Vincent Pflieger alias Streetadelic, photographe et vidéaste français expatrié à New York, était sur la 5e avenue en bas de la Trump Tower muni de son appareil après l’élection du futur (improbable) président américain. Rencontre avec le street photographer, et retour sur cet événement malheureusement marquant de 2016 grâce à ses clichés accentuant l’énergie et l’humour de la foule en ce lendemain de cuite collective.
Manifesto XXI – Question introductive, comment en es-tu arrivé à la photo ?
Vincent Pflieger : La photo est arrivée par hasard. C’est toujours une pratique amateur même si des magazines s’intéressent à ce que je fais. J’ai commencé avec les téléphones, avec Instagram, grâce à la démocratisation de la photographie.
Un jour, par hasard, je traînais chez mon père et j’ai retrouvé son vieil appareil, qui était l’appareil familial. Un vieux Yashica. J’ai essayé, la première pellicule ne ressemblait à rien, la deuxième non plus, et après j’ai commencé à voir des résultats. Avec l’argentique, j’ai commencé à photographier les gens dans les villes, de manière resserrée.
Quel lieu pour ta première série ?
C’était le métro parisien, Pigalle. C’était plutôt de l’instinct au début. Je shootais au hasard.
Tu t’intéressais à des artistes photographes de rue avant de faire de la photographie, Cartier-Bresson, Vivian Maier par exemple ?
Je connais Cartier-Bresson, Robert Capa, plus des photographes de guerre. Mais c’est venu en parallèle plutôt. J’ai aimé tout de suite faire de la street photography.
Tu t’es préparé à faire une série sur des manifestations après l’élection de Donald Trump ?
On ne s’attendait pas à l’élection. Spontanément les gens sont descendus dans la rue, et de toute façon, je voulais y aller pour faire un petit reportage et protester. C’était un jour historique. J’ai fait des études de journalisme, c’est un pivot important dans mon travail photographique. J’y reviendrai sûrement plus sérieusement. J’y suis allé en tant que citoyen et pour couvrir l’événement. Beaucoup de gens différents, de diversité, beaucoup de femmes.
Que voulais-tu capter en priorité avec tes photographies dans la foule ?
Ce qui m’a surpris, en tant que bon français qui a manifesté plusieurs fois, c’était le nombre de pancartes, de slogans, de chants. Je cherchais des gens différents, avec des slogans intéressants. C’était beaucoup à l’instinct, en slalomant entre les cortèges. Je m’intéressais à ceux qui faisaient le plus de bruit, ceux faisant moins de bruit. Une des premières photos que j’ai faites, c’était une petite fille, française d’ailleurs, qui était descendue de sa chaise roulante pour écrire sa pancarte « Les handicapés contre Trump », j’avais trouvé ça assez fort. J’ai pris la photo mais je ne la trouvais pas aussi puissante que l’image que j’avais vue. Ça réunit beaucoup de gens qui n’avaient pas de points communs à la base. Le but était de prendre le pouls de la manifestation.
En tant que Français, comment as-tu appréhendé l’événement, surtout toi qui as un regard assez journalistique par ton parcours ?
J’ai toujours aimé la politique, dans ma famille on en parlait beaucoup. Après mes 20 ans je gardais mes distances, ça ne m’intéressait plus. Pour Trump, tout le monde en entendait parler, dans tous les pays. Même si c’était une blague au début, je regardais ses vidéos en rigolant, et puis le soir de l’élection on était plutôt confiants. Même si Clinton n’était peut-être pas la meilleure alternative, face à Trump toute alternative est idéale. Au fur et à mesure il gagne des États, tout d’un coup ça y est, il passe. Les rues sont calmes, des mecs bourrés crient « Vive Trump », d’autres pleurent et disent « Fuck Trump ». Trump est l’animal politique qui peut être fascinant. Le discours populo fonctionne plus que jamais. C’est intéressant pour les expats, car ce qui s’est passé à Londres et ce qui se passe aux USA peut se passer en France. Je compte vivre encore deux ans à New York, alors forcément j’ai envie de connaître davantage le mec qui va nous « gouverner » et tenter d’en savoir plus sur mon statut futur puisqu’il veut rendre l’accès au travail pour les Français plus difficile.
Y a-t-il des choses que tu n’as pas voulu photographier ?
Pas vraiment, je ne m’interdis rien. J’ai aimé photographier des flics en train de faire des selfies ! Je shoote à l’instinct. Mais le cas des manifestations est particulier puisque les gens sont là pour se montrer et revendiquer quelque chose, ils veulent être photographiés, filmés. Au quotidien il y a plus de freins, même si j’essaie d’en mettre le moins possible.
Une photographie qui t’a fait rire ? Qui t’a ému ?
Une que j’ai trouvé forte : c’était une famille de Latino-Américains. La petite fille tenait un ballon qui disait « I love immigrants », ils étaient joyeux et en première ligne.
Sinon une assez drôle : une famille avec deux petites filles. Il y avait une pancarte qui disait « Happy birthday Hillary », et l’autre qui disait « I am the future (President) of America ».
Une expression de visage que tu as remarquée, qui t’as marqué ?
Ce qui m’a marqué, c’est que les gens étaient en famille, heureux. Il y avait beaucoup d’embrassades, ce n’était pas la grosse dépression. C’était bon enfant.
Par contre, en bas de la Trump Tower, il y avait quelques expressions déformées par les insultes.
Plus de rires que de pleurs.
Tu exposes tes photos ?
J’ai exposé à New York une fois. Une deuxième exposition est à venir à Brooklyn, à la Greenpoint Gallery.
Quelles ont été les réactions du public face à cette série ?
Je n’ai pas fait beaucoup de promotion autour de cette série, sauf sur Facebook. J’ai vu que sur Internet ça pouvait venir au débat, ce qui est très bien mais ça mène aussi aux clivages. Les pro-Trump sont plus actifs que les anti-Trump, ça peut amener beaucoup de velléités. Beaucoup d’insultes, ce n’est pas le but de mon travail.
Tu as donné un nom à cette série ?
Je ne donne pas souvent de noms, j’ai donné un nom basique : « Anti-Trump Protests on 5th Avenue » (en bas de la Trump Tower).
Quelque chose à ajouter ? Minute carte blanche.
Je veux souligner que je voulais surtout une dimension artistique de la pellicule en gardant la démarche street. Des couleurs, des gueules fortes, mixer les deux.