On vous épargnera un énième report de festival façon premier de classe qui a bien pris ses notes. D’abord parce que celui-ci ne se raconte pas, il se vit. Comptez quatre ou cinq bonnes heures de train, TER et autre lever de pouce jusqu’au Pays basque, et quelques embrouilles entre potes pour choper cette foutue chambre hors de prix dans Saint-Jean-de-Luz en plein mois d’août. Et puis arrêtez tout simplement de compter : vous voilà entré dans une faille spatio-temporelle. Ça s’appelle Baleapop.
Qu’on se le dise, ce n’est pas vraiment pour le line-up qu’on a traversé la France. Ou peut-être si : tandis que les Jacques, Flavien Berger ou Bagarre surfent maintenant sur toutes les affiches des festivals indie de l’été, la programmation du Baleapop mise sur les nouvelles découvertes. Ici, pas de tête d’affiche (à peine un Mdou Moctar ou un Puzupuzu qui parleront à quelques teufeurs de la capitale). Ce qui intéresse le collectif Moï Moï, à l’origine de l’événement, « c’est que les gens fassent une sorte de parenthèse à Baleapop, qu’ils soient curieux. L’idée pour nous, c’est de surprendre ». Un ticket pour le Baleapop, c’est assurément un pass-surprise vers une grande expérience vacancière. La recette : des concerts gratuits en ville, des après-midis dansants sur la toute mignonne plage de Cenitz et des soirées mystiques dans l’incroyable parc Duconténia. Et surtout, cette drôle d’ambition, depuis le début, de mêler « musique et art contemporain ».
On vous fait le point sur les jolies découvertes de ce #8 qui s’est tenu du 23 au 27 août dernier.
Mercredi
On n’y était pas encore, et on est méga-triste d’avoir raté l’inauguration officielle (après une version bêta l’an dernier) de la Radiobalea et ses « interviews inutiles ». On regrette surtout la première grande table ronde sur le thème « La gentrification par la culture », avec la très chouette auteure à moitié urbaniste Fanny Taillandier, les deux architectes sélectionnés pour une installation dans le parc du festival (Benjamin Lafore et Sébastien Martinez-Barat) et Tom Belliard du Collectif 23, acteur éminent de la scène squat parisienne. Saura-t-on jamais si le Baleapop bobo-ise la côte basque ? Ouf, les podcasts sont là :
Jeudi
Ce n’est pas dans la ligne 2 mais dans la voiture 13 du train Paris–Saint-Jean-de-Luz que l’on croise cette fois Mohamed Lamouri : c’est le genre de rencontres fortuites qui fait toute la joie de Baleapop. On l’avait déjà souvent entendu dans le métro parisien où il s’entraîne depuis des années, son synthé rafistolé sur l’épaule, le voici cette année en pleine montée de hype, avec moult articles de webzines (damn, même Le Monde se met à l’underground) et une jolie succession de dates au printemps dernier (dont la Méca, le FGO-Barbara, le Beau Festival à Paris et le tout nouveau festival Variations à Nantes). Après avoir signé deux premières mixtapes sur le label du collectif expé La Souterraine ces derniers mois, le chanteur de « raï sentimental » a joué pour les festivaliers (et aussi pour tous les autres retraités et kids en goguette sur la côte) sous le kiosque à musique de la très passante place Louis XIV. Tellement heureux, qu’il nous a lâché une reprise de ‘Aïcha’ à nous briser le cœur.
Vendredi
Une babydoll russe, post-punk à ses heures perdues (avec son autre groupe Glintshake), qui minaude de la pop à moitié en japonais : forcément, le personnage nous intriguait. Programmée entre un grand show de guitare touareg et la « trance pointilliste » à rendre épileptique de Lorenzo Senni (les transitions, c’est pour les faibles), Kate NV a régalé les yeux et les oreilles. Depuis son premier EP Pink Jungle sur le label russe Apr Music en 2013 jusqu’à son dernier Binasu (réédité en France chez Mind Records l’an dernier), la jeune Moscovite a revendiqué sa pop dans toutes les langues, mais surtout celle universelle du synthé : rythmiques dance, mélodies kitschissimes, le tout dans une atmosphère rétro-futuriste planante qui rappelle le meilleur des charts nippons de la décennie eighties. Soignant une esthétique gamine et rigolote (son vieux Tumblr ressemble à un jeu Nintendo cosmique, ses clips tirent vers la mystique de l’univers manga, ses cheveux sont rose pastel), le show de Kate NV a commencé gentil pour finir comme on l’attendait, dans un grand n’importe quoi jouissif à coups de reverbs synthétiques et de gesticulations déstructurées. Go, Kate !
Samedi
Une journée pleine de douceurs, entre le set de la très cool Epsilove (moitié du duo synthwave Syracuse), la cosmic disco du vieux daron Daniele Baldelli qui nous a bien fait se dandiner dans le sable (et plus tard dans la nuit dans le mini-club caché dans la roseraie), ou encore la performance extatique pleine de tétons moites d’Usé (qu’on avait rencontré là).
C’est quand même A Certain Ratio qui remporte le prix du live le plus électrisant. Accompagné de la charismatique Denise Johnson, LA voix soul qui a donné de l’âme à une bonne partie des bands de Manchester dans les 90’s, le groupe britannique né en 1978 parvient encore à surprendre cinquante ans plus tard. Les pionniers du punk-funk (tout un concept, à base de vocals métalliques, trompettes et basses groovy), qui furent la première signature de Factory Records (Joy Division, New Order et autres Durutti Column), ont tant excité l’atmosphère qu’on a même vu un verre s’envoler de la foule trop saoule pour atterrir sur une sono grésillante. Stupeur générale et insultes mancuniennes, il y avait de quoi échauffer les esprits pour une seconde partie de plus en plus instrumentale, façon jam et ambiance caribéenne. À en perdre la tête, pour de vrai.
Dimanche
Les Moï Moï ont choisi de la jouer cool pour la dernière journée, en inaugurant cette année La Grande Bouffe, en héritage des fêtes de village basques. De grandes tablées conviviales dans l’herbe, une animation marrante à la dj-camping assurée par le duo des Sheitan Brothers, du méchoui fondant et de la piperade (la ratatouille basque) à volonté – que demande le peuple ? Si on est nostalgique des live incroyables que nous avait réservés le dimanche de l’édition 2016 (les Pilotwings, Jan Schulte et The Mystic Jungle Tribe en un seul aprèm, waouh), remplacés cette année par de grosses sessions platines plus classiques (mais non moins efficaces), les orgas assument : « Le dimanche, on voulait zéro complication de matos ou d’arrière-scène, faire un truc faaaciiile. » Allez.
Et l’art contemporain ?
Année après année, des journalistes enthousiastes en pleine descente estivale, du sable encore coincé dans le clavier, le présentent comme le « petit festival qui deviendra grand ». Grand, vraiment ? Si, au bout de huit ans, Baleapop est certes parvenu à toucher près de 9000 festivaliers sur cette dernière édition, on est encore loin des centaines de milliers de personnes d’un Dour. Mais c’est parce qu’on en a rien à carrer, en fait. « Baleapop, c’est huit ans d’amateurisme festif ! » Le moins cher possible, populaire, pas sérieux, il n’a rien des machines à fric faites pour consommer que sont devenus la plupart des gros festivals internationaux. Petit festival qui compte bien le rester, oh oui.
C’est vraiment parti de six potes à un apéro qui se sont dit : “Ah vas-y et si on faisait un festival ?” Il y a ce côté pas très carré, mais qui en même temps est une force de Baleapop.
L’essence profondément DIY du festival, l’esprit tous bénévoles et les galères sans camping : sans aucun doute, on kiffe. Mais dans le train du retour, on s’interroge. Et l’art dans tout ça ? C’est l’un des seuls festivals français de « musique et art contemporain », et on n’a quasiment rien vu de la prog art, assez discrète. Cette année, Baleapop a noué un partenariat avec les étudiants des Beaux-Arts de Bordeaux pour présenter un line-up de performances perchées. Le paysage chaotique créé dans un recoin du parc par Leny Lecointre relevait du merveilleux lynchien, les déambulations interactives de Léo Landreau (qui fut l’un des performeurs de Tino Sehgal au Palais de Tokyo) invitaient à la magie de l’instant et de la rencontre. Une sélection pointue convoquant le design, l’architecture et l’interactivité, un niveau d’exigence digne des galeries les plus classes (coup de cœur pour les instal féériques des prometteurs Karim Forlin et Hoël Duret) – pourtant assez peu mise en avant dans le programme et dans le parcours festivalier.
Manon Boulart, orga mais surtout artiste dans la vraie vie, concède la difficulté de l’exercice : « Un “festival d’art contemporain” n’existe pas. Il y a des biennales, des foires. Montrer des œuvres en extérieur, c’est un challenge bien compliqué. Notre parti pris, c’est de briser les frontières entre musique et art. » Comment interpeller un public majoritairement venu pour la musique ? Comment jouer du contexte de fête, de l’éphémère nocturne, du plaisir instantané et de l’environnement sonore, pour toucher et surprendre hors du white cube élitiste ?
Parce qu’on voulait en savoir plus, on a interviewé les trois artistes des Beaux-Arts de Bordeaux invités au Baleapop, Léo Landreau, Leny Lecointre et Gilles Sage. À lire bientôt !