Grindr a-t-il désormais l’apanage du marivaudage ?
Eve Escofet Miro, commissaire, et Seumboy Vrainom :€ invitaient récemment une poignée d’artistes à proposer leur vision des liens affinitaires, à l’heure où nos interactions se vivent en premier lieu sur les réseaux, et les badauds ensoleillés à la découvrir samedi passé à la Villa Belleville. Hasard du calendrier, c’est par les réseaux que je fus convié à la parcourir, depuis une campagne voisine. Une visite virtuelle à point nommé pour mettre en abîme le propos de ce projet au titre hardi, « L’amour a ses réseaux que le réseau ne connaît pas. »
Je « pénétrais » ainsi, à cent kilomètres de là, dans l’atelier de Seumboy, mi-galerie, mi-espace de vie, pour découvrir les propositions de sept jeunes artistes. D’un autre écran, je suivais la performance simultanée, virtuelle celle-là, du co-organisateur. J’y reviendrai.
Ma visite commence, l’œil toujours tributaire de la main d’Eve. Sujet à son bon vouloir, il ne peut papillonner, est contraint par l’angle réduit. Il est en même temps plus concentré, focalisé sur une œuvre et attentif aux détails. L’installation centrale d’Amandine Maas m’est d’abord présentée. C’est un smartphone perché sur une chaise, qui cadre en arrière plan un paysage peint à l’huile. C’est une machine à rêve moderne, évidente potacherie de la représentation de soi formatée sur les réseaux. C’est une vanité, celle de notre ère esthétisante, où l’art n’est partout qu’à « l’état gazeux », comme le notait Yves Michaux. Y manque peut-être la gravité ou le mystère, qui cèdent ici le pas à un kitsch entendu.
Mon écran remonte le long de la cimaise, est saisi par un éclat iridescent. Jimmy Beauquesne a fixé là un dessin, au crayon de papier, séparé de moi par un plexiglas chromatisé. Le polymère thermoplastique ne renvoie d’abord qu’un reflet, celui de la fenêtre de l’atelier, il résiste. Je dois demander à approcher au plus près du mur pour en percevoir le détail. Un jeune homme, noir, langoureux. Cette résistance, c’est celle que Beauquesne rencontrait lorsqu’il a reproduit ces portraits d’inconnus, accostés sur Grindr, et les a renvoyés à leurs modèles surpris. Elle incarne aussi cette marge fine, entre intime et publicité, qui caractérise les réseaux affinitaires. L’artiste s’est saisi de cette marge, en présente ici la fascinante ambiguïté.
La visite virtuelle atteint ses limites face aux œuvres vidéo. Celles de Billie Thomassin, cathodique et rythmée, et de Pauline Ghersi, post-internet et houellebequienne, devront être vues plus tard, sans le double filtre de ces écrans superposés. Difficultés également à percevoir le relief des dessins et collages de Marthe Pequignot, digressions sur une déconnexion espérée.
Je ratai, enfin, la performance de Louise Ronk-Sengès et Fabien Pages, prévue un peu plus tard dans la journée. Mais j’eus la chance d’assister, à celle de Seumboy Vrainom :€, depuis son atelier comme sur Facebook, où il se produisait alors.
Jadis, des écrivains publics, aux faubourgs attablés, prenaient la plume pour enflammer de mots les déclarations d’amoureux populaires. À l’occasion de cette journée d’exposition, Seumboy s’en fit le pendant contemporain, au cours d’une performance inédite. En direct vidéo sur Facebook, il invitait les passants virtuels à taguer une connaissance. Seumboy leur ferait ensuite, improvisant au moyen de données glanées sur leurs profils, d’ardentes déclarations.
Depuis plus de 10 ans, déjà, les réseaux sociaux induisent un biais sur nos pratiques collectives. Ce biais constitue un sujet d’étude désormais canonique, qu’il soit l’objet du chercheur en sciences cognitives, du sociologue, de l’écrivain ou, ici, du plasticien. Cette performance, comme l’ensemble de l’exposition, prend le parti d’une poétique de ce quotidien scandé de notifications. Il est plus fécond, et contemporain, qu’une approche anxiogène et édifiante. Approche que l’on retrouve parfois lorsque ce thème est abordé par la précédente génération. Car le cadre est donné, il s’est imposé à nous, et ne devrait désormais évoluer qu’au gré de l’innovation, d’abord, et des lois qui tenteront de tenir le rythme des réseaux. Reste alors la question des usages, personnels, que traitent ici de prometteurs artistes. L’enjeu n’est pas tant de remettre en cause ces plateformes, qui font désormais systèmes, mais d’en saisir les détours, les chemins de traverse, qui nous contraignent ou, au contraire, affranchissent.
« Petite salle, petits tableaux, et j’allais dire, injustement, petit art. » Je ne dirai mieux que Marcel Proust, rapportant une exposition à la Galerie George Petit, en décembre 1890. Si la modestie des lieux et des moyens réduisent encore l’ambition d’Eve Escofet Miro et Seumboy Vrainom :€ à sa portion congrue, on ne doute pas que la pertinence du propos, la balance efficace des médiums, devraient leur permettre de l’accrocher bientôt sur des cloisons plus vastes. On espérera la vivre IRL.
Pour aller plus loin :
Jimmy Beauquesne
http://jimmybeauquesne.com/
Pauline Ghersi
https://vimeo.com/user5797761
Amandine Maas
http://www.amandinemaas.com/
Marthe Pequignot
https://www.instagram.com/marthepequignot/?hl=fr
Louise Ronk Sengès
https://vimeo.com/190758768
Billie Thomassin
http://www.billiethomassin.com/
Seumboy Vrainom :€
https://www.youtube.com/channel/UCfrFiuTffYCRGzQsdIvcgmQ