Zhona, c’est la soirée qui finance le festival OPPYUM, dont s’est tenue la quatrième édition au début du mois de décembre au 35/37. Une soirée off the record, bien cachée sous le périphérique parisien.
On est samedi soir (comme tous les jours d’ailleurs dirait JUL), et bien évidemment, j’ai la flemme d’aller dormir. On est le 3 décembre, il fait un froid de gueux et cette semaine au 35/37 se déroule un festival de vidéo dédié à la performance : OPPYUM. J’ai ouï dire que, pour financer ce festival, se tient une teuf méga secrète qui s’appelle Zhona. Elle a lieu sous le périphérique dans le 19e arrondissement. J’ai envie de dire let’s go mais l’accès n’y est pas si simple. Pas d’événement Facebook, pas de préventes et encore moins d’adresse d’accès au site. Je me munis de mon téléphone et j’appelle Bryan Courtois, co-organisateur du festival Oppyum, et donc de Zhona, pour avoir plus d’infos.
Un terrain de jeu
« On a créé le festival Oppyum il y a quatre ans, et ce soir, c’est la deuxième édition de Zhona. On a eu l’idée de ce festival après avoir fait le constat qu’il y avait un manque cruel de représentation de la vidéo performance, même à l’international » m’explique Bryan.
Sur les coups de minuit /une heure, je mets mon plus beau (et plus gros) manteau, et je m’en vais vers quelque part sous le périph’ dans le nord de Paris. Après m’être faufilée sous une espèce de pont, j’arrive devant une porte bien cachée. Une meuf tient une liste et tout le monde attend sagement son tour. Ce n’est pas la peine d’insister, je ne vous dirai pas où se trouve ce lieu ! « On voulait sortir du cadre club pour plusieurs raisons. Premièrement, pour des raisons de sécurité. Il est très compliqué d’organiser une teuf safe dans un club, car tu es obligé·e de bosser avec la sécurité et le staff de ce club. Souvent, leur manière de travailler ne correspond pas du tout à la nôtre. » En effet, ici, c’est à la cool. Confiance et bienveillance règnent. Seulement deux agents s’affairent à ce que ça ne soit pas le boxon dehors, pour ne pas se faire repérer j’imagine. On ne reverra plus de sécu à l’intérieur. Bryan reprend : « Les clubs ont aussi un public à eux et nous pouvons avoir du mal à gérer le mélange de nos deux communautés. Et puis, surtout, je trouve qu’il y a des espaces qui se prêtent plus à la fête qu’une simple boîte de nuit toute sombre un peu vide d’énergie. Là, le lieu est assez incroyable ». En effet, je ne vais pas être déçue. Franchement, derrière cette petite porte au milieu de rien, il y aurait pu y avoir tout et n’importe quoi tellement on a du mal à se figurer ce qu’elle peut cacher.
J’entre dans la Zhona. « C’est un terme portugais, car nous sommes brésiliens. En Amérique du Sud, la zhona, c’est le quartier où se trouvent les TDS, et notamment les TDS transgenres. On a voulu se réapproprier ce terme et en faire un lieu d’inclusion et non pas d’oppression et de discrimination. Au Brésil, 80% des personnes trans sont TDS. On a simplement eu envie d’offrir un terrain de jeu à cette communauté trop souvent opprimée, pour se rencontrer et s’amuser ensemble. » La porte s’ouvre, donc, et je longe un mur jusqu’à des escaliers qui descendent sur une immense salle haute de plafond. Au mur est projetée la vidéo du festival OPPYUM. « Le problème des performances à proprement parler, c’est qu’elles ne sont souvent accessibles qu’à des personnes en particulier : des gens qui travaillent dans l’art par exemple… Pour un public plus large, ça peut vite devenir compliqué d’y accéder. Grâce à la notion de vidéo performance et le fait de capturer ce moment, on essaie de partager au plus grand nombre » détaille Bryan.
« Quand je sors, j’aime performer l’hyperféminité »
Ou en tout cas de partager la curation aux personnes qui sont ici et qui ont été triées sur le volet. Pour venir esquisser des twerks sur le dancefloor de Zhona, il faut que tu te procures le lien où tu achèteras ta prévente en le demandant sur Instagram. Mais il ne suffit pas de le demander, il faudra encore que les organisateurs acceptent de te l’envoyer. Dans la petite foule (ce qui n’est vraiment pas désagréable), je rencontre Maléna, une Péruvienne de 23 ans : « Ne pas permettre à n’importe qui de venir faire la fête avec nous, je trouve ça très bien. Je ne sors plus en club depuis un moment par exemple. On n’a pas toujours envie de se retrouver avec des gens qui ne sont pas de notre milieu ou qui ne comprennent pas qui nous sommes. »
Je lui demande de préciser : « Quand je sors, je me fais tout le temps juger. Quand tu es une personne trans, ça dérange. La nuit, j’aime performer une féminité qui est exacerbée, les gens ne comprennent pas toujours. À partir du moment où on prend le pouvoir sur nos corps et nos façons de s’exprimer, ça agace cette société encore pleine de préjugés misogynes. Ici, on est vraiment tranquil·les. » Pour d’autres, le fait que la sélection à l’entrée soit sévère peut avoir ses limites : « Je comprends, car notre communauté à envie d’être tranquille. Mais il faut trouver un juste-milieu et ne pas aller dans l’extrême. Ici, je pense quand même qu’il a été trouvé » me confie Antoine, 25 ans, modasse de profession.
« Notre Zhona doit être préservée. »
Très franchement, en tant que pré-retraitée de la night qui ne supporte plus rien ni personne au cours d’une soirée en exté, je trouve que l’ambiance est chanmée. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu tant d’espace pour danser et vu tant de gens chaleureux·ses sans pour autant être soûlant·e·s (oui, je suis un monstre). « On ne veut pas que notre soirée soit accessible. Notre Zhona doit être préservée. On vend nos places sur Instagram en faisant un check des profils des personnes qui nous envoient leur demande. On essaie de faire une selection qui soit uniquement queer et safe, donc nous sommes très sélectifs pour que notre soirée reste une Zhona en sachant qu’aujourd’hui, la techno devient très mainstream et hétéro. » La démarche de Bryan et Daniello tente de s’inscrire à l’inverse de cette tendance hypercapitaliste qui gangrène la techno depuis quelques années. « On souhaite juste pouvoir rembourser notre festival, tout en préservant notre Zhona en tant que safe place. On ne fait pas cette soirée pour générer des bénéfices » poursuit le créateur d’OPPYUM.
Le line-up est 100% queer et féminin, il est encore trop rare qu’on en voit des comme ça. Ça ravit également Maléna : « Ce qui diffère aussi des autres soirées techno ici, c’est le line up. Déjà, il n’y a que des meufs, et puis beaucoup de meufs trans ou racisées. C’est quand même beaucoup plus inclusif que ce que peut proposer la scène parisienne. » On danse toustes aux sons de XD-Eric, une DJ qui fait partie du collectif brésilien Chernobyl, et l’ambiance est à son climax. C’est le moment où je vous laisse pour aller danser et où je vous dis également – je l’espère – à l’année prochaine pour une nouvelle édition de Zhona.
« Tous les jours c’est samedi soir », c’est la chronique de Manifesto XXI sur la nuit et la fête. Ici, pas d’analyse musicale ni de décryptage de line-up. L’idée est plutôt de raconter avec humour ce monde de la fête que l’on connaît tout bas. Qu’est-elle devenue après plus d’un an de confinements ? Qui sort, et où ? Et bien sûr, pourquoi ? Manon Pelinq, clubbeuse aguerrie, entre papillon de lumière et libellule de nuit, tente d’explorer nos névroses interlopes contemporaines, des clubs de Jean-Roch aux dancefloors les plus branchés de la capitale.
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Image à la Une : © Bilel Ouannassi