Amphithéâtre plein, sécurité à l’entrée. Aucun cours donné à Sciences Po Rennes n’a jamais eu autant de succès. Dans la cacophonie précédant l’arrivée de Benoît Hamon, une élève organisatrice essaie de faire la loi, « c’est pas un meeting ici, pas de banderoles ! », les banderoles sont rangées. « Et les tracts aussi s’il vous plaît » s’énerve-t-elle. C’est peine perdue, l’événement tourne en opération de séduction des jeunes sciences-pistes rennais, historiquement acquis à la gauche. Et cela pose quelques questions, tant sur le bien fondé de l’intervention que sur son déroulement.
Alors que Benoît Hamon vient d’arriver dans la salle sous un tonnerre d’applaudissements, un jeune militant du mouvement du 1er juillet (M1717), lancé par Benoît Hamon lui-même, le présente à la foule. « Il faut reprendre la bataille des idées », voilà ce qu’il faut retenir. Hamon est tutoyé, symbole d’une proximité à peine cachée.
La parole lui est donnée. De l’estrade, seul, debout, il se lance dans un discours qui durera cinquante-sept minutes. Sans animateur pour l’interrompre, Benoît Hamon remercie l’antenne locale du mouvement avant de remercier l’institution qui l’accueille.
Un thème prétexte
Le thème de la conférence est : « Être jeune en 2017 : travail, logement, éducation ». Il le dit : « Je ne sais pas ce que c’est d’être jeune mais il y a des questions centrales », c’est à ce moment-là qu’il fallait comprendre qu’il ne tiendrait pas le thème de la conférence mais justifierait son discours de campagne et le discours de son mouvement pendant une heure et quarante-cinq minutes.
« Barthès (NDLR : Yann, le présentateur de Quotidien) s’est moqué de moi, dit-il, parce qu’apparemment je répète souvent qu’en toute génération nouvelle, il y a un peuple nouveau. » Il n’y peut rien, c’est une phrase qui lui parle et qui parle aux jeunes puisque la salle est hilare. D’ailleurs, son mouvement promet de s’orienter vers les questions que les jeunes se posent « naturellement », en étant « porté et incarné par des jeunes », ceux-là même qui l’ont invité ici, on avait compris.
Je sais que s’il n’y avait que vous, j’aurais été élu !
On enchaîne tout de suite avec le revenu universel : « Au début du XXème, les Français travaillaient 70 % de leur vie éveillée, aujourd’hui ce n’est plus que 16 %. » Discours entendu sur France Inter trois jours plus tôt, sauf que non interrompu à la conférence. Benoît Hamon explique que la révolution numérique et les robots nous obligent à penser le travail différemment. « Depuis une décennie, toutes les enquêtes et je dis bien TOUTES les enquêtes anticipent une transformation de l’emploi liée au numérique. » Certes.
Son revenu universel, ce serait « admettons 750€ par personne de Monsieur Bolloré à une aide-soignante, mais attention l’argent donné à Bolloré serait récupéré en impôts bien sûr ». Il parle plus longuement de l’aide-soignante, de la détresse dans les maisons de retraite. Après quarante minutes d’intervention, il parle des jeunes et du « travail étudiant ». C’est le thème, on est ravi qu’il y vienne, enfin. Il reproche une école qui reproduit les hiérarchies sociales alors qu’elle devrait être celle de la République. Quelques secondes sur les jeunes encore puis un moment sur l’écologie.
Le thème est souvent ignoré. Il tente de se rattraper aux branches, il parle de travail, il parle de logement, il parle d’éducation mais se sert d’exemples qui ne concernent que trop peu les jeunes. Le revenu universel a la part belle, il est mis en valeur, justifié, argumenté.
Langage et langage corporel
Il n’hésite pas à se mettre en scène, quand il parle de caisses automatiques dans les supermarchés, il mime la démarche, chaise à l’appui. Il amuse son auditoire. « On a cru qu’Hamon voulait que les jeunes soient sur un hamac à fumer des pétards, c’est un peu caricatural ! » Les rires de l’assemblée sont immédiats.
« Pour arriver au plein emploi en 2030, sans crise, il faudrait que Macron et ses amis soient quatre fois plus généreux tous les ans… » : le président est qualifié de la même façon que pendant la campagne, dans une position d’opposition où son titre n’est pas mentionné.
Il finit son intervention en reprochant la psychologisation de la politique. « On fait trop de psychologie en politique, on m’a dit « pourquoi vous êtes allé manifester avec Mélenchon, c’est un tyran ! » Qui dit ça ? Valls ? » Il amuse, il explique battre le pavé au même titre que les jeunes militants, il refuse d’agir « dans la pudeur ». Il se place en homme d’action, qui part à la rencontre des Français.
L’école égalitaire devrait être la mission de ceux qui parlent de la République avec des larmes dans la voix
Il n’hésite pas à entrer dans la démonstration. Une feuille de papier à la main, elle symbolise l’école. Au fur et à mesure, il en déchire des morceaux pour qu’il ne reste plus qu’un centimètre carré, représentant ceux qui font les grandes écoles et construisent une société à leur image. Au fur et à mesure, le garçon de Trappes a été mis de côté, les élèves du bac pro aussi. Construire une école réellement égalitaire, « ce devrait être la mission de ceux qui parlent de la République avec des larmes dans la voix ».
Lors d’un simulacre d’élections tenues à l’école au moment de la présidentielle, le deuxième tour opposait Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Le candidat PS en était sorti vainqueur, rappelant l’attachement de la population estudiantine à la gauche. Il en glisse un rappel avant de conclure : « Je sais que s’il n’y avait que vous, j’aurais été élu. »
C’est pourtant un socialisme différent qu’il veut présenter, celui d’un renouveau dans lequel l’écologie et l’avenir sont au premier plan. Mais les bonnes vieilles méthodes politiques sont là, il faut convaincre, il faut séduire et échapper aux questions trop complexes en ramenant l’attention à un concept fort et parlant pour une génération précaire : le revenu universel.
De l’art d’éluder les questions
Après presqu’une heure, il enlève sa veste, c’est le temps des questions. Des questions précises sur la mise en place du revenu universel, sur la transition énergétique auxquelles il ne répondra pas. Des questions plus globales auxquelles il répondra partiellement. Il revient sur le contrôle démocratique des citoyens, sur la croissance, sur l’école.
Ces derniers mots mettent en garde l’auditoire sur la perte de liberté de notre État. Salve d’applaudissement. Une partie de la salle se précipite vers lui pour récupérer un selfie. Benoît se prête au jeu. À la sortie, un dernier recrutement pour le mouvement M1717. Tout est mis en place pour pouvoir s’inscrire sur des fiches de contact.
Ceci est un meeting
Essayons d’imaginer un mouvement d’extrême-droite agir de la même façon à Sciences Po Rennes. Ce serait impossible, on ne les laisserait pas faire de recrutement et on s’indignerait du manque de modérateur dans une conférence censée donner réellement la parole à l’auditoire. Quand Sciences Po Paris avait voulu organiser une conférence avec Florian Philippot en 2016, l’accès lui avait été bloqué par les étudiants. La même chose se serait probablement produite en terre bretonne. Rennes est historiquement une ville de gauche, les élèves de Sciences Po aussi. Être de gauche, c’est être cool, généreux. Alors on laisse le M1717 faire une conférence prétexte à un recrutement à peine caché.
À la fin de la séance, beaucoup d’élèves apparaissent déçus, le thème a été presque ignoré, le recrutement, lui, bien réussi. Hamon peut se féliciter, au vu de la demande de selfies, l’opération de séduction est un succès.
Ici, il n’est pas question de sensibilité droite-gauche mais de manœuvre politique à peine voilée. Interrogé dans l’émission C à vous le lendemain, Hamon nie avoir organisé un meeting et insiste sur le fait d’avoir rencontré des jeunes instruits et sensibilisés aux causes de demain : l’écologie, la transition énergétique, le travail… Oui, mais ces jeunes pensaient se rendre à une conférence dont le thème annoncé était « Être jeune en 2017 ». Ils ont en fait assisté à une justification de programme politique. C’est tout de même bien différent, et cela montre encore fois que le politique veut bien tenter de s’intéresser à la jeunesse si celle-ci veut bien le servir, sans trop poser de questions.