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Christa Theret : de LOL à Conann, itinéraire d’un·e acteur·ice émancipé·e

Christa Theret : de LOL à Conann, itinéraire d’un·e acteur·ice émancipé·e

Cette année, Conann de Bertrand Mandico était présenté à la Quinzaine des Cinéastes, sélection parallèle du Festival de Cannes. L’acteur·ice Christa Theret (LOL, Renoir, La Brindille), y interprète une des six versions du personnage de guerrier sanguinaire perpétuellement tué·e par son propre futur. Rencontre.

Répéré·e lors d’un casting sauvage dans la cour de récrée, Christa Theret a 11 ans lorsqu’iel fait ses premiers pas au cinéma, avec le film Le Couperet de Costa-Gravas. Quelques années plus tard, l’acteur·ice décroche le rôle principal du film LOL de Lisa Azuelos, qui le·a fera connaître du grand public et lui vaudra une première nomination au César du meilleur espoir féminin. Depuis, l’artiste a enchaîné les projets (de Renoir à La Fille du patron, en passant par Tout en haut du monde) et continue de diversifier les styles de personnages, puisqu’iel présente cette année ses deux premiers rôles queers au cinéma.

C’est ainsi qu’on le·a retrouve dans Conann, nouveau film du réalisateur Bertrand Mandico, prévu en salles le 23 novembre 2023. Celui-ci revisite la figure mythologique de Conan le Barbare, le gladiateur avide de vengeance, pour créer un univers sanglant uniquement composé de femmes, de queers et d’animaux, dans lequel six Conann se succèdent, incarnant chacun·e une tranche de vie du personnage. Si le film nous a posé quelques interrogations en matière de représentation, on était ravi·es qu’il nous fasse découvrir Christa Theret en version guerrier androgyne badass, dans le rôle de Conann nº2. L’occasion pour Manifesto XXI de discuter avec l’acteur·ice, qui espère dorénavant se tourner vers le théâtre, et interpréter au cinéma des rôles plus engagés, en particulier ceux « qui démontent le genre ».

Manifesto XXI – Aujourd’hui, ça fait déjà 15 ans que LOL est sorti. Tu en gardes quoi comme souvenir ? Quelle est la place de ce film dans ta carrière ?

Christa Theret : C’était une aventure incroyable, on était très jeunes, et je pense que Lisa Azuelos a réussi à créer un vrai groupe d’amis. C’est vrai qu’il y a cette sincérité qu’on peut sentir à l’écran. Je pense que ce film a été très important pour notre génération, après voilà. C’est vrai que pour moi ça fait longtemps, et j’ai fait pas mal de choses après. Ça a été important, mais aujourd’hui, c’est loin.

Depuis, j’ai beaucoup aimé jouer La Brindille d’Emmanuelle Millet (2011). C’était un film assez social, sur une jeune femme, Sarah, qui fait un déni de grossesse. Elle vit à Marseille, elle est assez seule, et son parcours, c’est qu’elle va accoucher sous X. C’est tout son chemin qui m’a beaucoup touché·e. De manière générale au cinéma, j’aime quand un personnage se confronte aux enjeux de son monde, et qu’on ne le sacralise pas trop.

Qu’est-ce que tu trouves beau, et moins beau, dans le métier d’acteur·ice ?

C’est vraiment comme un voyage, on habille des personnages, donc c’est assez fort, parce qu’on doit aussi éclairer des parties de nous-même. Je dirais qu’en termes psychologique et physique, on voyage. Après, je pense qu’il y a aussi beaucoup de films qui sont assez genrés. C’est pour ça que je suis aussi très heureux·se de faire partie de Conann, qui pour moi démonte le genre. Et ça fait du bien.

Ce serait super de pouvoir, un jour, ne pas avoir à se justifier par rapport à son genre.

Christa Theret

Comment tu t’es retrouvé·e sur le film de Bertrand Mandico ?

On m’a appelé·e l’été dernier pour faire un casting, c’était assez pressé. J’ai rencontré Bertrand, on a fait une improvisation et ça s’est bien passé. Je pense qu’il a vraiment su écouter. J’avais envie d’aller vers des personnages plus androgynes, et il m’y a poussé·e. On a vraiment pu composer ça ensemble.

Tu as découvert le film lors de sa première à Cannes, qu’en as-tu pensé ?

J’ai été déboussolé·e en sortant. Je pense que ça dit énormément de choses, chaque Conann apporte quelque chose à l’histoire. L’univers de Bertrand est totalement poétique, puissant, politique.

Est-ce que c’est le premier film queer dans lequel tu joues ?

J’en ai un autre qui va sortir en juillet, Luise, un film de Matthias Luthardt, un réalisateur allemand. C’est sur la rencontre entre deux femmes pendant la 1ère guerre mondiale, et l’arrivée d’un soldat, dans une forme de huis clos. Mais oui, ce sont mes premiers. 

Je pense que c’est trop rare, aujourd’hui encore. Ça été une liberté folle pour moi, de pouvoir jouer ce personnage de Conann, de pas être vu·e sous un prisme féminin, de pouvoir avoir cette gestuelle. Il y avait quelque chose de très libre. Ce serait super de pouvoir, un jour, ne pas avoir à se justifier par rapport à son genre. Et que des femmes puissent avoir des rôles de personnages masculins, par exemple.

Tu te verrais rejouer des personnages féminins, dans le futur ?

Aujourd’hui je suis en phase avec mon corps, donc je pourrais le faire. Mais c’est vrai que j’ai aussi souffert de cette représentation. Donc j’espère avoir plus de personnages comme celui de Conann.

Je pense que les lesbiennes ont pas mal été invisibilisées, donc c’est important de le dire quand on l’est.

Christa Theret

T’identifies-tu comme faisant partie du monde queer ?

Oui, bien sûr.

Quel état des lieux dresses-tu de la représentation queer au cinéma ?

Je pense qu’il n’y a pas assez de réelles personnes queers pour interpréter des personnages queers. Même si le principe de l’acteur·ice, c’est bien sûr de se changer, je trouve ça dommage. Par exemple, ça fait du bien de voir jouer un·e acteur·ice qui sait ce que c’est que de désirer une femme, ou de désirer une personne queer.

Je pense que les lesbiennes ont pas mal été invisibilisées, donc c’est important de le dire quand on l’est. Il n’y a pas assez de films qui existent et qui traitent de ce sujet, et nous sommes beaucoup d’artistes à être invisibilisé·es.

Face à cette institution qui réagit violemment, je pense qu’il faut qu’on se soutienne.

Christa Theret

Cette année, à Cannes, on ressent particulièrement ce décalage entre une culture du cinéma où on ferme les yeux sur tout, et ces nouveaux mouvements qui dénoncent de vastes abus, et revendiquent une manière autre de faire des films. On a récemment eu le geste d’Adèle Haenel, qui a décidé de quitter le cinéma pour des raisons politiques, ou la tribune d’acteur·ices dénonçant un « système dysfonctionnel »… Qu’est-ce que toi tu penses de tout ça, tu crois que ça peut changer ?

Je pense que ça peut changer, bien sûr. Adèle [Haenel] a ouvert des portes très importantes. Je pense qu’elle a commencé à faire bouger les choses, et que du coup, comme dans tout grand mouvement, il y a une opposition qui se fait sentir, et que ça fait mal. Face à cette institution qui réagit violemment, je pense qu’il faut qu’on se soutienne, pour que les choses avancent. Il faut continuer. Personnellement, je suis plus attentif·ve à comment je choisis mes projets désormais. J’ai déjà refusé des propositions pour des raisons politiques.

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Le cinéma a donc, selon toi, le pouvoir de faire changer les choses ? 

Bien sûr, on l’avait déjà vu avec l’actrice Delphine Seyrig, dans son documentaire Sois belle et tais toi. Ce qui avait été dit, c’était un premier pas, peut-être. La réalisatrice Chantal Akerman aussi… Je pense que tout ça, ce sont des liens qu’il faut joindre, et que nous sommes en train de les construire.

J’aimerais tendre vers le théâtre, et avoir au cinéma des rôles plus engagés

Christa Theret

Il y a des projets sur lesquels tu aimerais travailler, à l’avenir ?

J’aimerais bien jouer dans une pièce de Sarah Kane. C’est une femme qui écrit du théâtre. Elle était anglaise, lesbienne, elle s’est suicidée à 30 ans. Elle a écrit beaucoup de pièces incroyables, sur le genre notamment. 

J’aimerais tendre vers le théâtre, et avoir au cinéma des rôles plus engagés.

Pour finir, qu’est-ce que tu aimes faire à côté de ton métier d’acteur·ice ? 

J’écris aussi de la poésie, qui va avec des dessins, de manière un peu expérimentale. Et en ce moment, j’écris un court-métrage. 

On a hâte de découvrir ça, tu veux nous raconter l’histoire ?

Ça parle de l’errance d’une jeune femme, qui va fuir le temps d’une nuit la mort de sa mère qui est très récente, et qui va prendre un train pour aller dans un endroit où sa mère allait. Et elle va faire des rencontres, la nuit, qui vont l’amener à quelque chose.


Conann de Bertrand Mandico, avec Sandra Parfait, Elina Löwensohn, Christa Theret, Julia Riedler, Agata Buzek, Nathalie Richard, Claire Buburcq, Françoise Brion… En salles le 23 novembre 2023.

Image à la Une : still de Connan
Relecture et édition : Apolline Bazin et Benjamin Delaveau

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