Lecture en cours
Cartelle, des soirées meufs au label engagé

Cartelle, des soirées meufs au label engagé

https://soundcloud.com/user-358627252/sets/cartelle-vol1
Cartelle est un label rennais créé courant 2021 mettant à l’honneur les femmes dans les musiques actuelles. À l’occasion de leur première sortie en décembre dernier, la compilation Cartelle V1, nous avons rencontré les cofondatrices du label, Margot et Liza, aux Trans Musicales de Rennes.

Désir, rencontres et féminisme sont les trois maîtres-mots du nouveau label rennais Cartelle. Sortie en décembre 2021, leur compilation Cartelle V1 réunit douze artistes françaises dont les influences vont du punk à peine dissimulé à des sonorités acid techno en passant par du garage adolescent. Derrière ce label qui impose sur nos platines des sororités diverses et soudées, se cachent deux amies : Margot Oger (Cheap Riot et Oh no! It’s Diva) et Liza Bantegnie (À Trois sur la Plage), musiciennes depuis une dizaine et quinzaine d’années. Nous avons parlé avec elles de pressage de vinyles en temps de crise et de l’importance de rendre plus visibles les femmes dans le milieu de la musique (indépendante).

L’égalité dans la musique, c’est un peu comme la répartition des tâches ménagères dans les couples hétérosexuels, ça n’avance pas.

Liza Bantegnie, cofondatrice de Cartelle
© artwork Camille Potte

Manifesto XXI – La raison de vivre de Cartelle est de sortir exclusivement des projets produits par des femmes. Pourquoi ?

Margot Oger : C’est le résultat d’un cheminement personnel. Pendant plus de dix ans, je ne me suis pas rendu compte que j’étais une fille dans un milieu de mecs. C’est en rencontrant Victoria et les activités de l’association Salut les Zikettes en 2020 que mon regard sur la question a évolué. J’ai réalisé quelle était ma place en tant que femme dans la musique en partageant mon expérience avec mes copines musiciennes, et c’est de ce constat que le label est né.

Liza Bantegnie : Margot était batteuse dans des groupes et moi j’étais chanteuse – le cliché habituel de la nana au chant [dans un groupe à majorité masculine]. J’ai par la suite lancé un projet dans lequel je suis également instrumentiste car j’avais ce besoin de créer les choses moi-même. Ce n’est pas forcément une question que se posent les mecs avec qui je joue. Ils avancent sans se questionner. De mon côté, je ne me sentais pas légitime et c’était lié à qui je suis, soit une femme travaillant dans la musique. J’ai toujours été féministe, mais cette conscientisation-là est arrivée très tardivement. Je me disais régulièrement : « Il y a plus de filles dans la musique, il n’y a pas que des hommes cisgenres. » Alors que c’est faux, et les statistiques sont très parlantes. L’égalité dans la musique, c’est un peu comme la répartition des tâches ménagères dans les couples hétérosexuels, ça n’avance pas. Pendant le confinement, la plupart des compilations qui sortaient étaient uniquement composées de musique produite par des mecs. Je me suis dit que ce n’était pas possible ! Je n’y prêtais pas attention pendant tout ce temps et là, ça m’a sauté aux yeux. 

Margot : L’idée de base était de créer de nouveaux espaces de représentation pour participer au changement. 

Est-ce que Cartelle est un endroit au sein duquel vous questionnez ces thématiques de légitimité et de représentation ? 

Margot : Pour moi, tout fonctionne ensemble. Œuvrer à plus de représentations féminines aide les filles à se questionner sur leur légitimité. Cela crée des précédents et permet par ailleurs de se rencontrer et de se rassembler. Quand je suis arrivée à Bordeaux, je ne connaissais pas du tout Peaches & Witches, une asso qui y organise des jams en non-mixité. Il y a plein d’initiatives, autant les connaître ! Après, on va sûrement nous dire que notre projet ressemble à un one shot de « soirée meufs » dans un bar et c’est complètement assumé. L’écart est tellement énorme qu’il y a une place à prendre. Il y a des artistes super qui sortent des choses super, ou ne les sortent pas, mais ça c’est un autre souci.

Liza : Les femmes artistes existent mais sont invisibilisées de fait, car elles sont peu nombreuses. Ou alors, de temps en temps, une artiste sort du lot et est portée aux nues, mais derrière elle, on ne voit pas les autres. Cartelle n’est pas uniquement un label militant, on voulait aussi se faire plaisir. C’est un projet positif et optimiste.

Comment avez-vous choisi les artistes présentes sur votre compile ?

Margot : Dans un premier temps, il fallait qu’on soit d’accord. Il y avait les artistes qu’on aimait déjà comme Charlotte Leclerc, Kcidy, ou encore Catisfaction, Saintes, Ellah a. Thaun…

Liza : Mais il y avait aussi celles que l’on a découvertes en écoutant beaucoup de choses, en fouillant, comme Musique Chienne ou Petra Pied De Biche.

Margot : Comme on voulait sortir la compile sur format vinyle, il fallait que notre proposition tienne sur le temps d’un vinyle [40 minutes environ]. Il n’y a « que » douze artistes car le format vinyle nous tenait beaucoup à cœur. 

Comment vous positionnez-vous par rapport à la constellation des initiatives féministes dans la musique déjà existantes ? 

Liza : Au tout départ, nous avions envie de sortir une compilation pour mettre en valeur des artistes qu’on aime. Pour cela, il fallait créer un label et tout s’est alors mis en place petit à petit. La création du label permet également aux noms des artistes de circuler davantage. On connaissait le travail de l’association Salut les Zikettes, qui organise des ateliers de musiques et d’empowerment pour femmes et personnes non-binaires. C’était complémentaire avec ce qu’on faisait avec le label, alors nous avons repris une partie du projet à Rennes, en organisant des ateliers de musique en non-mixité. 

Margot : Une compilation permet de réunir au sein d’un même projet des artistes qu’on n’imagine pas forcément ensemble. Musique Chienne et Ellah a. Thaun sont quand même assez différentes !

Liza : Par ailleurs, je n’ai jamais été dans la logique de « chapelles musicales ». J’ai toujours adoré les soirées où tu peux tomber sur des projets musicaux hyper variés. Le travail autour de cette compile n’est pas uniquement militant et n’a pas la vocation sociologique de proposer un échantillonnage représentatif de ce qui se fait comme musique sur le territoire français. On a ensuite invité Camille Potte à penser le graphisme et on a joint une affiche au vinyle, imprimée par Félicité Landrivon, pour donner plus de matérialité et un côté sympathique au support physique.

La sortie de la compile Cartelle V1 a été retardée par la crise des matières dans l’industrie du vinyle. Comment cela impacte-t-il la réflexion autour de votre projet ?

Liza : On a accusé un gros retard de livraison. C’est un peu un classique mais je crois qu’on bat des records, avec quasiment six mois de retard. Au-delà de l’aspect très frustrant, c’est un paramètre à prendre en compte dans notre questionnement sur l’avenir du projet, à savoir : est-il encore nécessaire, en ce moment, de presser des vinyles, et à quel prix ? 

Margot : Non seulement il y a des problèmes de fabrication, mais les prix des matières premières augmentent.

Voir Aussi

Liza : Nous avons d’abord envisagé le format vinyle puisque c’est un format que nous affectionnons beaucoup. La question écologique est centrale à nos yeux et il faut que le disque soit accessible. Le prix de vente est de 15 euros, ce qui n’est déjà pas donné. Avec la hausse des coûts de fabrication, ces prix risquent d’augmenter et vendre un disque à 30 euros n’a que peu de sens pour nous. 

Margot : Notre but avec la diffusion de ce vinyle est de donner de la visibilité aux artistes. Mais si les prix augmentent, pour qui la musique est-elle accessible ?

Comment envisagez-vous la suite ?

Liza : On aimerait signer des artistes et pourquoi pas continuer à sortir des compiles ?

Margot : Le travail pour Cartelle ne constitue pas notre boulot à plein temps, c’est pourquoi on s’autorise à prendre le temps de réfléchir et à ne pas se mettre en difficulté nous-mêmes par rapport à une trop lourde charge de travail.

Liza : C’est ça, on va marcher au désir et à la rencontre.


Cartelle Party avec BIP 3 et Charlotte Leclerc
24 mars 2022 au Tête de chou (Rennes)
Plus d’infos sur l’événement ici

Suivre Cartelle : soundcloud / insta / facebook

Image à la Une : pochette de la compilation Cartelle Vol.1 © artwork Camille Potte

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.