Fondée en janvier 2018, ALT, « Auteurs Lecteurs Théâtre », propose à tout public de se réunir lors « boums littéraires » pour découvrir des textes de dramaturges en devenir. Loin de se conformer à l’autorité de l’auteur « édité », ALT fait voisiner les artistes publiés avec les ceux qui ne sont pas entrés dans le giron d’une maison : la qualité, qui seule importe, l’emporte sur l’autorité.
ALT est ainsi un creuset où se rejoignent l’écriture émergente, l’illustration, et les arts de la scène. Pour mieux comprendre cet immense coup de pouce à un genre littéraire trop peu abordé, nous avons rencontré Annabelle Vaillant et Vincent Pavageau, fondatrice et fondateur de cet « espace itinérant de découverte théâtrale ».
Manifesto XXI – Quel est votre parcours, et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Annabelle : J’ai découvert le théâtre à 9 ans, par hasard. Mes parents étaient ouvriers, ils avaient un peu d’argent, ils m’ont proposé une activité : j’aimais faire rire les gens, alors j’ai choisi le théâtre. J’ai immédiatement choisi d’être comédienne. Après avoir fait à peu près tous les cours de théâtre de ma ville, (Chartres), je suis venue à Paris. J’ai fait différents cours et j’étudie à présent le clown.
Vincent : J’ai commencé le théâtre au collège. Après le bac j’ai fait une école d’ingénieur, au sein de laquelle j’ai continué, puis je suis entré dans un conservatoire parisien. J’ai rencontré Annabelle dans le comité de lecture éphémère du théâtre de la Colline. On aimait qu’on nous propose des pièces à lire. On aimait rencontrer des gens pour parler, discuter, et surtout, que cela ne se fasse pas qu’entre « gens du théâtre ».
ALT est aussi apparue avec le dessein de montrer que le théâtre contemporain peut intéresser tout le monde.
Pourquoi avoir eu l’idée de créer un autre comité de lecture ?
Annabelle : Au cours d’un comité une pièce que j’ai trouvée résolument sexiste fut présentée. Cela m’a immédiatement donné envie de reprendre l’initiative d’un autre comité de lecture, mais pour présenter des pièces qui ne soient justement pas sexistes.
Vincent : On voulait aussi que les pièces circulent en dehors du milieu du théâtre. À part une poignée de « théâtreux », qui entre dans une bibliothèque ou une librairie pour emprunter ou acheter un livre de théâtre contemporain ? ALT est aussi apparue avec le dessein de montrer que le théâtre contemporain peut intéresser tout le monde.
Cela a-t-il « pris », touché un public, rapidement ?
Annabelle : Nous avons vite obtenu des partenariats. La première année, notre réseau se constitua d’amis, et d’amis d’amis. Tout passait par les réseaux sociaux. Mais à présent, tout cela nous dépasse. On ne connaît plus tous les gens qui viennent.
Vincent : La première année nous avons dû démarcher de jeunes auteurs pour trouver des textes. La seconde année on en a reçu 80. La troisième 280. Fin mars aura lieu le prochain appel à texte. On le redoute presque ! (rires)
Annabelle : On cherche maintenant à s’étendre en dehors de Paris. Ça commence déjà : nos « microéditions » sont déjà en vente à Champs libres près de Limoges, un espace de résidence à Saint-Junien en Haute-Vienne, ainsi qu’à la Barge en Bretagne.
Concrètement, comment se passe une « boum littéraire » ?
Vincent : L’équipe artistique choisit des extraits des textes sélectionnés. Puis elle met en scène les textes – cela peut passer aussi bien par le corps, que par la musique, ou la voix. Une semaine plus tard, on se retrouve pour parler des textes avec l’auteur. Les dernières boums littéraires ont eu lieu au Shakirail, un lieu alternatif situé dans le 18ème. Quant aux rencontres, elles ont eu lieu au Théâtre de la Colline et au Monfort.
Annabelle : L’important pour nous est aussi que les évènements donnent un minimum d’audience et de visibilité aux auteurs, les mettant sous les yeux d’un public ou des éditeurs. Pour cela, on fait également une vidéo qu’on met en ligne, ainsi qu’une interview, qu’on publie sur la page dédiée aux auteurs et autrices du site internet.
Vincent : Sans oublier les microéditions des textes qui sont lus. Ils sont mis en page et illustrés, par une poignée de jeunes illustratrices. Les livres sont ensuite vendus pendant l’évènement, à prix libre. Cela permet à l’auteur de faire découvrir son texte sous une autre forme, de le voir qui circule.
Quel type de public avez-vous donc rencontré ?
Annabelle : Tout le monde. Pas mal de gens curieux. Mais pas forcément des gens du milieu de l’art. Des comédiens ou des metteurs en scène bien entendu, qui voulaient découvrir des textes. Mais aussi et surtout, des gens curieux.
Vincent : Notre but n’est pas de réunir uniquement des artistes, même si cela a pu s’avérer fructueux. Par exemple lors d’une boum, un éditeur est venu écouter le texte d’une autrice dont il avait refusé un premier texte. Après l’avoir entendu, il a pris contact avec elle, lui a demandé de lui envoyer ce nouveau texte, qu’il a finalement décidé d’éditer.
Nous ne voulons pas de textes présentant la femme comme victime, on veut des figures fortes, qui jusque là étaient présentées comme des minorités, en position de faiblesse.
Quels sont les textes que vous avez envie de porter ?
Annabelle : Les textes qu’on défend sont avant tout des textes dont on a envie de parler. Des textes qui ouvrent de nouvelles visions, allant vers de nouveaux imaginaires. Hormis cela, nous n’avons pas identifié de critères de sélection particuliers ; mais nous ne voulons pas de textes présentant la femme comme victime, on veut des figures fortes, qui jusque là étaient présentées comme des minorités, en position de faiblesse. On veut montrer ce qui change. Des textes qui parlent d’une époque en somme. Les jeunes auteurs ont quelque chose de vif et d’ardent. Cela ne veut pas dire qu’il faut fuir les textes d’auteurs plus âgés. Juste que les textes de jeunes auteurs ont droit à leur place. On est donc aussi là pour leur dire « on croit en vous ». Car si on regarde l’histoire de l’art, les gens qui ont réussi étaient des gens à qui on a ouvert la voie, donné une chance : on veut donner une place aux jeunes auteurs. Nous avons une énergie qu’on leur transmet, parce qu’ils ont une énergie à nous transmettre. Sur n’importe quel sujet, une frange jeune a quelque chose à dire de plus. Quand on est jeune, on est dans un moment de recherche plus effrénée. On se demande avec inquiétude : « Comment appréhender le monde ? » Et on le regarde avec d’autant plus d’acuité.
Pensez-vous que ce soit la nouveauté, la jeunesse de regard, qui l’empêche de trouver sa place ?
Vincent : Difficile à dire. Pour les jeunes auteurs, le processus d’édition est un serpent qui se mord la queue. Il faut être édité pour être joué, il faut être joué pour être édité ; ou alors, pire : il faut être édité pour avoir droit à des résidences d’écriture, et faire des résidences d’écriture pour écrire quelque chose susceptible d’être édité. Bref. Difficile de rentrer dans la boucle. Nous, on veut justement offrir cette alternative. « ALT » veut d’ailleurs dire « Alternative ». Sur le clavier, c’est aussi la touche qui seule ne sert à rien. Elle doit être combinée, c’est une touche qui permet de faire du lien.
Annabelle : Il y a peu de place pour les jeunes auteurs de théâtre contemporain, et encore moins si on pense à la profusion de textes qu’ils représentent. Nous vivons une époque nouvelle, qui change vite. Il va donc de soi que les jeunes regards sont les plus à même d’en dire quelque chose, tout du moins quelque chose de neuf. Et pourtant…
Qu’est-ce qui explique ce manque de place pour les jeunes auteurs ?
Annabelle : Je pense qu’il y a d’abord le règne du metteur en scène roi, qui depuis plusieurs décennies est plus mis en valeur que l’auteur. On va voir le spectacle d’un metteur en scène, non pas d’un auteur. Ce dernier s’est peut-être trouvé déprécié de la sorte. De plus, la vogue de l’écriture de plateau a peut-être laissé peu de place au texte écrit d’une manière plus traditionnelle.
Vincent : Mais si le théâtre existe pour faire se rencontrer des gens et des idées, alors il faut que le texte ait le même rôle.
La prochaine boum littéraire aura lieu le vendredi 6 mars au Shakirail (Paris 18e). Samedi 14 mars : prochaine rencontre au Théâtre de la Colline (Paris 20e).