Collectif atypique et audacieux fondé il y a une dizaine d’années, Astéréotypie apparaissait déjà en 2022 au cœur de L’Énergie positive des Dieux, film documentaire primé au festival FAME. Désormais, avec la sortie d’Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, troisième album de ce traitement médico-musical percutant, les jeunes autistes se transforment en véritables rock stars.
« Fin Janvier début Février on a vu un alien à Belleville / En fait c’était un mec déguisé, on l’a tabassé. / […] En histoire-géo j’ai revu la 3ème guerre mondiale / McCartney a fait ma première partie en Juin au parc de Sceaux ». À l’écoute de ces couplets loufoques d’Astéréotypie, extraits de « Mon Chat a 44 ans », si l’on n’est pas briefé sur la nature du projet, on pourrait de prime abord soit penser que les artistes ont écrit ces paroles en jouant au cadavre exquis, soit qu’il s’agit de cut-up ou bien d’écriture automatique sous l’influence de psychotropes. Pourtant il n’en est rien.
Ce collectif singulier est né lors de la précédente décennie à l’Institut Médico-Éducatif de Bourg-la-Reine. La principale particularité de ce groupe à formation vocale variable est que, nonobstant les musiciens accompagnateurs, tous ces chanteur·euses-auteur·trices·interprètes sont atteint·es de troubles du spectre de l’autisme (TSA).
En France, 700 000 personnes sont concernées par le TSA (dont 60 000 autistes parmi elles) selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. « Les personnes concernées semblent souvent isolées dans leur monde intérieur et présentent des réactions sensorielles (auditives, visuelles, cutanées…) particulières », décrit l’INSERM. 50% à 55% d’entre eux·elles n’ont aucune déficience intellectuelle et pour certain·es, iels « développent même des capacités hors-normes, notamment lorsqu’il s’agit de sujets en lien avec des centres d’intérêt spécifiques », souligne Autisme info service.
Voici sûrement la clef de l’approche si disruptive d’Astéréotypie. Une écriture passionnée et libératrice qui n’a cure de la norme ni de la bienséance, scandée sur une instrumentation post-punk aux sonorités parfois bruitistes. Cette démarche aussi émancipatrice que bienveillante menée par Christophe L’Huillier, éducateur et musicien, est d’ailleurs bien rodée. Dès 2012 paraît un premier album éponyme, suivi d’un deuxième, L’Énergie positive des Dieux, six ans plus tard.
Le film de Laetitia Møller (2020) qui suit Astéréotypie lors de répétitions, ateliers d’écriture, concerts (notamment à l’Élysée) et interviews dans les médias, a justement choisi l’intitulé de ce deuxième opus comme titre. Touchant, autant dans sa sincérité que dans sa vitalité, ce documentaire a été couronné lors du FAME 2022, festival international de films sur la musique, par le prix du public.
Des ateliers d’écriture aux scènes des quatre coins du pays
Les figures de proues de ce projet qui valorise l’altérité se nomment Claire Ottaway, Stanislas Carmont, Yohann Goetzmann et Aurélien Lobjoit. La première nourrit une passion pour les contes d’Heroic fantasy en « aspirant » des livres en médiathèque, le second suit quant à lui religieusement les allocutions politiques dans les médias télévisés, nous apprend le film de Laetitia Møller.
Initié·es lors d’ateliers d’écriture dirigés par Christophe L’Huillier, les participant·es imaginent des situations basées sur leur vécu. Iels développent ainsi les thématiques qui leur viennent à l’esprit et qui leur tiennent à cœur, à l’instar de Kevin Vaquero qui, dans le précédent opus, traitait dans « Le Cachet » des fâcheux inconvénients de son traitement médicamenteux. « Qu’ils parlent du monde tel qu’ils le voient ou qu’ils le voient tel qu’ils en parlent, les textes d’Astéréotypie et les voix qui les portent sont des révélateurs hypersurréalistes de leur biotope de supermarchés, de télé, de chiffres, de biens de consommation, de véhicules, de personnages historiques et d’injonctions diverses », peut-on lire dans leur dossier de presse.
C’est à ces jeunes personnes à la sensibilité exacerbée, aussi motivées que persévérantes, qu’est léguée la responsabilité d’écrire les textes des chansons et de leur donner vie sur scène. Notons également la présence de Félix Giubergia qui en a signé trois, notamment « Mon Chat a 44 ans », mais qui refuse cependant de les performer.
Du côté des musiciens qui donnent harmonieusement forme à ces lyrics hors-normes, on retrouve naturellement Christophe L’Huillier, pilote du projet, à la guitare et Benoît Guivarch aux synthés. Arthur B. Gilette et Eric Tafani, membres de Moriarty, se chargent quant à eux des textures sonores à la guitare et de la batterie.
En plus de l’écriture, ces apprenti·es artistes désormais confirmé·es s’imprègnent également d’un éveil musical. Iels sont amené·es à canaliser leur concentration pour utiliser des instruments comme le clavier synthétiseur ou le xylophone qu’iels jouent par la suite sur certaines compositions.
Baptisé Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, choisi d’après une des chansons de ce treize titres sans pareil, cet album transmet une représentation autant vivifiante qu’inhabituelle du TSA. Dans ce travail artistique, le collectif dépasse un schéma de composition aux thèmes aussi décatis qu’éculés. Le résultat est incontestablement des plus surprenants. Il revient d’une certaine manière à une essence punk du DIY aux paroles sans prétention intello. Une considération qu’il serait bon de garder à l’esprit, l’innovation musicale semble une fois encore résider dans le combat des minorités pour se faire entendre.
Astéréotypie est en concert à la Gaîté Lyrique le 20 mai.
Photographie en Une : © Chloé Rafat