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L’érotisme de la génération Internet selon Marilou Poncin

L’érotisme de la génération Internet selon Marilou Poncin

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Image parfaitement maîtrisée, glossy, Welcome to my Room plonge dans l’intimité fantasmée de deux camgirls. Le propos est celui de jeunes femmes maîtresses de leur sexualité. Un discours radical sur le sexe digital, servi dans un écran de boudoir imaginé par la vidéaste et photographe Marilou Poncin. Interview.

« Sometimes I tell myself you own your own world. I tell myself you are a business woman. And your job is to masturbate all day to get off and make guys get off behind their computers on the other fucking side of the world. »

[Parfois je me dis que je possède mon propre monde. Je me dis que je suis une business woman. Et que mon job est de me masturber toute la journée pour jouir et faire jouir les mecs derrière leurs ordinateurs à l’autre bout de ce putain de monde.]

Diplômée des Beaux-Arts de Lyon et des Arts décoratifs, Marilou Poncin développe des obsessions autour du corps et de l’érotisme au temps du digital. Récompensé du prix du Jury au Festival du Film de Fesses (FFF) 2018, son projet dédié aux camgirls était exposé à la Villette pour 100% l’Expo Sorties d’écoles. Co-fondatrice du collectif Eros & Réseaux, elle sera de retour sur le FFF pour une séance dédiée aux plaisirs numériques. Alors on a voulu savoir quel genre de fille se cachait derrière la caméra. Spoiler : on n’a pas été déçu·e, et on attend ses prochaines créations avec impatience.

Manifesto XXI – Quel est ton premier souvenir érotique ?

Marilou Poncin : Je dirais que j’ai toujours mis en scène le corps, mon travail a toujours été organique. Très naïvement j’ai envie de te répondre le premier film que j’ai fait au lycée, où je m’auto-filmais nue enduite de peinture argentée dans une maison abandonnée en pleine campagne. (rires) Je pense que ça a été ma première expérience entre le corps érotique et l’art.

Quel genre de petite fille étais-tu : loin de ces modèles de Lolita ou bien dans les codes ?

J’ai grandi dans une maison isolée en pleine nature. J’étais souvent seule et je me baladais dans la montagne, j’inventais des histoires avec les animaux morts que je croisais. Je pense que le contraste entre la Lolita et l’enfant sauvage devait être assez fun à voir. (rires)

Le son de Let out the Inner Bitch est une version ralentie de « Work Bitch ». Tu voues un culte à Britney ?

Non pas tant. J’étais pas hyper fan mais elle a été importante pour ma génération. Elle incarne un nouveau canon de beauté, un modèle pour jeunes filles entre la bimbo et l’adolescente.

Est-ce que ton entrée dans la sexualité a été conforme à ce que tu imaginais déjà ?

J’avais une relation au corps et à la sexualité assez erronée. Comme j’ai grandi à la campagne, il n’y avait pas grand-chose à faire, je regardais MTV. Donc pour moi la sexualité c’était comme dans les teen-movies, à la fois puritaine et super sexualisée. Lolita malgré moi c’est le premier DVD que j’ai acheté et je me suis dit : « Aller à une soirée les seins à l’air, carrément ! » Sauf que quand moi j’allais à une fête c’était dans une ferme. (rires) Dans mon travail j’essaie de parler de phénomènes de société qui peuvent parler au plus grand nombre. Bien sûr que mon expérience personnelle m’inspire mais elle n’est pas au centre du propos.

Pourquoi ne pas avoir travaillé avec des camgirls pro pour Welcome to my Room ?

J’avais plus envie de travailler sur le mode de la fiction que celui du documentaire. Puis j’ai eu du mal à rencontrer des camgirls. Je commençais tout juste à m’intéresser aux travailleur·ses du sexe et à ces réseaux, je n’avais pas les ressources, je ne savais pas à qui m’adresser, ce qui explique que j’ai eu des difficultés à rencontrer des filles. J’ai utilisé cette contrainte comme une force, j’ai fait beaucoup de recherches en ligne et je me suis rendu compte que travailler avec des actrices me permettait aussi de prendre de la distance par rapport au sujet de départ et d’en proposer une interprétation.

Quelle est ta dernière obsession ?

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Je suis en train de travailler sur les love dolls, ça fait un moment qu’elles me fascinent. La lecture du livre d’Agnès Giard (anthropologue spécialisée dans les questions de sexualité au Japon, ndlr) sur le sujet m’a permis de formuler plus clairement les choses qui m’intéressent dans l’utilisation de ces poupées. Je développe une grande installation qui comportera un film, des photos et des sculptures.

Avec Eros & Réseaux, qu’avez-vous sélectionné pour le Festival du Film de Fesses 2019 ?

On est 4 artistes, on a fait un montage géant de 58 extraits de films de cinéma, d’art, de vidéos trouvées en ligne faites par des anonymes. On est encore en train de travailler sur une forme d’introduction, de monologue hypnotique pour se mettre en condition. On veut proposer une expérience au spectateur. Eros c’est le corps érotique, et les Réseaux représentent toutes les formes de connexion entre les êtres, qu’elles soient digitales ou primitives.

Quel est ton prochain projet ?

J’ai la chance de faire partie de l’exposition Futures of Love aux Magasins Généraux de BETC (du 21 juin au 20 octobre 2019), ça va être très chouette.


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