Cécile Iaciancio (Instagram ici) nous avait tapé dans l’œil sur Instagram. Parmi la déferlante de selfies faussement trash des nouveaux adeptes du gabber, les zicos émergents affichant leur life de geek sur le réseau, ou encore et toujours ces putains de chats, tomber sur des dessins de presse n’était pas chose évidente. Qui poste des dessins sur Insta, sérieux ? Cécile, par exemple, dont le ton ne peut que captiver le regard. Superficialité oblige, une bite, même si tracée au crayon, attire toujours les regards. La provoc’ est un art qu’elle maîtrise avec finesse, sortant de la vulgarité pour accéder à la satire. Talent émergent de l’illustration, nous aimerions voir ses œuvres merveilleusement sales dans Le Monde (#poke). Nourrie de BD érotiques, de Charlie Hebdo et de Fluide G, Cécile Iaciancio nous raconte comment elle en est arrivé à se faire bloquer par Booba et à intimider Nadine Morano.
Question bateau pour commencer. Désolée, il faut suivre un minimum le protocole… Comment tu as commencé le dessin ?
J’ai fait une école de théâtre à Lyon, puis j’ai repris mes études à 23 ans à Strasbourg, et j’ai fait un BAC pro communication et design graphique que j’ai eu à 25. Je suis ensuite partie à Paris et j’ai fait une année à Condé en BTS design graphique. Mais j’ai arrêté en cours d’année. Je ne me voyais plus dans le design graphique, je sentais un attrait grandissant pour le dessin de presse.
Tu ne te retrouvais plus à l’école ?
L’école c’est bien pour avoir les bases, pour lancer le truc. Mais le reste ne vient pas de là. Mon style est assez personnel, je ne l’ai pas appris à l’école. J’ai suivi mes influences.
Comme qui par exemple ?
Yves Decamp. Il a un site qui s’appelle Normalicide. Jean-Louis Costes, qui fait aussi des performances. Ses dessins sont trashy et pleins de bites.
Les artistes aujourd’hui sont dans une fuite de la réalité souvent, dans une recherche d’onirisme et d’abstraction. C’est original que tu te mettes au dessin politique…
L’actualité politique me touche. Et puis, je trouve que des formes d’art comme les memes sont un mouvement d’art à part entière. Ces trucs-là véhiculent une grande force en termes de signification. C’est le moyen le plus pertinent de faire passer les messages. Dans un certain temps, on en parlera comme d’une vraie forme d’expression.
Le secret d’un meme réussi ?
Quand tu butes un peu dessus et puis tu te dis « Ah oui ! Bien joué ». Recherchés.
Il y a des allégories dans les memes ?
Bien sûr. Loin de la pop culture, il y a aussi des memes hautement symboliques.
Tu as du mal à te définir comme personne engagée politiquement ?
Au début j’avais peur qu’en me disant féministe j’allais être cataloguée comme une femme énervée et c’est tout. C’est la mauvaise image que la société véhicule de ce combat. Puis j’ai creusé, c’est aussi ma sexualité qui a fait ça, des situations qui m’ont énervée. Donc je n’ai pas choisi d’être engagée, c’est ma vie qui me le demande.
Le numérique prend une place énorme dans le quotidien. Mais toi tu préfères le crayon. Un retour à l’enfance, un truc du genre ?
J’ai bien sûr des bases en Illustrator. Certains de mes dessins sont faits sur ordi. Mais dans le crayon il y a une dimension plus spontanée. Plus physique. Il y en a de moins en moins et donc c’est encore plus intéressant de creuser.
Et oui il y a un côté enfantin dans mon approche. Certains profs m’ont encouragée à faire ça, d’autres pas du tout.
J’avais exposé mes dessins aux portes ouvertes d’une école et la directrice les a tous décrochés. J’avais dessiné deux islamistes qui s’embrassent autour d’une glace de pétrole. Ce n’était pas concevable pour elle.
Pourtant dessiner ça de manière enfantine met en avant notre naïveté et incompréhension face à ces choses-là.
Et tes parents ?
Mes parents sont dans une incompréhension totale de ce que je fais.
Ils me disent que ça ne ressemble pas du tout à la réalité. Je leur explique que ça ne m’intéresse pas du tout d’être Léonard de Vinci. J’aime le dessin d’enfant. L’autre jour, Soraya (ndlr : Soraya Daubron, aka Sentimental Rave) me montrait des dessins qu’elle avait fait, elle me disait qu’elle était nulle, qu’elle savait pas dessiner. Moi justement je trouvais ça beaucoup plus percutant que certaines œuvres plus techniques.
Ton travail est aussi un travail journalistique, qu’est-ce que tu penses de la censure ? Tu trouves qu’on est encore dans une époque qui censure beaucoup ?
Carrément. On est dans une platitude visuelle qui habitue les esprits à des choses très consensuelles, léchées. On a le droit de dire les choses sans froisser les gens.
J’avais fait un dessin sur Booba et il m’a bloquée sur Instagram.
Je reprenais des paroles d’une de ses chansons, je l’avais dessiné en meuf à côté d’une Ferrari. Il m’a bloquée.
Il a pas aimé être traité de meuf.
Je trouve surtout ça ouf qu’il ait pris la peine de me bloquer.
En France il y a pas mal de règles de bienséance, tu trouves pas ?
Oui, il y a un truc avec la propreté. Une certaine attitude bourgeoise, académique, il faut dire les choses mais pas trop non plus.
Aujourd’hui le moche est en train d’être reconnu comme le nouveau beau. Je pense au mouvement lo-fi, sur Internet notamment. Serions-nous dans l’âge de l’embourgeoisement du moche ?
Oui certainement. Après, c’est juste un mouvement d’art. C’est une époque, on vit avec. Les modes passent toujours de toute façon, seul reste le sens profond de la démarche.
L’époque, quelle vaste notion. Elle se termine quand une époque ? Quand une chose devient mainstream ou quand on n’en parle plus ?
Les deux. Dans le dessin de presse c’est différent, parce qu’on a toujours des choses à relever. Mais si on pense aux tattoos, par exemple la mode des flash tattoos, je trouve que c’est cool mais on va passer à d’autres visuels.
Tu lis Charlie Hebdo ?
Oui, des fois. Je pense que j’ai commencé à dessiner grâce aux dessins érotiques de Wolinski que mon père cachait derrière une photo de lui gamin, dans une classe d’école en Italie. Je voulais reproduire ça, mais ma mère jetait tout. Après je lis les BD Glory Owl et Fluide Glacial. J’aime les dessins surréalistes, qui n’ont aucun sens des fois.
Tu t’es beaucoup intéressée à la culture américaine. À Trump en particulier. Pourquoi ?
Si tu dois parler d’un mâle blanc occidental, tu prends Trump, c’est le modèle parfait. Il n’y a personne d’autre. C’est lui qui définit le plus ce terme. C’est lui qui incarne ce qui nous fout la mort en ce moment. Pour moi, il a tous les trucs détestables sur lesquels j’ai envie de cracher. Les États-Unis pour moi c’est une autre planète. Il y a plein de choses à dire là-dessus, en France il y a plus de décence politique quand même.
En France, quel personnage ou thématique t’inspire le plus ? Qui tu as envie de caricaturer ?
Christine Boutin, sans hésitation.
Oui. Nadine Morano le fait très bien toute seule.
Ah, Nadine Morano aussi m’a bloquée sur Instagram. Pas encore Wauquiez, mais bientôt peut-être. C’est des bourgeois, ils ont peur, c’est pour ça. Booba il joue le badass mais il a peur d’un dessin.
Tu évolues dans le dénommé milieu « queer » parisien. Est-ce que tu penses que les queer aujourd’hui sont plus visibles, réellement ? Qu’on rentre enfin dans la culture de masse ou alors on reste une niche dispersée ?
Effectivement, en étant lesbienne je ne peux que traîner dans ce milieu, car on est encore un peu obligé de le faire je pense. Tous mes potes parisiens sont queer. L’avantage de ce milieu-là c’est qu’on est proches les uns des autres et donc on se soutient beaucoup. Je trouve que les médias font un réel effort pour mettre en lumière cette scène culturelle, même si des fois ils sont maladroits. Après il faut faire attention aux modes, à que cela ne devienne pas un truc stylé du moment.
Les modes sont quand même importantes pour démocratiser certaines choses, certaines idées…
En effet, il y a des bonnes modes.
Dernière question, de tous tes dessins, duquel tu es le plus fière ?
Tous ceux qui concernent le clash de l’homme blanc hétéro. C’est le sujet qui m’énerve le plus en ce moment. Parce qu’à la base on s’en rend pas compte, on les accepte comme ils sont parce qu’on nous dit de faire comme ça. Mais c’est après que tu réalises à quel point on se soumet à des choses absurdes sans même pas en être conscientes.