t’as agi comme un connard sans jamais mal parler, bien joué »

Cœur et ses coups de <3 :

Vald, Kalash, Britney, Booba, Young Thug…

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