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Puppy Please : un porno transgressif qui renouvelle le genre

Puppy Please : un porno transgressif qui renouvelle le genre

Puppy Please est l’une des sociétés de production de films pour adultes indépendantes les plus stimulantes du moment. Fondée en 2019 par Lullabyebye, Robyn Chien et Gordon b. Rec, elle fait frémir depuis Marseille les boîtes de prod les plus installées de Las Vegas en explosant les frontières de l’attendu, jouant des codes mainstream pour mieux les détourner hors des sentiers cis hétéro. Interview fleuve, qui nous laisse humides.

Un squirt record, zéro éjac d’homme cis, la révélation de tout le potentiel lubrique de l’œuf dans Lullabyebye ne fait pas de branlette sans casser des œufs, et l’ambition de produire de nouvelles représentations du sexuel hors des chemins balisés cis hétéro : voici quelques ingrédients qui font toute l’originalité de Puppy Please. Comme son nom le laisse deviner, leurs films se caractérisent aussi par un fort attrait pour les chiens désobéissants tenus par leur domina, comme dans Promenade ou Une blonde baise avec sa fucking machine devant son chien-chien. Avant de se précipiter sur leurs films, et si on s’insinuait dans les dessous de cette société de production mystérieuse ?

Lullabyebye et Robyn Chien, co-fondatrices de Puppy Please, nous ont offert un moment de discussion privilégié sur leur démarche artistique. Toutes deux à la réalisation, Lullabyebye se situe davantage devant la caméra, dans le jeu, tandis que Robyn Chien est à l’image. Leur troisième acolyte, Gordon b. Rec, est aussi acteur. Ensemble, iels proposent une expérience complète : le plaisir sans bouder l’humour, l’excitant allié au beau, les sens et l’intelligence réunies. Puppy Please, c’est transgressif, auto-produit, bio et local. Avec elles, on a parlé de cul, de capitalisation sur nos culs, de censure et d’art. Des paroles vitales.

Manifesto XXI – Vous vous inscrivez dans le genre pro-am [« professionnel-amateur »] – films professionnels qui se présentent comme des films amateurs. Votre dispositif est très léger, vous filmez au smartphone. Pourquoi ce choix ?

Robyn Chien : Un de nos points de départ était de concilier l’idée de regarder du porno indépendant, presque socialement acceptable, avec certaines caractéristiques du mainstream. Parce que quand les gens veulent se branler, ils vont sur Pornhub. On a donc voulu aller chercher des qualités plastiques de Pornhub, c’est-à-dire une mauvaise qualité, où le POV [point of view] est très utilisé, et ramener ces codes dans un porno indépendant.

L’autre raison de ce choix, c’est que dans la culture on dit qu’il n’y a jamais d’argent, mais il y en a quand même un peu. La question c’est comment on le répartit. Soit on met ce peu d’argent dans une grosse caméra, soit on le donne aux acteurices – et nous on voulait que l’argent revienne à l’équipe.  

Quels sont vos partis pris esthétiques ?

Robyn Chien : Je pense qu’il n’y a rien en soi que l’on refuse, car certaines choses que l’on ne veut pas voir déclenchent l’excitation. Le porno est un genre qui se caractérise par son côté subversif. Il faut choisir les interdits que l’on a envie d’investir. Il n’y a pas de plan en soi qui serait mauvais. Par exemple, on a eu beaucoup de discussions sur les gros plans, qui ne seraient pas féministes – nous, on n’est pas d’accord, ça dépend de plein d’autres choses. 

Lullabyebye : On a aussi le parti pris de jouer avec des stéréotypes qui existent déjà dans le porno, par exemple la figure du chien, de la working girl ou du/de la livreur·se de pizza – ou, dans notre prochain film, de la policière et du voyou. Dans Lullabyebye ne fait pas de branlette sans casser des œufs, on s’imagine que la fermière va se faire défoncer par le fermier, mais en fait elle joue avec un œuf. Dans les films mainstream, on voit l’archétype et on sait déjà où ça va aller. Là on joue la surprise, on prend le cliché et on le fait aller dans un endroit inattendu, on élargit, on fait aller le film plus loin.

Promenade © Puppy Please

C’est intéressant parce que dans le porno il peut y avoir ce caractère très répétitif, avec l’idée qu’on vient toujours pour la même chose et qu’on ne souhaite pas être surpris·e justement. Pourtant, laisser une ouverture, ne pas savoir ce qui nous attend, ça peut aussi être chouette.

Robyn Chien : L’image du cheval de Troie est super importante pour nous. Les lignes du synopsis forment un cheval de Troie pour un mec cis hétéro qui, à première vue, se dit « hum ça a l’air bien », et qui se retrouve finalement hors du script habituel. S’il s’est identifié au début à travers ses attentes traditionnelles, il peut quand même suivre ce qu’on lui propose.

Ce qui fait la réussite d’un film porno, comme pour tous les films, ce sont des questions de durée : parfois une séquence ne dure pas assez longtemps, d’autres fois on a l’impression que le meilleur est coupé. De votre côté, vous explosez certains cadres en accordant par exemple à Lullabyebye le temps de bouquiner avant sa séance de sexe – mais genre pour de vrai, avec une minute entière consacrée au livre d’Iris Brey. Globalement, vous accordez le temps aux corps d’exister, aux situations de se développer, ce qui apporte quelque chose de très apaisant à vos films.

Robyn Chien : Quand je monte, j’essaie de me mettre dans la peau d’un mec cis hétéro, parce que c’est aussi une des recettes qui marchent dans le mainstream. Sauf qu’apparemment je n’y arrive pas et je le fais quand même d’une façon qui m’est propre. Par exemple, dans les films porno, j’aime beaucoup le début, donc quand tu me dis que je prends du temps à cet endroit-là, ça reflète plutôt mes envies. 

Lullabyebye : Oui, notre cible pour vendre, ce sont les mecs cis hétéro, parce que ce sont eux qui achètent le plus facilement des services sexuels. On travaille sans ces gens mais on veut leur argent !

Vos films sont pleins d’humour, est-ce que c’est lié à une volonté d’alléger un peu la sexualité, ou est-ce simplement un reflet de l’amusement que vous prenez à les réaliser ? 

Lullabyebye : J’aime bien le porno comique. Le côté blague lourde, c’est un truc positif du porno mainstream. Les représentations du sexuel n’ont pas toujours été aussi sérieuses qu’elles ne le sont aujourd’hui. On cherche à rendre hommage à l’âge d’or du porno français, en espérant qu’il y ait de nouveau une libération de la censure.

Robyn Chien : Ce qui rejoint l’idée de la mauvaise caméra. Parfois on dit que le porno mainstream est bête, que les acteurices jouent mal, que c’est lourd, alors que ce sont des ressorts qui font la qualité de la chose : on regarde un truc censé être mauvais, et en même temps on y retourne assez régulièrement… Derrière ces interdits, il y a l’idée que le porno indé devrait être plus intellectuel, alors que pas forcément – c’est bien aussi de rigoler et se faire plaisir.

Il me semble que le porno est un genre stigmatisé, minorisé, mais majeur en termes de volume de production. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire ?

Lullabyebye : Le porno a très vite éveillé ma curiosité et fait partie de ma vie privée. Je voyais que tout ce que j’écrivais avait un rapport avec le sexuel et que ce champ m’intéressait dans ma pratique artistique. En plus, on manque de ces représentations, il en faut d’autres. À un moment, tout s’est relié, je me suis dit : « Qu’est-ce qui est si différent entre mes performances artistiques et mes webcams ? Pourquoi le porno ne serait-il pas un projet artistique légitime ? » Cela s’est fait progressivement, de manière assez réfléchie, d’abord par du texte – j’ai écrit beaucoup de textes porno – puis de l’audio, de la vidéo et de la performance. Cela a été progressif parce que je savais que ça impliquerait un avant/après, en termes d’image publique.

Robyn Chien : Moi, le premier film que j’ai réalisé, c’était pour rendre service à une ex. C’était une commande et je n’avais pas de réticence particulière parce que je ne faisais pas de différence avec autre chose. Il s’est trouvé que ça m’a plu, que l’expérience a fait sortir plein de questions en termes de cinéma, de réception, de comment on regarde ce genre de film, de ce que ça raconte dans l’histoire de l’art. Aussi, au sein du féminisme, le porno fait partie des sujets très clivants, donc c’est un endroit où il y a de quoi penser et réfléchir.

Quand on s’est rencontrées à Bourges au Porn Process, Lullabyebye avait l’idée d’un film et m’a proposé de le co-réaliser. Je ne sais pas si j’aurais pu initier le projet seule. C’était confortable de me mettre au service de l’actrice en tant que co-réalisatrice et, devant la caméra, il y a eu un match. C’est une configuration que l’on a toujours gardée. Je n’ai jamais signé seule un film porno, on est tous·tes à la co-réalisation. Lullabyebye et Gordon adorent scénariser, la table d’écriture est toujours collective.

Lullabyebye, Gordon b. Rec et Robyn Chien © Puppy Please

Les trois co-fondateurices de Puppy Please utilisent trois noms d’emprunt, comme des alter ego. Qui sont-iels et quelles sont leurs fonctions ?

Robyn Chien : J’ai toujours travaillé avec des pseudos. J’ai créé Robyn Chien au moment où je suis sortie d’école d’art. Quand on sort d’école, on est un peu laissé·es à nous-mêmes, et en même temps on devient une entreprise – parce qu’être artiste c’est être une entreprise. Pour moi ce n’était pas du tout un geste naturel. J’ai donc trouvé plus facile de devenir entrepreneur·se en créant une vraie entreprise, à savoir Puppy Please, et de jouer le jeu de l’entrepreneuriat de façon frontale. L’alter ego permet de mettre de la distance avec les expériences que l’on vit. Robyn Chien vit plus pleinement cette expérience de création d’entreprise car c’est une entrepreneuse née, elle a le business dans les veines, ce qui n’est pas le cas de la personne que je suis. C’était intéressant d’apprendre ça aux côtés de mes deux associé·es qui sont travailleur·ses du sexe, car dans l’art on parle de travailleur·ses de l’art, il y a donc des parallèles intéressants à faire, et je me suis formée auprès d’elles·eux.

Lullabyebye : Mon identité de Lullabyebye, je l’ai aussi créée il y a quelques années. À la base, c’était un personnage de webcam, puis j’ai commencé à faire des films porno. Je trouvais que, dans une continuité, c’était logique de garder cette identité pour les films Puppy Please. Pour la webcam, je performe les stéréotypes de féminité, alors que chez Puppy Please, il y a aussi ce truc de business woman. Ma fonction c’est de faire bander, et de trouver les moyens de vous faire bander !

Robyn Chien : J’aime l’idée qu’il y ait un alter ego en fonction des projets parce qu’avec les réseaux sociaux, on a tendance à être identifié·e comme une seule chose. La communication [sur les réseaux sociaux] exige que l’on soit cohérent·e, alors que personne n’est 100% cohérent·e. C’est important de pouvoir changer de casquette.

Comment un personnage comme Lullabyebye se construit-il ?

Lullabyebye : Au début, j’avais un truc très défini. La perruque, c’était super important, tout bêtement pour ne pas être reconnue. J’ai vécu plusieurs outings [révélations sur l’identité d’une personne sans son consentement, ndlr], ce qui a été violent, du coup j’ai fini par me dire : « Autant se détendre puisqu’il y aura toujours des personnes mal intentionnées qui harcèlent les travailleuses du sexe dans une société où n’avons pas l’égalité des droits. » Je lâche alors parfois la perruque. Je vois Lullabyebye comme un personnage fictif qui performe la féminité. Je ritualise la préparation (étirements, musique, maquillage, perruque, lingerie…), je pousse l’artifice. Cela m’a permis de conscientiser ce travail que font beaucoup de femmes gratuitement.

© Puppy Please

Le porno te permet d’explorer des fantasmes que tu n’aurais pas explorés toute seule. Est-ce que tu vois le porno comme un espace d’expérimentation ?

Lullabyebye : Oui, parce que c’est clair que dans une intimité du quotidien, je ne me verrais pas utiliser une fucking machine, alors que l’objet, je le trouve assez symbolique et il a une image forte. Mais au niveau d’une intimité et de la sensation avec cet objet, ce n’est pas très intéressant. La caméra délimite un espace-temps où il faut faire un truc précis, défini. Le cadre, suffisamment lourd, fait que c’est de la performance et que l’on va toujours à un endroit qui dévie de la vraie vie. Exactement comme le cinéma et le théâtre non porno, ça permet de vivre des choses plus intenses que l’on ne vivrait pas dans un quotidien qui est plat. De manière générale, l’art ajoute de l’inattendu, de la densité, qu’il n’y a pas trop dans la vie. On peut se permettre des choses irréalistes. On dit parfois que ce qui est horrible dans le porno c’est que c’est de la réalité, mais non : c’est de la fiction et nous sommes des acteurices. Touchant de voir que certain·es se font encore avoir par la magie du cinéma…

Robyn Chien : On dit aussi l’inverse, que le porno c’est fake et que ça ne représente pas la réalité, alors qu’évidemment on ne demande jamais ça au cinéma.

Lullabyebye : Je pensais plus au discours du style « ce sont de vrais actes non simulés », comme si quand les acteurices pleurent, ce n’était pas des vraies larmes…

Votre prochain film est un revenge movie avec une policière et une mise en scène d’actes non consentis. Comment pensez-vous les représentations érotisées de la violence ? Quelles sont les questions que vous vous posez ?

Lullabyebye : On est dans une période puritaine. On s’attaque au porno avec l’excuse qu’il véhiculerait des représentations violentes qui sont à la racine des violences sexistes et sexuelles, alors qu’il n’y a pas eu d’études d’impact effectuées. Et puis, qu’est-ce qu’on fait de tous ces fantasmes autour du non-consentement, de tous les fantasmes autour des représentations du pouvoir ? Il peut y avoir quelque chose de cathartique dans les films, y compris quand ils représentent du sexe. Dans le porno, il doit y avoir des jeux de renversement des rapports de pouvoir. Le discours que l’on entend, c’est que le seul porno acceptable serait un porno égalitaire. Sauf que le sexe et les représentations du sexuel égalitaires, je ne sais pas ce que c’est. Les rapports humains égalitaires, je ne sais pas ce que c’est non plus. C’est un idéal, peut-être, mais ce n’est pas du tout ce qu’on attend quand on va regarder un film porno. Il y a un temps pour tout. On joue avec ces limites-là, de ce qui est moral ou pas. Dans le prochain film, on va loin dans les représentations du non-consentement, mais ce qui compte, ce n’est pas le non-consentement fictionnel, mais que les acteurices soient bien traité·es et consentant·es, avec la conscience de l’image que ça véhicule. C’est ça qui nous importe, plus que des histoires de représentations, car je n’ai pas l’impression que si l’on interdit les représentations des sexualités, il y aura davantage de consentement dans la vraie vie. Je pense que c’est plutôt le contraire : il faut pouvoir représenter le sexuel pour pouvoir s’interroger sur nos sexualités.

© Puppy Please

Quelles sont les entraves et censures que vous rencontrez, à tous les niveaux – législatif, fiscal, normatif ? Où en sont les luttes actuellement ?

Lullabyebye : Le problème, justement, c’est qu’il n’y a pas de lutte. Il y a quelques voix que l’on peut entendre par moments, comme celle de Romy Alizée contre la censure, mais c’est rare. Dans les années 1970, il y a eu une levée de toute censure dans le porno, c’était l’âge d’or. Puis la loi est revenue en arrière, avec la censure des espaces de diffusion et la création de taxes spécifiques. Sous Macron, l’influence de différents acteurs de la prohibition a mené à la loi sur les violences conjugales, avec un article qui cible l’accès au porno en ligne. Pour vendre nos films sur notre site, nous devons contrôler l’âge des internautes. Comme nous sommes une toute petite production, il nous a été impossible de mettre en place un tel outil de contrôle. Nous avons dû renoncer à notre idée de départ et passer par des intermédiaires pour vendre nos films.

Robyn Chien : Certaines choses évoquées posent généralement la question de la modération du contenu sur internet, je pense d’ailleurs au colloque « Médiatiser les sexualités » [tenu à l’université de Lille en 2020, ndlr]. Ensuite, au sein du porno et dans la culture, il y a la question de la redistribution des ressources. Il y a des gens qui ont de l’argent dans le porno, mais Puppy Please et les petit·es acteurices n’en ont pas parce que c’est une économie liée aux plateformes. Ensuite, il y a cette idée que le porno est responsable du sexisme, ce qui est un raccourci énorme et naïf concernant le sexisme, et le patriarcat plus largement. Il est donc exclu des productions culturelles reconnues et subventionnées. Enfin, il y a des questions de précarisation de la culture en général.

Ce qui importe le plus, avant les représentations, c’est comment on travaille, et donc : c’est quoi votre modèle économique ?

Lullabyebye : Les changements de législation ont impacté notre modèle. Au début, on voulait avoir notre propre diffusion, notre site, en se passant au maximum des plateformes qui prennent un pourcentage. Mais pour ramener de la clientèle, il faudrait que l’on montre beaucoup de films sur notre site. Or, avec la loi actuelle, demander aux gens s’iels sont majeur·es ou mineur·es implique d’avoir un logiciel qui le permet, ce qui a un coût financier que l’on ne peut pas assumer.

Robyn Chien : Et il faut pouvoir communiquer sur nos films, sachant que tous les réseaux sociaux nous censurent… Pour se lancer en tant qu’entrepreneur·se, il faut des ressources propres ou familiales, du coup il y a de la reproduction sociale – et évidemment on ne va pas demander à mamie ou maman de nous aider, donc les premiers investissements nécessaires sont très compliqués à obtenir. Même pour des prêts, la banque ne s’engage pas sur ce terrain. Les financements facilitateurs de la région, nous n’y sommes pas éligibles. Idem pour les fonds de l’entreprenariat au féminin. Donc le modèle économique se construit avec beaucoup de bénévolat, même si on paye tous·tes les acteurices quand iels sont extérieur·es à l’équipe. Après, ça marche avec la vente des films, les festivals de temps en temps, les projections.

Lullabyebye : On vend les films à la demande sur Pink Label TV ! Ce qui ne nous rapporte pas assez pour se payer. Donc actuellement notre stratégie c’est d’envoyer notre book à plein d’institutions culturelles pour demander des résidences payées et faire des tournages, parce que nous faisons partie du secteur culturel, donc on veut avoir droit à notre part du gâteau.

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J’ai l’impression que la seule manière de fonctionner pour vous, c’est de faire réseau avec d’autres organisations de votre taille. Est-ce que vous y parvenez ?

Robyn Chien : Dans Puppy Please, il y a un peu l’idée de se ressaisir des moyens de production et de diffusion. Avec le fait que les plateformes prennent 40%, on a forcément envie de sortir de ça, en créant un réseau d’acteurices locaux·les du porno. En effet, on a des collègues, mais la précarité de nos situations respectives rend compliquée la possibilité de réunir le capital suffisant pour investir dans la création de notre outil de diffusion. D’autant que l’investissement est risqué, si demain nos dirigeant·es interdisent le porno.

© Puppy Please

Quelle est votre relation quand vous filmez ?

Robyn Chien : On a tous·tes à l’esprit le projet Puppy Please, ses références, ses objectifs, et du coup ça va au-delà du moment de tournage. Quand je filme, je ne regarde pas seulement les images avec les yeux mais aussi corporellement, pour savoir en quoi ce sera utile au moment du montage. En même temps, j’ai une forme de transparence : si au tournage ce plan est excitant, s’il marche, continuons par là. Mais ces discussions peuvent être amenées à changer parce qu’on a plein d’autres discussions en dehors.

Lullabyebye : Si j’étais filmée par un mec cis hétéro un peu graveleux, je ne serais pas du tout à l’aise qu’il se sente connecté corporellement ! (rires) Alors que le fait que ce soit Robyn et qu’il n’y a pas d’autre intention que celle d’être au service du film, ça me met en confiance. C’est juste du professionnalisme. On fabrique un film qui vise à être excitant, donc on travaille avec ces émotions-là dans les corps, sans que ce soit un truc froid, mais sans que ce soit non plus ce rapport de pouvoir qu’il peut y avoir ailleurs.

Le système capitaliste nous fait utiliser toute notre énergie pour définir ce qu’on est, affirmer l’identité de son projet en permanence, sur les réseaux sociaux notamment. Les luttes féministes et queers rentrent désormais dans des cases marketées aux codes établis, loin des idéaux révolutionnaires de base. Et pourtant, comment exister économiquement en tant qu’entreprise culturelle sans passer son temps à se positionner et donc à se marketer ?

Robyn Chien : Vaste problème. Cela fait trois ans qu’on existe, et la semaine dernière on a fait notre premier post statement. On a mis trois ans à le faire, mais sinon ça ne marche pas. On fait beaucoup plus de likes avec des posts qui parlent de porno qu’avec le contenu porno en lui-même, comme s’il fallait un « discours sur » tout le temps, pour légitimer la chose. Mais c’est dans les films que ça se passe ! Comme on est censuré·es, c’est le discours qui est mis en avant plutôt que la forme artistique.

Lullabyebye : Au niveau des algorithmes, le discours sur le porno est plus visibilisé que les photos, et les gens attendent ça.

Robyn Chien : C’est hyper piégeux. Encore une fois, ce sont des injonctions : tu peux faire les choses, mais uniquement d’une certaine manière. Dans Puppy Please, on est tous les trois profondément artistes. Notre société nous permet de nous confronter au réel, de comprendre comment les choses se passent. À partir de là, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’à un moment on renonce à Puppy Please parce que ça ne pourra pas être rentable, ou est-ce qu’on accepte de faire des posts Insta comme ils sont attendus ? Pour l’instant, on choisit ce compromis.

À force d’avoir toujours besoin de se prononcer, de nommer nos sexualités, est-ce que finalement on ne se met pas trop de pression à cet endroit au point que ça nous empêche de jouir ?

Lullabyebye : Oui, en France notamment, on est très dans l’identité, avec la volonté de tout nommer, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres cultures queers. Devoir toujours se situer pousse à se poser mille questions, alors que parfois on est paumé·e, on ne sait pas trop et on ne veut pas savoir. Parfois, vouloir tout définir empêche d’accéder à des zones d’entre-deux.

Robyn Chien : En plus, dans l’idée de définir, il y a l’idée d’arrêter quelque chose. Les réponses ne sont pas fixes, c’est toujours de la négociation. Chacun·e fait ce qu’iel veut et trouve ses besoins là où iel veut, mais à titre personnel, on avait un peu envie de faire n’importe quoi au sein de Puppy Please, et ça fait du bien. Dans le besoin de se situer dans des identités, il y avait l’idée de montrer l’exemple pour que d’autres qui ne le faisaient jamais se mettent à le faire – sauf qu’iels ne se sont pas du tout mis à le faire, l’hétérosexualité est restée dominante et implicite. C’est comme si le transfert n’avait pas été fonctionnel.

Question jackpot : selon vous, pourquoi est-ce tabou de représenter le sexuel ?

Lullabyebye : Aujourd’hui, on est dans un climat politique particulier. C’est une période où un tas de discours sécuritaires se développent. Il y a un intérêt à contrôler les sexualités et les représentations, car ce sont des libertés individuelles et collectives très fortes. Une fois que l’on contrôle ça, on peut tout contrôler. Pour moi, censurer le porno, c’est la première étape vers le totalitarisme. Il y a un climat ambiant, en France mais aussi ailleurs, qui va vers le contrôle des corps. Qu’ils deviennent les plus domestiqués possibles.

© Puppy Please

Question bonus pour Lullabyebye, maîtresse dans l’art du squirt ! Aurais-tu des conseils pour nos lecteurices ?

Robyn Chien : Je peux aussi répondre à cette question en partageant une anecdote de tournage. Le fantastique squirt dans Une blonde baise avec sa fucking-machine devant son chien-chien se produit parce qu’au moment de tourner, alors que l’orgasme allait arriver, ma carte-mémoire était pleine. Donc il a fallu faire une pause et reprendre au début. En plus, un plombier est arrivé.

Lullabyebye : Le squirt m’est arrivée la première fois assez jeune, spontanément. J’ai fait des recherches parce que je ne savais pas que c’était normal. Après c’est devenu comme une obsession : j’ai regardé des films, des schémas pour comprendre comment faire. Pendant un temps, je demandais même à des gens qui savaient faire squirter de passer chez moi. Être bien hydraté·e facilite la tâche : le clitoris gonfle et plus on a d’orgasmes, plus il gonfle, et il tape alors contre les glandes de Skene qui donnent une sensation d’avoir envie de faire pipi mais ce n’est pas un besoin réel d’uriner. L’idée est de continuer après ça, peu importe que la stimulation soit interne ou externe. Il faut penser au clito qui gonfle, et dès qu’il y a une envie de faire pipi c’est que c’est la bonne direction. Il faut vraiment lâcher, ne pas avoir peur de se pisser dessus. Misungui [Bordelle, TDS, ndlr] donne des ateliers  formidables sur le squirt, je recommande !

Robyn Chien : Il faut boire beaucoup d’eau.


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