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3 questions à Fatima Daas sur la mémoire de la marche contre le racisme de 1983 

3 questions à Fatima Daas sur la mémoire de la marche contre le racisme de 1983 

Sur une proposition de Rokhaya Diallo, du 10 au 12 novembre le Centre Pompidou accueille un événement de commémoration des 40 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme, première marche antiraciste d’ampleur nationale en France.

En 1983, du 15 octobre au 3 décembre, des milliers de personnes ont marché à travers la France pour demander le respect de leurs droits. La marche a été lancée suite à une révolte dans le quartier des Minguettes à Vénissieux pendant l’été. L’un de ses initiateurs, Toumi Djaïdja a été victime de violences policières. Au départ à Marseille, il y a 12 personnes. Iels seront 100 000 à l’arrivée à Paris. Cette marche « constitue un moment clé dans l’histoire des populations non blanches et de l’antiracisme en France », c’est « le mai 68 des enfants d’immigrés » pour reprendre les termes du sociologue Abdellali Hajat. Pourtant sa mémoire peine à se transmettre, et c’est ce constat qui a motivé l’organisation de « Ouvrir la marche, 1983 – 2023: 40 ans de lutte contre le racisme ». Pour explorer l’héritage politique, culturel et militant de la marche, Rokhaya Diallo a convié des acteurices antiracistes, des chercheur·ses et artistes ; dont l’autrice Fatima Daas qui présentera un portrait de l’écrivain et cinéaste Mehdi Charef. Nous lui avons demandé de nous parler du récit fait de cet épisode et sa transmission.  

Manifesto XXI – Vous êtes née après la marche, de quelle manière vous a-t-elle été racontée ? 

Fatima Daas : J’ai l’impression que l’histoire de la marche a été plus facilement effacée que racontée. Je ne me souviens pas bien quand et qui m’aurait raconté cette histoire. Je pense que suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois, en 2005, ça a été l’occasion pour moi d’aller faire des recherches concernant ce sujet. Je dirais que ça a été issu d’une démarche personnelle motivée par la colère, l’incompréhension plutôt qu’une histoire qu’on m’aurait transmise. 

En quoi/comment les récits qu’on fait d’une lutte impactent notre mémoire collective ? 

On peut s’interroger et questionner les militants sur la manière dont le récit de cette marche a été un modèle de lutte collective pour eux et comment ils s’en sont inspirés pour les luttes actuelles. Mais comme je vous le disais dans la première question, le point de départ de ma réflexion serait plutôt « comment/en quoi les récits que l’on ne fait pas d’une lutte, ont un impact sur notre mémoire collective, ou plutôt sur notre amnésie collective? » 

Comment est-ce que cette lutte-là a été effacée de la mémoire collective ? En quoi cet effacement participe-t-il de l’inaction collective ? On a l’impression d’une certaine fatalité, qu’il n’y a rien qui se passe. Est-ce que le fait d’avoir surnommé « marche des Beurs » cette marche contre l’inégalité et contre le racisme a eu des conséquences sur la transmission de cette histoire en en faisant une question « communautaire » ? Est-ce que la France n’est-elle tout simplement pas disposée à inclure dans son histoire de tels récits ? Que se cache-t-il derrière le terme « Beur » que la France veut oublier ?

En quoi la marche de 83 est une inspiration pour les luttes à venir selon vous ?

Cette troisième question me permet de continuer le fil de ma réflexion, et de transformer la question. Comment lutte-t-on contre l’effacement de certains évènements ? Comment faire avec des récits manquants ? On peut bien sûr s’interroger sur les causes ou la cause de tels effacements, on peut se questionner sur ce qui a été oublié et ce qui a été retenu. Sur ce que c’est que le racisme institutionnel ? Qu’est-ce que serait une lutte « historique » ?

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Parallèlement, on peut construire ces récits manquants, la littérature, le cinéma, Mehdi Charef, permettent de reconstituer ces histoires, et d’inscrire ces luttes dans nos mémoires. Les livres d’histoire , à l’école, doivent être transformés et inclure l’histoire de la colonisation et de l’immigration dans l’enseignement de façon à éclairer « de l’intérieur » la marche de 83 .


Retrouvez Fatima Daas dimanche à 15h30 pour un portrait de Mehdi Charef 
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Image à la Une : 20 novembre 1983 Strasbourg avec Fatima Mehallel en marcheuse permanente venue de Villeurbanne (Est Lyon) © Amadou Gaye

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