C’est ma dernière découverte en date depuis que je suis ici — environ deux semaines. Je traînais à l’American University, au nord-ouest de Beyrouth. C’est un campus à l’américaine, morceau d’Occident pullulant de chats (gâtés et choyés au point où y manger tranquillement un sandwich au poulet n’est pas vraiment envisageable) planté entre Hamra et le front de mer. Pour aller voir celle-ci il suffit de sortir à l’opposé de l’entrée principale, du côté de la piscine, par une zone à l’architecture qui se veut peut-être plus évocatrice de l’ambiance maritime méditerranéenne — et qui me fait beaucoup penser au Mucem ou à certains pavillons de l’exposition universelle de Milan.
Donc on sort par là, on prend les risques habituels en traversant la route — sans feux, sans passages piétons —, et on se retrouve sur la corniche, à enfin voir la mer autrement qu’entre deux buildings, pour la première fois.
J’ai alors sous les yeux un paysage qui se rapproche de l’éponge fossilisée — des sortes de piscines, cirques et canyons sont creusées dans la roche par les vagues mais aussi l’évacuation des eaux de la ville ; ces piscines et ces trous-du-diable empêchent toute possibilité d’exploration.
Je n’étends mon champ de vision qu’après avoir profité un peu de l’iode et la pollution des embruns qui me parviennent depuis la crête des vagues, portés par le vent. À ma droite, deux échelles rouillées sont fixées dans la roche que pourtant on ne peut pas atteindre sans enjamber la barrière qui sépare la promenade de la pierre. Une famille prend du bon temps dans un renflement de la roche exposé au soleil, en trempant les pieds dans les flaques, où l’eau n’est pas aussi dangereuse qu’au bord de la mer vive. Je sens les effluves sucrées d’une chicha sans la voir — elle est fumée par des jeunes adossés à la falaise de béton à gauche, dont on ne peut voir en se penchant que les baskets et les jambes. En face, l’eau trop agitée de la mer est d’un bleu qui me rappelle Van Gogh — de nombreuses nuances en une seule étendue d’eau.
C’est complètement à ma droite que se trouve la découverte du jour : je voulais regarder la montagne, et j’aperçois en fait le spot ensoleillé du coin, un vaste étalage de corps bronzés. Je m’approche pour observer, un peu coupable déjà de m’introduire dans cette étrange intimité.
Je n’avais jamais vu pareil déballage de masculinité. Par groupes, agencés selon une logique qui m’échappe dans les creux de la roche et sur la dalle de béton, des corps d’adolescents, de jeunes adultes, de papas qui ont amené leurs fils, de petits vieux qui pêchent, moins nombreux ces derniers — pas de femmes ou de fillettes à l’horizon si ce n’est une gamine un peu hallucinée assistant au spectacle depuis la promenade qui nous sert donc de balcon. Sous la barrière, donc, dans la fosse, des chaises et transats improvisés supportent de fiers corps masculins se pavanant, au choix, en slip de bain ou bermuda ; les hommes dont le séjour ici a vraisemblablement été improvisé, et suffisamment décomplexés, se contentent de leurs sous-vêtements. Diverses démonstrations de virilité sont à l’œuvre — du haut de la corniche, à l’aise sur mon promontoire, dans la limite des convenances, j’en surprends un qui gonfle et dégonfle son pectoral gauche tout en marchant de cette démarche d’homme qui imite le félin, les épaules réactives, saillantes, prêtes — quand bien même rien dans la situation ne nécessite de la réactivité ; ceux-là arborent souvent un tatouage de belle taille. Certains autres tiennent à montrer que le confort est à la portée de qui veut et calent leurs jambes de part et d’autre de leur siège en fumant leur clope ou leur chicha. Il y a aussi ceux plus gros, debout, une main sur la hanche, concentrés sur un point de leur champ de vision, comme pour lancer un défi tranquille face aux adolescents plus secs qui commencent tout juste à travailler leurs muscles et s’exposer au fond de ce théâtre.
C’est un espace où les virilités plus ou moins et différemment affirmées cohabitent en se montrant les unes aux autres, sous le regard des spectateurs inspirés — comme moi, un jeune homme habillé de noir sur un banc écrit sur son cahier avant de se remettre à lire et fumer. En observant la dalle je trouve des restes de piscine, toute en mosaïque turquoise décrépie, à proximité de la dalle qui sert à ces jeunes en caleçon et baskets fluo, pour une dizaine de minutes, de terrain de foot — jusqu’à ce que le ballon tombe à l’eau ; c’est partie remise jusqu’à sa repêche.
Au-delà de la corniche, les buildings inachevés, déjà démodés pour certains, fleurons d’une modernité porteuse de scandales immobiliers pour d’autres, typique des fronts de mer récents en général, font démonstration de la renaissance de Beyrouth. Ce spot semble ainsi être le témoignage d’une époque en train de passer et qui sera un jour révolue — dalle et baignade urbaine ; au-delà, s’étendent des collines aux multiples maisons et immeubles et encore plus haut, les montagnes libanaises dont la neige commence à fondre sur le versant ensoleillé. Le sommet du mont émerge d’une nappe légèrement gris-jaune à laquelle affleurent des nuages blancs plus communs. De la terre à la mer, cette nappe grise se déverse et se dilue dans l’air marin. ivermectine achat en ligne sans ordonnance https://www.aeroportlimoges.com/uploads/pages/ivermectine-achat-en-ligne.html ivermectine prix 2021 en France
Certains descendent avec une canne — mais qu’espèrent-ils pêcher dans ces eaux de plus en plus polluées où finalement, malgré la sueur qui trempe les peaux nues, personne ne se baigne vraiment ? Cette mer nourrie des eaux usées qui ont érodé la roche, et qu’un petit barrage peine à empêcher de déferler sur cette dalle.
Il est 13h, et la parade s’achève : une certaine torpeur gagne ceux qui se baignent encore de soleil alors que certains autres quittent les lieux. J’essaie de m’aventurer, honteusement, à prendre quelques photos le plus pudiquement possible, avant de poursuivre ma balade le long de la corniche pour découvrir d’autres eaux. La foule reviendra un peu vers 15h, après la sortie des classes et la fermeture de quelques magasins.
Le lendemain, je demande à quelqu’un qui vit ici depuis maintenant plusieurs mois :
— Mais ils sont toujours là ?
— Souvent. Toujours. Même en janvier ils sortent. Dès qu’il y a un peu de soleil en fait.