Titre : Bande de filles
Réalisation : Céline Sciamma
Date de sortie : 2014
Durée : 112 min
Marieme a 16 ans. 16 ans à Bagnolet ce n’est pas facile. Une jeunesse faite de contraintes urbaines, la loi du quartier, de la famille, des garçons. Le film s’ouvre néanmoins sur une scène de joie, joie collective, celle de la victoire d’un match de football américain. Mais celle-ci s’estompe rapidement lors de leur entrée dans la cité. La camera cinémascope filme dans toute sa beauté cette bande, qui dès l’horizon des barres HLM, et la vision au loin, des garçons, s’évanouit dans le silence et dans la nuit. Les rires s’estompent, ne reste finalement plus qu’un plan serré sur Marieme, face à l’interphone de son immeuble, tête baissée.
C’est toute l’histoire du film qui se résume dans cette scène, la force du collectif dans la ville, l’intimité vagabonde et sans espoir de la solitude, perdue dans l’immensité urbaine. Céline Sciamma nous livre l’image d’une ville bien différente de celle de « Naissance des pieuvres » et « Tomboy », où la paisible banlieue apparaissait comme un lieu d’une infinie liberté, qui laisse parfois la place à un grand désarroi mais aussi à une multitude de possibilités.
Entre en scène la Défense comme horizon nouveau, symbole de la ville moderne et urbanisée, sans vie mais presque libératrice puisqu’elle devient la cour du divertissement, là où ont lieu les rendez-vous dansants qu’on veut croire quotidiens et libérateurs.
La force du collectif si imposant et prégnant dans les scènes précédentes s’écrase devant cette immensité tout en se libérant de la contrainte urbaine. La ville respire, leur horizon se dégage.
Ici parvis abandonné, mobilier urbain désertique, tours HLM gigantesques, espace public genré, le cocktail n’a à la base rien de rassurant. C’est là la force de la réalisatrice, transformer, pour une partie du film au moins, ces lieux en espaces d’expression et de vie. Ensemble, ces filles parlent fort, s’insultent, se battent dans le métro, dansent au cœur du quartier de la Défense, s’approprient chaque endroit avec une aisance déconcertante. Les plans sont larges, les visages habités, les horizons découpés mais présents, encourageants.
Un même plan revient par trois fois dans le film et semble résumer l’histoire de cette bande de filles au travers d’un fil conducteur urbain répétitif : un skate-park vidé de ses occupants habituels entre une tour qu’on croirait inoccupée et un immeuble qui n’en sera peut-être jamais un.
La technique filmique du cinémascope laisse s’exprimer cet horizon urbain tout autant que les personnages, qui devient le cinquième personnage de cette bande, presque porteur et identificateur pour les filles qui font de ce skate-park abandonné leur cocon protecteur, solide, toujours à sa place, qu’elles soient seules ou dans l’euphorie de la victoire.
C’est lorsque cette bande disparait que le visage se crispe, tout comme celui de la ville. La nuit tombe, l’espoir aussi. Les tours se font imposantes, étouffantes. La scène où Marieme se retrouve seule, hésitante avant une soirée avec son mac, qui finira par une fuite, est éloquente. Son regard se perd entre toutes les barres d’immeubles, à peines éclairées, le doute et le mal être imprègnent le spectateur. C’est la première fois dans le film que la ville, sa ville est regardée, appréhendée et crainte par Marieme. Des barres d’immeubles effrayantes en contre-plongée, un regard qui scrute les moindres détails pour ne dévoiler qu’un puits de lumière menaçant. La caméra prend la place de l’actrice pour contempler les lieux de sa vie, comme un dernier adieu à son cocon.