À la sortie de son film Les Rencontres d’après minuit, Manifesto XXI a rencontré le réalisateur Yann Gonzalez autour d’un café pour parler cinéma, musique et sexe dans une interview qui devient vite plutôt absurde.
Manifesto XXI – Salut Yann, as-tu eu envie de t’habiller en gouvernante avant, pendant ou après le tournage des Rencontres d’après minuit ? Est-ce que tu l’as fait ?
Yann Gonzalez : (Rires) Non ! C’est pas du tout mon truc. C’est pas quelque chose qui me fait fantasmer le travestissement. L’être femme jusqu’au bout des ongles me fascine et je trouve ça très beau en général, mais pas sur moi.
Tu as obtenu le soutien du CNC pour ton premier long-métrage mais après plusieurs refus et ensuite, une sortie en salles presque invisible. En dehors de la critique, t’es-tu senti mis de côté vis-à-vis des institutions, des exploitants et du public ?
Non, je pense que quand on fait un premier film c’est toujours compliqué. Surtout quand on fait un film de ce genre. Moi je m’estime chanceux. Quand je montre mon film à l’étranger, aux États-Unis par exemple, on me demande comment on a fait pour trouver de l’argent pour financer ce long. Donc je suis un peu passé entre les mailles du filet, je me sens un peu comme un miraculé. Je trouve ça honteux qu’il y ait des personnes hyper talentueuses, je pense à Bertrand Mandico par exemple, qui proposent des choses très audacieuses, drôles et subversives, et qui n’arrivent pas à avoir des fonds. Je trouve ça dingue parce que ce sont des films que j’aurais envie de voir et je pense ne pas être le seul.
N’es-tu pas à bout de souffle à force de faire des films aussi peu conventionnels ?
C’est le début de ma carrière donc si j’étais à bout de souffle maintenant, ce serait terrible. Au contraire, plus ça avance, plus j’ai envie de déployer des choses. Et j’ai envie que mes films aient la rage, tu vois ? (rires)
Ton prochain film sera-t-il naturaliste du coup ?
En fait, beaucoup plus que le premier. Pour moi, le combat, c’est pas d’aller contre le naturalisme. Le combat, c’est de faire des films. Des films libres. J’ai envie que chaque projet soit très différent. Celui-ci sera très différent du premier, par exemple : c’est un film d’horreur qui se déroule dans le milieu du porno-gay à la fin des années 1970.
En parlant de films d’horreur, as-tu vu It follows ?
Oui, j’ai beaucoup aimé It follows. C’est l’un des derniers films qui m’a vraiment stimulé. J’ai trouvé ça très fort. Il y a une sorte d’inquiétude et une construction de cinéma que j’aime beaucoup. Mon seul regret c’est que je trouve que l’image n’est pas incroyable. Je me dis ça de beaucoup de films aujourd’hui : je me dis, si ce film avait été tourné en 16 ou en 35, il aurait été plus beau. J’admire le travail de Quentin Dupieux car il a trouvé une esthétique très particulière avec le numérique et qui ne serait pas aussi forte avec la pellicule. Travailler sur la laideur, la mocheté du numérique, je trouve cela fascinant.
Yann nous précise qu’il n’aime pas la définition de « kitsch » lorsqu’on parle de ses œuvres. « Kitsch » serait un mot décrédibilisant envers son propre travail. « Cela ne veut pas dire que je me prends au sérieux, nous dit-il, mais pour moi le kitsch est une façon de se moquer de ses propres personnages. De prendre de la distance par rapport à eux. Pour ma part, j’ai envie d’être tout le temps en phase avec eux et j’ai l’impression que l’esthétique kitsch couperait ce lien. »
On sent une certaine veine entre plusieurs jeunes cinéastes de ta génération : Shanti Masud, Jean-Sébastien Chauvin, Bertrand Mandico… Selon toi, pourquoi le surréalisme, le fantastique, le film de genre ? Ce style de cinéma serait-il en train de vivre une nouvelle impulsion ?
Il faut préciser néanmoins que c’est une impulsion très marginale. Mais il est vrai que je ressens ce désir-là et beaucoup de gens sont venus me voir après la sortie de mon long en disant qu’en effet ils avaient envie de voir plus de fantastique, plus d’onirisme. Nous sommes dans une période tellement dépressive que nous avons probablement envie que le cinéma réveille toutes ses facultés d’échappatoire. Donc je crois que de cette fantaisie, on en a besoin. Il nous faut une fantaisie qui rappelle le monde dans lequel on vit tout en permettant de le transcender. D’attendre un nouveau monde possible avec une esthétique inédite, des personnages hors normes.
Justement, en parlant de personnages, de quel personnage des Rencontres d’après minuit te sens-tu le plus proche ?
Je crois Mathias parce que j’aime beaucoup sa mélancolie et sa douceur. Et en même temps, je disais tout à l’heure que je n’ai pas envie de me travestir en gouvernante mais je me sens proche de ce personnage pour beaucoup de choses, de chaque personnage en fait.
Pas la chienne ?
Ça dépend de la quantité d’alcool que j’ai bue, je pense qu’on a tous un côté chien à un moment donné.
Une question qui me vient spontanément : il y a une tentative littéraire dans l’approche de tes personnages, il me semble. Dans les dialogues, tu crées souvent un jeu théâtral et leurs noms ne sont pas sans rappeler ceux d’une pièce de théâtre justement, puisque tu choisis pour les désigner des dénominations presque symboliques (la chienne, la gouvernante, l’adolescent etc.). D’où te vient ce choix esthétique ?
En effet, pour mon premier long-métrage, je voulais partir de zéro, en adoptant l’idée que mes personnages étaient comme des masques. Partir avec des personnages clichés pour se diriger ensuite vers quelque chose de plus personnel. Ces personnages sont comme des blocs insécables au départ, puis petit à petit ils gagnent en humanité. Quelqu’un m’a demandé récemment pourquoi je n’ai pas fait une adaptation théâtrale des Rencontres d’après minuit. La réponse est que j’ai voulu créer un véritable objet de scénario et les coupures dans l’écriture sont propres au cinéma et peu adaptées au théâtre. Je ne sais pas comment j’aurais pu faire cela au théâtre : peut-être inventer des scènes coulissantes pour passer de l’appartement au rêve… Mais je ne suis pas sûr que ce serait très intéressant. Ce qui est beau au cinéma, c’est que, justement, on peut basculer d’une seconde à l’autre dans un univers totalement différent.
Quelle vérité trouves-tu dans le grotesque, si de vérité on peut parler ?
La vérité de l’abîme. Tout ce qui est monstrueux, déformé, bizarre. Le grotesque, pour moi, c’est d’aller creuser tout ce qui est de l’ordre de la névrose et de l’absurde. Nous sommes dans une société aseptisée alors je pense que nous avons besoin d’aller chercher dans les entrailles du monde pour éclairer des mystères.
Y a-t-il des limites dans le grotesque ? Si oui, lesquelles ?
C’est marrant, je pensais à ça aujourd’hui. Je me demandais jusqu’où on peut pousser certains acteurs. Je suis tombé sur un article sur Afida Turner, une star de la téléréalité. Je me demandais précisément qu’est-ce qu’on pourrait faire avec un corps comme le sien, avec un tel tempérament. Je me suis dit que la limite du grotesque est peut-être l’ironie. Si je proposais un rôle à cette femme, j’aurais peur d’être trop ironique, que les spectateurs rient contre elle alors que mon objectif c’est que les spectateurs rient avec les personnages. C’est important que mes acteurs soient aussi grotesques que moi, qu’ils aient autant conscience que moi de leur côté grotesque. Autrement ce serait une trahison éthique.
Dans tes films, il y a toujours un mort et c’est absurde. Tu crois aux fantômes ?
(Rires) J’y crois au cinéma, je ne me pose pas la question dans la vie. Pour moi, le cinéma, c’est le lieu des fantômes, le lieu où on peut faire exister les esprits.
Le thème de la perte et du retour de l’être aimé revient dans la plupart de tes œuvres. Est-ce quelque chose de personnel ou quelque chose dont tu as peur ?
Je crois que c’est plus quelque chose dont j’ai peur. Évidemment, cela m’est arrivé d’aimer sans être aimé en retour. Je pense que ça a assez bouleversé mon adolescence, alors ce sont peut-être des reliquats de cette tristesse.
Quand un amour se finit, on se dit, parfois, que d’ici la fin de l’univers cette chose-là n’existera plus jamais. Il y a presque un sens de mort sous-jacent…
Au contraire, je pense que quand un amour se finit, il reste imprimé dans le temps à jamais. Il flotte quelque part. Quand un sentiment d’amour lie deux personnes dans la vie, ou deux personnages dans un film, il reste, je ne sais où. C’est bien pour ça que je parle d’amour éternel. J’ai toujours besoin d’un sens d’absolu quand j’écris un film. Mais j’y crois plus dans un film que dans la vraie vie.
Kate Moran est-elle ta muse ?
Une muse, c’est quelqu’un qui t’inspire de façon inépuisable. Moi j’ai très envie qu’on fasse des films ensemble jusqu’à très vieux (sourire amoureux). C’est quelqu’un de mystérieux et en même temps tellement à l’aise avec tout ce que je peux lui demander… il y a une télépathie entre nous. On a tourné un clip en janvier (Perez – Les vacances continuent) et encore une fois, c’était ce que je souhaitais mais en mieux.
La nuit ça t’évoque quoi ? Que fait Yann Gonzalez la nuit ?
Ça dépend des nuits. J’ai des nuits très plan-plan où je m’endors piteusement devant un film. Et d’autres nuits qui sont plus folles, mais je garde ça pour moi (clin d’œil). Plus sérieusement, pour moi la nuit c’est l’espace du cinéma. Tout s’ouvre la nuit : il y a la présence des fantômes, des ténèbres, il y a une croyance qui s’installe. Si en plus on est en hiver, le froid plus la nuit m’évoquent une dimension parallèle. Et puis le peuple de la nuit est beaucoup plus inspirant que celui du jour.
Dans le futur, comment imagines-tu la place de la sexualité dans la société ?
J’ai l’impression qu’aujourd’hui le sexe virtuel est prépondérant. Mais cela a décoincé beaucoup de gens : les jeunes entre 16 et 25 ans sont beaucoup plus ouverts à expérimenter des choses. L’amour avec des garçons ou avec des filles, peu importe, ils s’en foutent. Il y a à la fois un ressenti triste car la sexualité devient impalpable, et cette magnifique ouverture d’esprit. Il y a beaucoup plus d’espoir. Après je ne veux pas faire de généralités, je parle ici d’une jeunesse globalement favorisée. On ne peut ignorer les instincts répressifs qui surgissent dans la société contemporaine.
Que penses-tu de la pornographie contemporaine par rapport au porno des 80’s ?
La pornographie aujourd’hui est uniquement à usage masturbatoire. Du coup, j’ai l’impression qu’il y a moins de douceur, moins d’envie d’être là. Je pense qu’on a perdu la joie d’être simplement là, pour le plaisir de coucher les uns avec les autres. Il y avait une sorte d’utopie dans les années ’70, quand le porno a conquis Paris : cela a fait exploser pas mal de barrières. Cette liberté a été cassée par le SIDA (qui a généré un porno plus dur, plus cru) d’abord, et par l’avènement d’Internet ensuite (avec l’explosion de ces espèces de clips de trois minutes à usage purement pratique).
Peut-on dire que le cul t’obsède un peu ?
Tous mes potes le disent. On me le dit depuis l’école primaire. Ce qui m’a valu une certaine notoriété. En même temps c’est vrai que je parlais beaucoup de cul. Mais c’était pour aller contre quelque chose, contre cette espèce de coincement collectif.
Dans tes films, il me semble que tu arrives très bien à harmoniser la poésie et la brutalité du sexe tant au niveau des images que des mots. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Le sexe est pour moi un territoire comme un autre. C’est une manière de faire de ce qui est marginal une histoire normale. À partir de là, j’ai besoin de sentir que le sexe est pluriel et complexe, tout comme l’amour qui peut être tragique, romantique, drôle… voilà, je voudrais que le sexe dans mes films soit aussi varié que possible.
Tu es proche de la musique que ce soit dans tes films par les collaborations avec ton frère (M83) ou par les clips, et les soirées que tu organises au Chinois à Montreuil. À quel niveau la musique est-elle pour toi un élément de création ? Comment abordes-tu la musique lors de l’écriture de ton scénario ?
La musique peut dessiner une vision. Je suis dans le métro, j’écoute une chanson et d’un coup j’ai des images qui me viennent. Par exemple, tout à l’heure j’ai complètement redessiné une scène en écoutant une musique et maintenant je la trouve beaucoup plus forte. Un morceau de musique donne l’intuition d’un rythme. La musique est organiquement liée à ce que je filme et elle n’est jamais juste illustrative.
Tu viens de réaliser un clip pour Perez. De quelle manière ce format enrichit-il ton œuvre ? Vas-tu en faire d’autres ?
Disons que j’avais tout d’abord envie d’approfondir ma collaboration avec Kate dans un format différent. Ensuite, Perez avait regardé les Rencontres et il avait aimé. Il m’avait donc proposé cette composition qui m’a tout de suite évoqué des visuels. Je trouvais cela intéressant de construire des images sous la contrainte du format d’une chanson. De s’adapter à un rythme musical. D’habitude, dans mes films, il y a un échange qui se met en place entre musique et images, tandis que là j’étais complètement au service de la chanson.
Aurais-tu aimé faire partie d’un groupe de cold wave ou synthetic wave ? Tu écoutes quoi en ce moment ?
Oui beaucoup, mais je crois que je n’ai pas le physique adapté : je suis trop nounours. En ce moment j’écoute un groupe qui s’appelle Palmbomen II. Ils font des clips tournés en VHS qui sont formidables. Il y a une beauté et un mystère qu’on retrouve rarement dans la musique actuelle.
Nous en sommes à notre dernière question (hélas, cette conversation aurait pu durer encore bien longtemps)… Faire tourner Lio, une idée qui te brancherait ?
Vous me cernez bien. En fait, j’ai une histoire avec Lio. Je lui avais proposé de jouer le rôle de la mère dans Land of my dreams. Nous nous étions rencontrés à Bruxelles et elle semblait emballée par le scénario. Je pense néanmoins que c’est quelqu’un de très flippé, et comme moi aussi je suis timide, je pense qu’elle a eu peur. Du coup, elle ne m’a même pas dit que finalement elle ne voulait plus le faire. Je l’ai su en croisant son agent au Festival de Cannes. C’était trois semaines avant le tournage. Elle n’a même pas eu la décence de me le dire. Donc je suis un peu en colère contre Lio. Cependant, je pense sincèrement que c’est une personnalité pas assez exploitée au cinéma. Je suis néanmoins ravi d’avoir tourné avec Paula Guedes.
Propos recueillis par Coco Spina et Yann Pichot
Image à la Une : Screenshot, Les Rencontres d’après minuit