Un son classieux, doux et sensuel, nourri aussi bien de l’héritage french touch ou eighties que des rythmiques trap et des codes pop modernes ; c’est ce que nous propose le producteur parisien Anton Ewsky dans son premier EP 1991, qui n’a pas mis longtemps à nous séduire. Chaleureuse et évocatrice, sa musique fait naître de douces romances d’été dans nos imaginations stimulées, entre dunes de sub enveloppantes, mélodies enivrantes et écume synthétique, au fil des narrations cryptées d’un vocoder langoureux. Portées par un lent balancement hypnotique et de délicieuses harmonies, ses compositions invitent spontanément au lâcher-prise et à la contemplation. Avec déjà un EP et une mixtape au compteur déployant un univers aussi qualitatif que singulier, les sirènes sonores d’Anton Ewsky ne devraient pas tarder à en charmer plus d’un-e…
Manifesto XXI – Tu as commencé par le piano classique ?
Anton Ewsky : Oui, j’ai fait à la fois du piano classique et du piano jazz, et j’ai une formation théorique, qui m’a permis de pouvoir composer assez rapidement.
Et comment s’est faite la transition entre cette éducation et la composition/production ?
C’est vers la fin du collège, début du lycée que je me suis approprié la musique plus personnellement, quand j’ai commencé la guitare en fait. Au fur et à mesure j’ai pris goût à la composition et j’ai essayé des esthétiques différentes.
Et quel a été le déclic de ce projet solo ?
Ça fait très longtemps que je fais de la musique mais ça doit faire un an et demi que je m’y suis mis de manière plus professionnelle. J’avais un groupe juste avant dans lequel je rappais et produisais certaines prods, qui m’a aidé à avancer dans cette voie. Je l’ai quitté parce que ça ne me correspondait plus trop, et que je voulais faire ma propre musique, qui me représente vraiment. Du coup j’ai voulu créer un projet pour pouvoir montrer et partager mon travail.
Est-ce que ça a été difficile de définir l’identité de ce projet ?
Je suis passé par pas mal d’étapes, mais plusieurs éléments apparaissent dans tous les morceaux et créent la cohérence, par exemple le vocoder, la basse sub ou les rythmiques trap. J’ai fait l’acquisition d’un synthé vocoder il y a environ un an, j’ai tout de suite bossé sur un premier morceau, « Youth », ensuite j’ai essayé plein de choses, avec ma voix, en invitant des gens sur le projet… Mais au final le vocodeur s’est imposé sur tous les morceaux. En tout cas je voulais que ce soit un projet cohérent oui, il y a toujours un côté assez calme, un intérêt mélodique et harmonique, et une coloration pop.
Tu te verrais faire plus de morceaux purement instrumentaux à l’avenir ou pas spécialement ?
En fait j’ai commencé par faire des morceaux instrumentaux, très progressifs, sans structure… C’est ça que je faisais au début, et j’y reviendrai peut-être, mais j’aime aussi beaucoup le côté pop, avec des refrains, des thèmes… Les deux m’intéressent, mais en tout cas là ce qui me plairait ça serait d’inviter des voix, pour d’autres rendus et plus de nuances que le vocoder.
Pourquoi ce titre d’EP 1991 ?
C’est tout simplement mon année de naissance, car j’envisage cet EP comme une sorte de naissance artistique.
Les éléments organiques de tes productions sont le clavier, la guitare et la voix ?
En fait je joue et compose tout, les synthés, les leads, les claviers… Je n’utilise aucun sample, j’utilise essentiellement du software, que je contrôle avec un clavier-maître. Je joue aussi les guitares, et je chante derrière le vocoder.
Donc tu fais tout tout seul, est-ce que ça te pèse parfois ?
J’ai commencé tout seul parce que je voulais être totalement libre, mais au fur et à mesure que j’avance et que je collabore, je me dis qu’au final ça pourrait être intéressant de s’associer car tu as d’autres énergies, d’autres idées, et ça n’empiète pas forcément sur ta créativité à toi. Ce qui m’embête le plus c’est que je suis quelqu’un d’assez dur avec moi-même, et j’ai l’impression d’être bipolaire ; à un moment je vais faire quelque chose qui me plait à fond, et si pendant dix minutes je fais de la merde, je vais avoir l’impression que je suis bon à rien et que j’y arriverai jamais. Ces vagues-là sont épuisantes moralement à gérer. Alors qu’à deux tu peux t’aider quand ça bloque et relativiser plus facilement. C’est pour ça qu’en ce moment j’ai plusieurs projets de collaboration en tête.
Tu as déjà envisagé de faire de la scène avec ce projet ?
Oui, j’y travaille. Je suis en train de monter un set live. Je jouerai des morceaux de mon projet mais pas uniquement.
Et quelle place accordes-tu à l’aspect studio ?
Même si mon travail sur le live me prend beaucoup de temps, je ne laisse pas tomber le studio. J’aimerais beaucoup produire un univers sonore complet pour une chanteuse par exemple.
Tu as mixé ton EP 1991 toi-même ?
Oui, après je pense qu’il y a des choses à redire car je me suis formé tout seul, mais il me semble que ça tient la route. Je suis toujours en train d’apprendre, car ça m’intéresse aussi beaucoup.
Il y une inspiration très french touch et urbaine dans ce que tu composes, d’où ça te vient ?
J’ai été énormément inspiré par la french touch oui, surtout Daft Punk… Bien sûr, ça m’a influencé, sur le choix du vocoder par exemple. Je connais moins bien ce que font les nouvelles générations, mais il y a des choses inspirantes aussi.
Dans la scène urbaine je suis plus inspiré par les Américains. J’écoute beaucoup les prods, et je trouve que les leur sont vraiment riches. Évidemment qu’il y a du talent en France, mais on ne les entend pas assez, et ce qui est mis sur le devant de la scène est, en général, moins qualitatif.
Je suis moins calé sur la pop, mais certaines choses me stimulent oui, Tame Impala par exemple.
Tu as sorti un clip pour « Youth », comment as-tu travaillé dessus ?
J’ai écrit et réalisé le clip, puis je me suis entouré d’une petite équipe. Ça reste de l’autoprod, mais on a essayé de faire ça proprement.
As-tu des choses en tête pour le développement visuel de ton projet ?
Je n’ai pas d’idée précise de ce que je veux faire en termes d’image, mais je sais que je suis attaché à créer des clips, et à m’occuper de la DA dessus.
J’ai aussi toujours voulu faire un court-métrage, j’ai de plus en plus d’idées, j’y pense, j’espère que c’est quelque chose que je pourrai faire à l’avenir.
Ma musique a, je crois, quelque chose de très visuel, peut-être moins mes derniers sons plus pop, mais mes anciens sons ressemblent vraiment à de la musique de film.
Est-ce que tu as déjà réfléchi aussi à produire pour l’image, le cinéma, la mode, la publicité, les marques…?
Ce sont des choses qui m’intéressent, après ça dépend quoi. Le pub financièrement évidemment c’est intéressant, mais c’est comme dans tout si tu veux y arriver il faut t’investir énormément, faire des rencontres… Et je préfère dépenser mon énergie et rencontrer des gens dans le monde de la musique ou du cinéma plutôt que de la pub. Après la mode c’est un monde que je connais très peu, mais pourquoi pas, ça dépendra des opportunités.