Composé à Paris mais enregistré en presque autarcie dans un chalet reculé du Jura, le premier album de Brace! Brace! est le reflet d’un véritable effort collectif. À huit mains, le groupe (Thibault, Cyril, Simon et Antoine) s’est laissé porté par une écriture musicale libre, laissant la place aux expérimentations bizarroïdes qui les caractérisent et assumant leurs multiples influences. Sans oublier la veine garage dont ils sont issus, les membres de Brace! Brace! équilibrent intelligemment leurs compositions, avec des sonorités psychédéliques, surf rock et pop lo-fi. En résulte un premier album de pop, fouillé et savoureux, qui mérite toute sa place dans la maison Howlin’ Banana.
Manifesto XXI : Ce premier album, c’est un aboutissement pour vous ? Quel en a été le fil conducteur ?
Thibault : Le projet à la base, n’est pas un groupe. Ça l’est devenu avec cet album. On a commencé comme un duo. Au moment du second EP, Simon est arrivé à la batterie, et on est sous cette formation à quatre avec Antoine en plus depuis trois ans maintenant. L’enjeu de ce disque était de produire une musique de groupe, faire de la place pour tous les compositeurs, trouver un équilibre. C’est aussi pour ça qu’on part un peu dans tous les sens, mais c’est intéressant.
Vous vous êtes isolés 10 jours en montagne pour composer cet album. Aurait-il été différent s’il avait été composé à Paris ?
Thibault : C’était pour l’enregistrement, mais c’est vrai que ça a joué pas mal sur la production. Quand tu pars dix jours pour faire un disque, que tu ne te consacres qu’à ça, tu n’as pas d’autres occupations, tu ne vas pas faire des trucs le soir qui font que tu te lèves tard le matin… tu as le temps d’expérimenter des choses, de remettre en cause ce qui était déjà écrit. Il y a des morceaux comme « Ominous Man », un morceau très live et qui a vraiment été réarrangé pour le studio. C’est dans ce cadre-là que ça a été assez bénéfique de s’isoler.
Simon : C’était aussi l’occasion d’attacher le disque à un moment.
Antoine : Et ça rajoute une histoire au disque. Si on l’avait enregistré là où on répète tout le temps, on aurait sans doute eu un rapport différent.
Thibault : Et puis je pense que le disque n’aurait pas sonné tout à fait pareil si on l’avait enregistré à un autre endroit. Là on était dans un vieux chalet, donc ça donnait une acoustique un peu particulière.
Antoine : On a étendu des couettes partout, ça ressemblait un peu à un camp de fortune notre histoire.
Dans cet album il y a tout de vous, toutes vos influences, il s’agit d’un véritable travail collectif, et il porte le nom du groupe. Est-ce parce qu’il s’agit du premier, ou parce qu’il est le reflet de votre groupe, tout simplement ?
Thibault : C’est marrant que tu poses cette question parce qu’on se l’est posée nous-mêmes aussi. Ça a été une vraie discussion. Personnellement, je voulais plutôt donner à l’album le nom d’un des morceaux. Pour moi, dès lors que tu appelles un album avec le nom du groupe c’est que tu as conscience que le groupe a une sonorité spécifique, c’est un peu un postulat. Au final je me suis plié à la démocratie, et c’est peut-être assez cohérent. J’avais l’impression qu’on n’avait pas encore tout à fait notre son mais finalement je pense que c’est un bon choix et il y avait effectivement une volonté d’affirmer quelque chose.
Cyril : Et puis vu qu’avant on n’était pas un groupe, qu’ensuite on l’est devenu, qu’on a mis du temps à faire l’album, ça avait du sens de l’appeler Brace! Brace!. C’est notre premier disque tous les quatre.
Cette volonté de collectif, de projet commun est très forte dans le groupe. Et cela va même au-delà puisque vous en êtes à la troisième collaboration de production avec Barth Bouveret, qui fait donc quasiment partie Brace! Brace!. Qu’est-ce que chacun apporte, comment s’organise le processus de création entre vous ?
Thibault : Quand j’ai commencé, Barth m’a vraiment aidé à me décomplexer sur pas mal de choses, notamment à trouver les sonorités que je voulais. Le premier EP sonnait exactement comme je voulais qu’il sonne et j’en étais vraiment content. Par la suite j’ai l’impression qu’on s’est fait progresser mutuellement, il y a eu une émulation, un truc chouette qui s’est passé entre nous. Et on joue aussi ensemble dans un autre groupe qui s’appelle Good Morning TV.
Antoine : Sur l’album il a été complètement indispensable parce que quand on était au chalet, Barth a été excellent pour transformer ce chalet en studio d’enregistrement de fortune. Il y a eu le pendant et puis l’après.
Simon : Et quand tu as quelqu’un qui arrive à s’approprier ta musique, à se projeter en l’interprétant de telle manière, c’est toujours cool et ça nous apporte beaucoup, il a un regard extérieur qui est vraiment important.
Thibault : Pour la composition, on tend vers le collectif oui. La base, c’est beaucoup Cyril et moi. Après il y a beaucoup d’arrangements qui ont été faits ensemble, et il y a des morceaux comme Station Walls qui a été fait à quatre et qui est assez représentatif du disque. Il y a une direction commune en tout cas.
Votre musique emprunte beaucoup aux années 1990 et 2000. Qu’est ce qui vous a marqué musicalement dans ces époques, et dans celle d’aujourd’hui ?
Thibault : Avec Cyril on a été très marqués par Blur, qui est un groupe déjà assez bordélique en soit. Entre deux disques de Blur il y a un monde et c’est assez fascinant.
Cyril : Oui, c’est un peu notre dénominateur commun. Chez Blur, sur un disque tu peux très bien avoir de la pop mainstream, et en même temps avoir une face B à part, avec des expérimentations pop très bizarroïdes. Ça n’a rien à voir, mais c’est le même groupe. Ils ont réussi à être crédibles et à faire avancer la pop, je crois que c’est ça qu’on aime.
Thibault : Et puis c’est chouette de se dire qu’à une époque, il y avait Graham Coxon qui passait à la radio. On ne l’imagine plus tellement maintenant. Les « expérimenteurs » sont dans d’autres styles aussi aujourd’hui, peut-être dans le hip-hop.
Cyril: Blur, c’était un peu des dénicheurs de pop. C’est ça qui nous attire, d’aborder la pop sans cadre. Avec les influences des trucs qu’on a écoutés, mais faire en toute liberté.
C’est une période de votre vie qui ne vous a pas quittés ?
Thibault : Oui, il y a toujours un lien affectif, mais la scène indie contemporaine est passionnante. En France tu prends des François Virot, des Halo Maud, ce sont des gens qui nous inspirent vachement.
Simon : Et puis tu aimes toujours les sons qui ressemblent à ceux de quand t’étais petit, inconsciemment.
Thibault : Il y a aussi le fait d’avoir l’occasion de voir plein de concerts une fois arrivés à Paris qui a pu jouer sur nos inspirations d’aujourd’hui. Ce n’est pas évident les influences. D’ailleurs c’est quelque chose qui nous a un peu surpris, il y a eu un panel de noms de groupes cités en comparaison à notre album, dont des trucs qu’on n’a jamais écoutés.
Justement j’allais y venir, j’ai relevé un name dropping de groupes assez impressionnant pour vous comparer. Phoenix, Homeshake, les Beatles, Pavement, Metronomy… : ce sont des noms dans lesquels vous vous retrouvez ?
Cyril : C’est marrant que tu parles de Phoenix, parce qu’il y a pas mal de gens qui ont parlé de tubes de French Touch. Nous avec Simon on en écoutait pas mal.
Simon : Si plein de gens nous comparent sur le son à Phoenix, moi je ne trouve pas. C’est toujours une belle référence dans tous les cas, même si ce n’est pas volontaire.
Cyril : Tous les groupes que tu as cités, globalement, sont importants pour nous.
Qu’est-ce qui a évolué entre votre premier EP et cet album ?
Cyril : Une évolution en termes de style déjà. Ça, on s’en était déjà rendu compte au fur et à mesure qu’on faisait les morceaux, avant de les enregistrer. Au moment où on allait dans le Jura, on savait que ça n’allait pas être pareil.
Thibault : C’est différent dans le registre, sans doute plus mûr sur les arrangements, dans la composition. Après je crois qu’on avait perdu toute objectivité sur ce disque parce qu’on a tellement bossé dessus que ça nous a fait vachement de bien d’en sortir, d’avoir des premiers retours, des avis sur l’album. Quand on l’a sorti, c’était un peu le saut dans le vide, on ne savait pas trop où on mettait les pieds.
Antoine : On avait quand même confiance en ce qu’on faisait, mais après comme c’est un disque particulier en terme de sonorités, avec des expérimentations, forcément on ne savait pas trop comment ça allait être reçu, si ça allait toucher du monde. Donc c’est bien de voir qu’autant le public que la presse l’ont bien reçu.
Cyril : Par rapport à l’objectivité, il y a un truc un peu incongru, c’est que ce disque, on l’a d’abord joué en concert pendant un an dans son intégralité. Normalement, tu composes un disque, tu l’enregistres et tu le joues après. Et nous on avait déjà commencé à le jouer et il y a des morceaux qu’on a même joué dès le début de la formation. Donc quand on disait perdre de l’objectivité, c’est parce que c’est un disque qu’on a déjà joué, qu’on a ré-enregistré, on y était déjà très familiers.
Thibault : Je pense que c’est pour ça qu’on s’est amusés à triturer les morceaux à l’enregistrement, on les connaissait déjà par cœur, donc il y avait une volonté de les remettre en question.
On vous attribue cette étiquette de weird pop, de faire une pop libre. Vous ne vous êtes imposé aucune contrainte pour composer cet album?
Thibault : Notre seule contrainte, c’est qu’on voulait des chansons. C’est la différence entre un groupe de pop et un groupe de kraut rock, on apporte une grande importance à la chanson, à quelque chose de mélodique ou d’harmonique qui soit vraiment intéressant.
La pochette de votre album et votre esthétique visuelle plus généralement rappellent beaucoup la pop culture. Il y a le clip de “I sprawl”, hommage à tous les grands films marquant des années 1990, la pochette de “Controlled Weirdness » en clin d’oeil à Roy Lichteinstein… Comment s’est créé cet univers visuel autour de votre musique ?
Thibault : C’est beaucoup de débrouille. Et notre rencontre avec Maxime Mouysset a déclenché un truc, c’est vraiment quelqu’un qui sait faire des images, qui a des idées visuelles, au-delà de son style et de sa technique. Quand il nous a sorti la pochette de l’EP avec la crevette, ce focus dessus, il y a quelque chose de très dérangeant au fond, et c’est super cool. Pareil sur la pochette de l’album, avec cet angle de vue très serré, très cinématographique, ça nous plait.
Et puis la pop culture parce que c’est nos références. Pour le moment c’est beaucoup de bidouillage, après on aimerait plus travailler le côté clip, à part les pochettes de Maxime qu’on gardera. Mais avec une constance : avoir un principe, une idée visuelle et de la décliner un peu comme sur la musique.
On parle souvent du fait que l’indie pop/rock a du mal à trouver sa place en France, pourtant la scène française dans ce registre n’a jamais été autant en ébullition.
Antoine : C’est une scène qui se parle à elle-même un peu.
Simon : C’est aussi une question de temps aussi, où aujourd’hui la musique tu la prends, tu la consommes et ensuite tu passes à autre chose. Tu switches tout le temps entre plein de trucs. La scène dont tu parles et dont on fait partie, elle demande d’écouter un disque 40 minutes, de se poser, de prendre le temps. Et ça ne colle pas forcément avec la consommation d’aujourd’hui.
Thibault : C’est à moitié vrai, regarde la scène hip-hop, elle est passionnante et assez exigeante pour les oreilles, et les rappeurs sortent aussi des albums de 40 minutes.
Simon : Ouais mais dans le hip-hop les mecs sortent un album, on en parle un mois et puis après les gens switchent sur autre chose. Y a plein de rappeurs qui sortent des tas d’albums en une année parce que justement, aujourd’hui, il faut produire du contenu pour être écouté. Nous la musique qu’on fait, ou l’indie pop globalement, demande à ce qu’on la travaille, ça nous prend deux ans de faire un disque, mais à moins de t’appeler Ty Segall, t’en sors pas quatre dans l’année.
Thibault : Après je pense que ça tend à évoluer parce qu’il y a une émulation, il n’y a jamais eu autant de si bons groupes sur la scène indie française. C’est excitant de faire de la musique en ce moment. Je pense que tout le monde se jauge un peu, c’est un peu à celui qui fera le meilleur disque et c’est cool comme dynamique.
Brace! Brace! sera en concert aux Bains le 10 janvier pour la Super Pool Party avec Les Inrocks, accompagné de T/O et de Eggs.