Manifesto XXI – Que représente cette série ? Qu’est-ce que ces « Mondes résiduels » ?
Arthur Grand : C’est une espèce de résidu qui se forme à la surface du thé. Ça s’appelle le « tea scum« . Son apparence dépend de différents paramètres : l’eau, sa minéralisation, la température, le taux d’humidité, la nature du thé que tu fais infuser et la nature du récipient dans lequel tu mets le thé. Tout cela agit ensemble pour former une pellicule très fragile qui change pendant environ une semaine et qui ensuite commence à moisir. La matière s’accumule pendant 36 heures environ et tu peux travailler dessus. Si tu enlèves un petit bout de cette surface de résidu, il y a encore du tea scum qui va se déposer à cet endroit vide, mais il aura une texture et une couleur différentes. Ça va remplir des interstices, interagir avec une partie infime qui était restée à la surface de l’eau, donc cela aura une forme ou une couleur particulières. C’est assez vertigineux, tu peux faire des choses incroyables.
Comment as-tu été amené à t’intéresser à ce phénomène ?
Je bois beaucoup de thé, et un jour j’ai laissé traîner un bol que j’avais bu à moitié sur le bord de la fenêtre. Quelques heures plus tard, je l’ai récupéré et ça avait fait quelque chose d’étrange. C’était au moment où je commençais à m’intéresser à la photographie. J’ai voulu voir ce que cette chose donnait en photo. J’ai eu un résultat bien meilleur que ce que j’imaginais alors j’ai continué, j’ai expérimenté. J’essayais d’obtenir de nouvelles formes, de nouvelles couleurs en enlevant de la pellicule à la surface.
C’est un hasard qui n’en est pas vraiment un. J’aurais pu ne pas prêter attention à ce thé qui s’était transformé mais je crois assez fort en ces instants que tu saisis. Ces instants révèlent ce qu’il y a de plus profondément caractéristique de toi. C’est ce qu’il s’est passé avec le thé. La tension entre le minuscule et le gigantesque que l’on retrouve dans cette série est une chose que j’aime beaucoup, que ce soit dans la littérature, la peinture ou le cinéma.
Je ne crois pas tellement à la création avec la déification et la vanité qu’on lui attribue. J’ai plutôt l’impression d’être un filtre : j’avale toutes sortes de perceptions, ça mouline et il y a des choses qui sortent en interaction avec ce qu’il y a autour de moi.
Comment choisir une photographie plutôt qu’une autre ?
Quand je manipule mes vasques de thé, quand je crée mes petits microcosmes qui en même temps évoluent tout seuls, c’est effectivement dans la sélection que quelque chose d’intéressant se passe. En observant certaines formes et d’autres, il y a des agencements plus organiques que d’autres et ceux-ci auraient tendance à créer une belle harmonie, une harmonie qui se met en place là où autrement elle ne se met pas.