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« Blah Blah Genitals » quand les garçons performent leur genre loin des normes

« Blah Blah Genitals » quand les garçons performent leur genre loin des normes

Aux injonctions à « Man up », « Don’t be a pussy » et « Don’t cry like a girl » on vous répond… « Blah Blah Genitals », porté par Julia Falkner à la photo et Lorena Hydeman aux vêtements. La série d’images documente de jeunes garçons s’essayant, souvent pour la première fois, à exprimer leur true self loin des normes de genres.

Dans cet espace de liberté qu’est la séance photo, les garçons testent de nouvelles façons de manifester leur personnalité. Dans « Blah Blah Genitals » ils explorent leur genre, le construisent même parfois et l’élargissent en dehors du cadre conventionnel de la masculinité des enfants de leur âge. Portraiturés chez eux, ils se prennent au jeu de façon spontanée. Aux côtés de la styliste Lorena Hydeman, ils élaborent des looks qui leur procurent de la joie avant tout. Et ces derniers sont souvent à des kilomètres de la masculinité enfantine et sportive qu’ils performent dans leur quotidien. « Blah Blah Genitals » ouvre donc grand les portes aux nouvelles représentations non pas de la, mais des masculinités et des identités. Julia Falkner et Lorena Hydeman espèrent offrir une chose ; un grand catalogue d’images dans lequel les futures jeunes générations pourront regarder, s’identifier, se distancier ou en tout cas se construire dans la diversité des masculinités.

Pour parler de ce projet documenté en photos et en vidéos, la styliste Lorena Hydeman, nous raconte toutes les anecdotes derrière « Blah Blah Genitals » ; de l’implication des enfants dans le projet à leur découverte de nouvelles expressions de genre. Intéressée depuis ses études de psychologie par l’éternel débat « Nature versus Culture », Lorena Hydeman utilise la mode pour questionner le degré d’implication de l’environnement dans le modelage de jeunes individus à qui on demande une chose : sois un homme et prouve-le, par tous les moyens.

Suivre la styliste Lorena Hydeman et la photographe Julia Falkner sur Instagram.

Tyrell

Manifesto XXI : Bien avant votre duo professionnel, comment a débuté ton amitié avec Julia Falkner ?
Lorena Hydeman : J’ai rencontré Julia le jour de la signature du contrat de location de notre maison. Nous cherchions toutes les deux un endroit où vivre alors que nous allions étudier au Condé Nast College à Londres. À ce moment, elle ne savait pas qu’elle allait être photographe de mode et quant à moi, je ne savais pas que j’allais être styliste. Six ans plus tard, nous vivons toujours ensemble dans la même maison. Cette rencontre a été un blind date osé mais réussi. 

« Blah Blah Genitals » tire le portrait de garçons entre 6 et 16 ans. Mais avant tout ça, le projet a commencé lors de votre rencontre avec Kai, n’est-ce pas ?
Kai a été le premier garçon que nous avons photographié avant même d’avoir pensé à “Blah Blah Genitals”. Nous avons fait connaissance avec sa famille à Barcelone, alors qu’avec Julia nous utilisions Couch Surfing, l’application qui connecte des voyageurs avec des locaux en offrant une place sur un canapé le temps d’une nuit, ou de plusieurs. Au fil du séjour et des visites, nous avons fini par devenir partie intégrante de la famille de Kai.

“Blah Blah Genitals” nous a donc été inspiré par lui. Très spontanément, Julia étant photographe et moi styliste, nous lui avons proposé de le photoshooter avec, comme seuls accessoires, ceux présents dans mon petit bagage à main Easy Jet. 

Taye

Kai nous a alors dit : « Je ne veux pas remettre mes vêtements. Ils sont ennuyeux, je veux garder ceux-là. » 

Kai a été assigné garçon à la naissance et a été éduqué comme tel. Comment a-t-il réagi face aux nouveaux vêtements que vous lui avez présenté ?

Au départ, Kai hésitait à porter des « vêtements de fille ». Mais j’avais aussi quelques chemises « pour homme » avec moi. En fouillant, il s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de différence entre ces deux vêtements, à part le genre qu’on voulait bien leur donner. À la fin du photoshooting, Kai nous a alors dit : « Je ne veux pas remettre mes vêtements. Ils sont ennuyeux, je veux garder ceux-là. » 

Kai a suscité, chez Julia et moi, l’envie de créer un espace de liberté et de sécurité, celui de la séance photo, qui donne la chance à ces individus de révéler leur propre perception de la masculinité, loin des codes genrés. 

Avant la rencontre, les parents me donnaient une petite idée sur le degré de féminité ou de masculinité que performaient quotidiennement leurs enfants.

Comment avez-vous procédé pour rencontrer les garçons et leur faire comprendre qu’ils avaient champs libre dans l’expression de leur personnalité ?
Après Kai, “Blah Blah Genitals” a vraiment commencé. De retour à Londres, j’ai contacté quelques parents d’enfants, certains étant des amis, d’autres des enfants avec qui j’ai travaillé dans un projet publicitaire précédent. Dès qu’un garçon participait, il passait directement le mot à ses amis ou à ses frères qui voulaient alors eux aussi se joindre au projet. Avant la rencontre, les parents me donnaient une petite idée sur le degré de féminité ou de masculinité que performaient quotidiennement leurs enfants. Puis, avec ce facteur en tête, Julia et moi-même avons travaillé directement avec les garçons pour construire leur apparence. Deux frères ont participé, et à tort, je pensais qu’ils auraient performé leur genre de façon très enfantine et sportive. Finalement, ils ont été très enthousiasmé par le fait de porter des bottes à talons hauts et le corset de leur mère.

Vous avez photographié chacun de ces garçons chez eux, dans leur chambre, leur jardin ou devant le perron de leur maison. Pourquoi ?

“Blah Blah Genitals” parle de construction et de performance de genre. Il était donc primordial de photographier les garçons chez eux, dans des endroits qui leur sont familiers, comme pour Kai. Ainsi, avec Julia, nous leur donnions la possibilité d’être le plus à l’aise possible, tout en donnant un contexte à nos photographies, celui de l’environnement qui les a façonné en tant que personnes et qui a aussi modelé leur regard sur leur genre, et celui des autres. 

Taye et Tyrell

Les enfants doivent savoir qu’ils sont légitimes de porter leur propre signature de masculinité, même si elle est très différente de la norme.

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Les genres sont une problématique qui, pour Julia et toi, vous tient à cœur. Pourquoi ?
Il est pour nous vital et urgent, et ce même en tant que société, de supprimer les stéréotypes de genres liés aux masculinités toxiques et à ses comportements oppressifs et meurtricides. Les enfants s’identifiant comme des hommes ne devraient pas sentir la nécessité de performer ce genre de masculinité. Ils doivent savoir qu’ils sont tout à fait légitimes de porter leur propre signature de masculinité, même si elle est très différente de la norme. Pour leur faire comprendre, nous leur dédions “Blah Blah Genitals”, ces photographies de jeunes garçons qui construisent leur identité de genre, et qui créent avec nous de nouvelles représentations. Cette série photographique permettra à la génération actuelle de jeunes individus s’identifiant comme garçon, ou non, d’élargir leur conception de la masculinité, pour ne plus se sentir pressé de la performer d’une seule et même manière.

Quel est ton rapport personnel à ton identité, et comment celui-ci affecte ton travail ?

Je suis une personne qui s’identifie comme femme et qui sort avec des femmes et des hommes. Ayant vécu au Moyen-Orient et étant de Serbie, j’ai, dans mon expérience personnelle, souffert de toutes les restrictions et de la pression liées à mon genre et mon orientation sexuelle. Je suppose que, finalement, les questions de genre sont importantes pour moi pour ces raisons et que c’est pourquoi je veux que les sujets que je photographie se sentent le plus libre dans l’expression de leur singularité.

Rilwan

La masculinité, même quand elle est du ressort de l’enfance, est toujours représentée sous le prisme du petit garçon actif versus la petite fille passive. Du bleu contre le rose, du sportswear contre la coquetterie, de l’héroïsme et du courage face à la sensibilité et à la créativité. « Blah Blah Genitals » offre aux garçons photographiés, mais aussi aux futurs enfants qui verront ces photos, un espace pour sortir de cette dichotomie limitante et oppressante.

Le projet explore comment différentes dynamiques socio-économiques, géographiques et familiales affectent les opinions d’un garçon sur la masculinité. Les garçons que nous avons rencontrés sont si intelligents, éloquents et honnêtes dans leurs entretiens filmés. Ces vidéos sont des éléments clés de notre projet. Avec Julia nous travaillons beaucoup pour l’industrie de la mode et cette fois-ci, nous ne voulions pas que « Blah Blah Genitals » ressemble à un travail de commande. Il n’en est de toute façon pas un. C’est un documentaire qui utilise la mode pour s’exprimer. À travers les témoignages filmés, nous avons capturé les idées des garçons de façon plus claire, montrant leur énorme participation dans le projet. Ces jeunes individus donnent un réel espoir aux prochaines générations d’hommes. Tous différents, ils n’en sont pas moins restés très ouverts et acceptants. “Blah Blah Genitals” nous a aussi donné l’occasion d’explorer l’influence de l’âge, et donc par extension de l’influence des normes genrées sur leurs opinions. Sans grand étonnement, nous avons compris qu’en vieillissant, les garçons étaient beaucoup plus conscients et influencés par les normes de genre.

Ces jeunes individus donnent un réel espoir aux prochaines générations d’hommes. Tous différents, ils n’en sont pas moins restés très ouverts et acceptants. 

Après avoir testé leurs expressions de genre dans “Blah Blah Genitals”, que représente finalement la masculinité pour ces jeunes personnes ?
Leur perception de ce qui est masculin et de ce qui ne l’est pas est aujourd’hui bien moins rigide, c’est certain. Avec Julia, nous leur avons simplement donné la liberté de s’exprimer et le temps de réfléchir à haute voix sur le sujet non pas du genre, mais des genres et surtout des expressions avec lesquelles ils se sentent à l’aise. Notre accompagnement a simplement fait office de véhicule pour transporter leur message et leurs personnalités. Faire un retour sur leur genre, encore en construction évidemment, leur a permis de comprendre les femmes non pas comme différentes d’eux, mais comme leurs égales. Produire des images plus diversifiées comme celles de « Blah Blah Genitals », c’est créer de nouvelles représentations qui bousculent les stéréotypes bien trop binaires de nos sociétés. It is the zeitgeist of masculinity in boys in 2020.

Jack
David
Rio
Harry
Tyrell
Taye
Romeo
Taye
Jack
Jazz
Rio et Romeo
Jack
Harry
Jack
Kai

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