Fin octobre, la Bellevilloise accueillait la toute première édition de la Paris Fetish Week. L’événement était organisé par Demonia, soirée BDSM de référence depuis 30 ans, et proposait de nombreux ateliers pour ravir novices et adeptes des pratiques alternatives. Parmi elles, une classe de maniement de fouet organisée par l’ambassadrice Ness Harper a éveillé notre curiosité.
Avant de lancer son cours, Ness Harper – la quarantaine, chevelure brune, robe noire ceinturée par un petit corset – lance un tour de présentation. «Je n’ai jamais été fouetté et je n’ai jamais fouetté, pas même mes Percherons » lance joyeusement un participant. Le trait d’humour fait mouche et déclenche quelques rires dans l’assemblée. Ce jeudi après-midi d’octobre, dans la salle tendue de velours vert de la Bellevilloise, une vingtaine de personnes sont réunies pour recueillir les enseignements d’une maestria du fouet. Les élèves de Ness Harper cet après-midi ont entre 30 et 50 ans. Il y a 5 couples, un duo domina-soumis, une domina à qui on a offert un fouet, une camgirl dont les abonnés lui demandent de manier l’objet… Les présentations faites, c’est parti pour deux heures d’initiation qui s’achèveront avec de la pratique (pour qui veut) sur l’un des deux modèles qui accompagne Ness. En amont de la classe, la domina nous a donné le ton : « C’est à la personne dominante de faire attention à l’autre. » Comprendre : si le fouet claque, c’est plus pour l’ambiance que pour vraiment faire mal.
A vos fouets
La classe commence par les basiques du consentement et un point sur le matériel. Langue de dragon, chat à neuf queues, loup blanc… le vocabulaire pour décrire les fouets est imagé. Selon la maîtresse de la classe, la sensation d’un bon coup de fouet se compare à une « piqûre de guêpe ». Ness partage à ses apprenti·es du jour le nom des différentes parties du fouet, les avantages des différentes matières, des conseils d’entretien. Elle dispense également les noms et adresses pour acheter des fouets de qualité (compter entre 250 et 700€ selon le modèle). Pour faire son fouet au début, pas de mystère, il faut pratiquer tous les jours. La domina révèle un de ses petits secrets : « Je dors avec mes fouets quand ils sont neufs, pour les faire ». Au cours de tout l’atelier, elle insiste sur l’hygiène et l’impératif de désinfecter son fouet et la peau de son partenaire à chaque fois.
Forte de plus de dix ans d’expérience, Ness Harper est un pilier de la communauté BDSM à Paris, l’organisatrice Des goûters du divin du marquis qui se tiennent tous les vendredis après-midi. Passionée de photo érotique, c’est après son divorce qu’elle rencontre pour la première fois le monde des plaisirs corsés. « J’ai beaucoup aimé avoir cette prise de pouvoir et j’ai commencé à dominer certaines personnes. » se remémore-t-elle en amont de l’atelier. La bascule vers le travail du sexe se fait progressivement : « Dans ma vie professionnelle, il y a eu un tournant. Je me suis demandée ce que je pourrais faire pour allier tout ce que j’aime c’est à dire l’humain, le BDSM la photographie ? J’ai eu cette proposition de reprendre Les goûters, marque existante depuis 20 ans, et j’ai accepté. »
Être bon·ne en coups
Mais pourquoi avoir fait du fouet sa spécialité ? Il y a huit ans, la domina se blesse à l’épaule. Une déchirure du tendon douloureuse qui l’amène à observer les gestes des autres avec attention pour les réinterpréter selon ses capacités. « Je me suis dit que j’allais apprendre à fouetter délicatement et caresser la peau. », jusqu’à développer un geste reconnaissable, bien à elle. Exit donc la représentation de la domina en colère, comme Elektra dans Pose ou Tiff dans Bonding : pour bien dominer, mieux vaut avoir de l’empathie. « Si on n’aime pas les hommes ou les femmes, qu’on veut se venger en leur faisant mal… je ne juge pas mais ce n’est pas ma façon de faire. Pour moi la domination est un art. » explique Harper. Mais donc avec quelle intention travaille-t-elle cette pratique si forte symboliquement ? « Ce qui me traverse c’est d’être en accord avec moi et créer des émotions. »
Pour prendre le coup de main (de maître), les élèves de Ness vont reproduire les différents mouvements enseignés par la domina, puis s’entraîner d’abord sur du papier bulle et un drap. La pièce peine à contenir le petit groupe, car la pratique du fouet requiert de l’espace pour être safe et il n’est pas si facile d’apprendre à viser ! L’ambiance est studieuse, bon enfant. Les couples s’enlacent entre deux passages en exercice, les partenaires se font des retours sur leurs mouvements, la manière d’impacter, leurs sensations. Le temps file vite, en temps normal Ness Harper ne reçoit d’ailleurs pas tant d’élèves en même temps.
Quand c’est leur tour, les modèles sont ravi·es de tendre enfin leur chair aux apprenti·es qui visent les fesses et le haut du dos. Interdit de viser la zone des lombaires qui peut faire très mal, les zones de la poitrine et du cou sont elles aussi proscrites pour les novices. A la fin de la session, Victoria, participante et animatrice d’atelier d’écriture érotique est ravie : « Ça permet de passer une peur, celle d’être sur de la vraie peau. Finalement c’est assez intimidant, même quand on joue sur des personnes expérimentées, avec un cuir déjà fait. » La jeune femme reconnait en riant qu’il n’est pas si facile de passer à l’acte : « j’étais plus flippée que [le modèle]. » Elle prévoit de s’entraîner sur un coussin, comme préconisé lors du cours, avant de s’attaquer aux fesses de son partenaire…
Image à la Une : © Eskal Ton