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Alfa Mist fait l’état des lieux avec Bring Backs

Alfa Mist fait l’état des lieux avec Bring Backs

Alfa Mist
Le jeune compositeur et musicien Alfa Mist sort aujourd’hui son quatrième album, Bring Backs, son premier sur ANTI- Records. L’étoile montante souhaite y retracer son parcours de jazzman autodidacte et honorer sa communauté. Il puise dans les codes du jazz et du rap UK qui s’imposent progressivement comme une forme de poésie moderne.

Depuis quelques années, Alfa Mist s’installe comme une référence dans les scènes anglaises émergentes de jazz moderne, lo-fi hip-hop et soul. Avec Bring Backs, l’autodidacte nous livre une introspection sonore qui retrace son parcours de musicien et d’individu. Il analyse, tout en poésie, les limites du succès et l’importance de la communauté. C’est un album travaillé tel un conte dans lequel on retrouve des protagonistes unis par une même réalité, sensibilité et envie de s’émanciper des attentes sonores.

Autobiographie sonore

Le titre de l’album Bring Backs fait référence à une règle dans le blackjack, un jeu de cartes auquel Alfa Mist jouait enfant. Comme il l’explique dans une interview avec la DJ Jamz Supernova sur BBC Radio 1 Xtra, la victoire d’un·e joueur·se n’est jamais définitive : même si on a toutes les cartes, on ne peut pas célébrer sa victoire avant la fin du tour suivant. Symboliquement, cette prudence se retrouve dans sa vie.

Si Alfa Mist se présente de plus en plus comme une référence dans le jazz contemporain, il sait que l’état actuel de l’industrie et la compétition sont rudes. Si un jour on se retrouve au sommet, la situation peut être ébranlée à tout moment. Il en parle d’ailleurs dans « Organic Rust », en clamant : « trying to stabilize while my health deteriorates » (« j’essaie de me stabiliser tandis que ma santé se détériore »). Au succès, succède bien souvent une production frénétique qui peut déstabiliser.


Dans une interview avec le média Loud & Quiet, Alfa Mist donne une autre explication à cette métaphore du blackjack. Dans celle-ci, il parle plutôt de sa place en tant qu’individu en Angleterre. Alfa Mist a grandi dans le quartier de Newham à Londres mais sa famille vient d’Ouganda. Il raconte ce que c’est de grandir dans ce quartier défavorisé et de se voir considéré comme immigré dans un pays qui est le sien. Ainsi, l’artiste est conscient que tout peut vite lui glisser des mains (« you’ve seen poverty growing up, so no one can tell you what you have now can’t slip out of your hands »).

C’est aussi une façon de rendre hommage à cette communauté qui l’a vu grandir. Subtilement, les neuf titres de l’album sont ficelés autour d’un texte de la poétesse Hilary Thomas. Le poème retrace l’histoire de sa propre mère, immigrée de Jamaïque. Thomas souhaite mettre en avant les obstacles qui se présentent lorsque l’on cherche à trouver une vie meilleure en Angleterre. Au-delà des difficultés, elle conclut sur un mot d’espoir : la solidarité permet le changement.

L’émancipation des diktats théoriques

Cet album est aussi l’occasion pour lui de faire le point sur son parcours de musicien. Alfa Mist découvre le jazz grâce à des samples retrouvés dans des sons de J Dilla ou Madlib. Ces inspirations nourrissent ses premières productions plus orientées hip-hop. Il entraîne son oreille et apprend le piano seul en misant sur l’improvisation et la mélodie. Alfa Mist se fraye son chemin individuellement, sans éducation musicale classique et théorique, et c’est sûrement cela qui inscrit sa singularité dans le paysage contemporain.

L’album Antiphon, sorti en 2017, est la composition qui projette Alfa Mist sur le devant de la scène. À l’époque, il souhaite créer une œuvre qui le représente au mieux avant de produire pour les autres. Une sorte de CV musical qui montre ce dont il est capable et qui le distingue des autres. Indéniablement, on retrouve dans son dernier disque sa signature sonore, mais il semble vouloir y mettre en avant ses collaborateur·rices : Jamie Leeming (guitare), Kaya Thomas-Dyke (basse), Jamie Houghton (batterie) et Johnny Woodham (trompette) l’entourent côté instruments. Kaya Thomas-Dyke, la bassiste, s’essaie également au chant dans « People », Lex Amor rappe sur « Mind the Gap », et l’on retrouve la parole chantée de Hilary Thomas tout au long de l’album. Sur les deux titres où figurent les voix féminines, Alfa Mist s’efface volontairement. On n’y retrouve pas ses accords de synthés et de piano qui lui sont pourtant propres.

Dans Bring Backs, Alfa Mist ne suit pas de trajectoire de composition prédéfinie. Chaque titre présente une configuration instrumentale différente ; petit clin d’œil possible à son affinité pour l’improvisation et l’envie de s’éloigner des diktats théoriques. Trompette, basse, clarinette ouvrent le bal dans « Teki », tandis qu’un violoncelle performe seul dans « Once a Year ». En chef d’orchestre, Alfa Mist aime varier les plaisirs et expérimenter.

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notes de bas de page Fania Noël

Avec cet album, Alfa Mist semble vouloir sortir de sa zone de confort. Il condense en quelques titres son évolution musicale tout en rendant hommage à son parcours au sein de sa communauté. Le Londonien puise avec sincérité dans son passé pour nous livrer un conte moderne, qui ouvre ainsi une voie pour les compositeur·rices de jazz d’aujourd’hui. Il prouve ainsi que la fusion du jazz et du hip-hop à l’anglaise a de très beaux jours devant elle. Pour les curieux·ses, nous vous invitons à également découvrir le travail de Moses Boyd, Tom Misch, Jordan Rakei, Ezra Collective, Yussef Dayes ou encore Jadasea.


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Photo à la une : © COLORS

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