En mai 2019, Actress annonçait son prochain album à venir. Plus d’un an plus tard, Karma & Desire sort sur Ninja Tune et dévoile une nouvelle facette du producteur britannique Darren Cunningham, plus connu sous son alter ego. On le retrouve plus posé et mélodique pour cet album qui, selon lui, exprime l’influence constante entre être et devenir.
Darren Cunningham, alias Actress, est une figure atypique de la musique électronique. Cynique parfois, très novateur souvent, il souhaite constamment redéfinir les codes trop établis du monde musical d’aujourd’hui. Il demeure énigmatique et ne dévoile que rarement les intentions de ses créations. En 2019, il annonçait son prochain album. Quelques mois d’attente plus tard, il lâche son cryptique mix 88 via son site web. 48 minutes de titres uniques assemblés sans construction narrative mais qui souhaitent répondre à la devinette « fate with love » qui apparaissait également sur son site. Quelques mois plus tard, c’est Karma & Desire qui est dévoilé au grand public : y est évoqué l’épopée romantique du ciel et de la terre. Actress examine l’influence constante du présent et du devenir, et le processus du karma.
“The street is your dancefloor”
En 2017, Pitchfork faisait une lecture sociologique du travail de Actress : chaque LP paru retranscrit l’ambiance générale d’une époque et se veut le reflet de mouvements sociaux. Ghettoville (2014), par exemple, exprime la monotonie musicale toutefois hantée par les spectres des débuts de la techno. Le tout agrémenté de scratchs et un grain puissant qui expriment la disparition de l’authenticité de la techno de Detroit, trop souvent revisitée à la légère. En 2017, Actress souhaite suivre la trajectoire d’un androïde se baladant dans des rues futuristes. Il parvient à transporter l’expérimental dans le club avec AZD. Actress analyse les mouvements de ces années, où les clubs se font moins glamour, plus sombres et mystérieux. Les clips sont parsemés d’athleteisure, entre sportswear structuré et vision futuriste, où les corps humains deviennent robotiques et sont calculés.
L’album comme procédé karmique
Karma & Desire semble être l’album le plus accessible de la riche discographie d’Actress. On y traverse des terrains tamisés de piano aux allures d’ambient mais qui sont réellement des sons à vous faire subtilement chalouper. Chalouper tout comme les protagonistes de cet album dont les voix sont celles de Sampha, Zsela, Aura T-09, ou encore Christel Well. Cet album est conçu pour la flânerie, l’introspection et l’investigation du karma. C’est d’ailleurs la première fois qu’Actress désire intégrer des voix et des paroles. Si elles demeurent énigmatiques et difficiles à déchiffrer, leur présence humanise l’album. Là ou Actress semblait vouloir personnifier le futur robotique dans ses albums, on se retrouve confronté émotionnellement et humainement. Nous pouvons d’ailleurs constater que Desire & Karma se veut plus réconfortant que les précédents albums. Dans une interview octroyée à Gonzaï, Actress évoque l’idée d’analyser le rapport entre paradis et vie sur Terre. Selon lui, Karma & Desire seraient deux sœurs qui voient chacune de leurs actions impacter le déroulement de leurs vies respectives et ce qui les environne. Les décisions de chacun.e sont donc prises avec réflexion et sagesse, ou en tout cas, en toute conscience du présent. Après tout, « destiny is stuck in heaven » (« le destin est coincé au paradis ») comme le clame Zsela dans « Rememberance ». C’est également le cas du déroulement de cet album sur lequel chaque titre est créé à sa façon, a sa propre dynamique et impacte la narration de celui ci.
Le symphonique se fait une place dans l’électronique
Cet album suit la trajectoire d’un être en quête de repentance. Certains médias parlent d’un retour vers l’organique de l’instrumental. Il est vrai que le piano est plus que présent dans cet album, agrémenté de basses rythmées. Plutôt qu’un retour, on parlerait ici d’une volonté nouvelle de combiner instruments et musique électronique. S’il est vrai que beaucoup, comme Aphex Twin dans Drukqs, se sont essayés à la composition plus classique, la dissociation des genres reste visible. Ces albums viennent même à être classés comme ambient. Mais depuis peu, nous observons une volonté réelle de contrer ces stigmatisations musicales et de combiner tout, surtout dans la scène électronique anglaise. Cela a pu être le cas pour le dernier album Planet Hearth (2019) de Calibre. L’album nous transportait grâce aux ondes de pianos étouffés mais restait fidèle à la drum & bass et l’essence de l’artiste. Dans Karma & Desire, Actress s’essaye à quelque chose de plus mélodique mais en restant fidèle à son expérimentation électronique. Il y invite d’ailleurs la pianiste Vanessa Benelli Mosell sur « Public Life ». Un titre qu’on écouterait bien en contemplant le rythme frénétique des passant.es dans la rue. Du classique et du live, certes, mais dans un registre uptempo et house. Peut-être Actress souhaite montrer que toute musique électronique, au-delà de l’ambient, peut se contempler en dehors du club, tout en y restant fidèle du fait de sa construction.
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Image de couverture © Jaxon Whittington