Tuvaband décrit sa musique comme une music for your funeral – musique pour tes funérailles. Pourtant, Growing Pains & Pleasure son troisième effort, loin du deuil, marque plutôt la (re)naissance d’une artiste. Comme une toile enfin complète, toutes ses couleurs se retrouvent sur les mesures, prêtes à peindre l’avenir de sa mélancolie fondue en élégies. En attendant qu’elle foule enfin une scène française, on s’est lovés confortablement dans son album.
La trilogie Tuvaband débute en 2018. Son premier projet Soft Drop était trop prudent, laissant dans la gorge le goût frustrant du « ça aurait pu ». Sans être mauvais, il restait trop simple, manquant d’une production suffisamment fournie pour laisser son empreinte. Pourtant, tirant sur la corde du sensible, elle nous attirait déjà dans ses filets par ses jeux de voix purs et cotonneux. Avec I Entered the Void, Tuva offrait à son écriture un écrin plus foisonnant, riche, brumeux et nous remplissait, enfin, les oreilles de tout son talent. Mais c’est avec Growing Pains & Pleasure qu’elle quitte son esquif pour prendre le grand large. Et, à force de pierres assemblées, à grands coups de partitions cimentées et mesurées, de moulures coulées dans sa phonation, finit par édifier le castel de ses travaux.
Growing Pains & Pleasure naît à Venise, où Tuva Hellum Marschhäuser de son vrai nom, s’isole dans une maison, le palais sombre et taciturne des poèmes qu’elle va y écrire avant de les mettre en musique. Les mots qui jaillissent alors d’elle sont ceux de la peur, de l’angoisse aussi bien que ceux du désir et de la joie de retrouver un monde dont elle s’était coupée pour son précédent effort. Le trop-plein d’émotions contradictoires, l’ingérable boussole défaillante des sentiments guide son écriture, inscrit sur le papier ses ressentis intimes, les tripes à découvert. Tuva se raconte à l’auditeur·ice, sans artifice autres que celui du choix réfléchi des mots, des phrases et de leur assemblage.
Sur la pochette, Tuva, vue d’en bas et baignée d’une lumière céruléenne, tend la paume. Comme pour imposer une limite entre elle et l’auditeur.ice, comme pour prévenir qu’elle n’a pas encore tout à fait rejoint le Grand Monde. Dans son autre main, la lune -motif qui l’accompagne régulièrement- pleine et scintillante : annonce de l’ambiance céleste, astrale qui parsème les douze titres. Dans son esthétique, elle penche vers l’honnêteté. Plutôt que des mensonges et afféteries, elle leur préfère un portrait sincère. Comme une gargouille chimérique, l’artiste norvégienne semble vouloir avertir des chants de sirènes ensorcelants qui se cachent dans ses peines et plaisirs.
Derrière cette cover, Tuvaband promène des aspirations de voix en falsetto, les laissant voler dans les hauteurs de ces mélodies crève-cœur. Dupliquées, multiples, les lignes de chant traînent leur nostalgie dans des airs tourbillonnants. Elles sont giflées de guitares ésotériques et planantes, étirées jusqu’au dernier grincement des cordes. Et parfois, plus sombres, ces dernières s’en vont creuser des sons plus graves, brefs et grinçants. La batterie, lasse, se traîne et pleure sous les coups d’un rythme en pleine agonie. Si des synthés s’en mêlent, c’est en touches éparses, fines et discrètes, délicates notes d’appui qui viennent étayer ce joli chagrin d’album. Le tout fichu dans un écrin bourdonnant de sonorités denses à couper au couteau. Musicalement, c’est un cri du cœur qui appelle les larmes.
Les compositions vont leur train, semblant marcher dans les traces de pas de Lana Del Rey, mais prenant bien garde de faire suffisamment de pas de côté, par des détours bienvenus ou des raccourcis astucieux, pour que l’on ne confonde ni la provenance, ni la destination de leur bout de chemin. Et c’est là tout l’or de son travail : rappeler les grandes, les idoles dont la patte est connue de toustes, sans jamais se lasser de ré-inventer ses propres signatures, sans jamais oublier de surprendre, tant par la justesse de l’influence que par l’ingéniosité.
Tuvaband se suffit à elle-même, elle est son propre band. Et semble avec ce projet remplir enfin tous les rôles. Cet album, de son air muséal et altier, touche des doigts une délicatesse rare. Pour la suite on espère que, toujours guidée par son obédience à la lune, elle saura nous en rapporter un morceau de plus.
Crédits Photo : © Maria Louceiro