Oscillant entre humour et malaise, le travail de la photographe Emmanuelle Descraques offre un panel de sentiments variés. L’esthétique rétro de son travail, accentuée par l’aspect figé et caricatural des modèles, donne une dimension théâtrale à ses clichés.
Frôlant volontairement le « too much », la jeune artiste, spécialisée dans la photographie de mode, nous fait découvrir un univers décalé et empreint d’humour, où les sujets, la lumière ou la scénographie sont exagérés.
Manifesto XXI – Je trouve qu’il y a beaucoup d’humour dans tes photographies. Qu’en penses-tu ?
Emmanuelle Descraques : Cela me fait plaisir de lire cela car, fût un temps, on disait au contraire que mes images étaient tristes et mélancoliques.
Qu’est-ce qui a changé dans ton travail entre ce moment-là et aujourd’hui ?
Je crois que c’est une forme de « maturité » car cette ambiance mélancolique dans les images est très liée à une recherche adolescente, un besoin de se différencier. Mais ce n’était pas très subtil finalement.
De plus, quand on évolue professionnellement dans le milieu photo et mode, on se rend compte que cette tristesse est présente dans le travail de tout le monde. Cela devient presque le statu quo. Je trouve que l’humour est un beau moyen d’exprimer mes névroses sans tomber dans une démarche profonde et inutilement douloureuse.
Il y a aussi ce côté détaché dans tes photos de mode, cherches-tu à dédramatiser la rigidité qu’on peut retrouver dans ce milieu de la mode ?
Tout à fait. Même si je trouve que d’autres photographes qui m’inspirent font cela encore mieux que moi, j’ai très envie de démystifier ce milieu qui peut rendre fou, et l’humour est un bouclier efficace.
Ton rapport au jeu, à l’aspect scénique est omniprésent. Est-ce que les métiers de la scène (théâtre, cinéma…) t’ont déjà attirée ?
Quand j’étais enfant, je voulais être actrice, et mes deux frères sont scénaristes/réalisateurs donc on peut très facilement faire un lien ! Cependant, mon rapport au cinéma et à la photographie est étrange car on suppose souvent à partir de mes images que je suis passionnée par le cinéma des années 50/60, ce qui n’est pas le cas, et les films trop « photographiques » peuvent rapidement m’ennuyer. Je suis parfois plus inspirée par la lumière et la chromie de sitcoms américaines des années 90…
Mêler cinéma et photo m’intéresse pour davantage mettre l’accent sur l’aspect artificiel d’une mise en scène mode en reprenant des codes d’un cinéma un peu vieillot où on ressent les quatre projecteurs sur l’acteur qui surjoue dans un décor en carton, comme pour dire « tout cela n’est qu’illusion ! ».
Qu’est-ce que cela reflète de ta personnalité ?
Que j’aime l’humour et la métaphysique ?
J’ai lu que tu préférais shooter en studio. Arrives-tu à laisser de la place à l’imprévu, ou tout est déjà écrit en amont ?
Il y a de moins en moins d’imprévus sur mes projets car je suis plus entourée et faire juste des belles images ne m’intéresse pas donc je réfléchis toujours en amont. Par contre je me mets davantage à la photographie en extérieur ! Même si je fais au moins deux repérages avant, cela me demande un peu plus de lâcher prise.
Arrives-tu malgré tout à sortir de ta zone de confort ? T’y obliges-tu ?
Oui, comme je le disais, en ce moment sortir de ma zone de confort consisterait à shooter en extérieur. Cela n’est pas facile car je ne peux pas demander au soleil d’être sous mon autorité, et je souhaite quand même un aspect très rigide et pictural, surtout pas lifestyle. Donc sortir de sa zone de confort, oui, mais ne pas se dénaturer non plus.
Il y a un aspect figé dans ton travail qui pourrait provoquer un malaise si l’humour n’était pas présent. Qu’est-ce qui te plaît dans la caricature ?
La caricature rejoint l’idée de ne surtout pas prendre la mode trop au sérieux.
Par ailleurs, le contraste entre humour et malaise me rassure en général. J’oscille entre ces deux états constamment dans mon quotidien. En termes d’image, je ne veux pas que mes photos ne provoquent que du rire ou que du malaise, mais un sentiment mitigé.
Pourquoi ce désir de contraste, entre le minimaliste et la sobriété du décor et un côté plus intense dans les poses, le make-up et les looks ?
Cela rajoute du malaise, non ?
Les couleurs sont très cohérentes entre elles et créent un ensemble indissociable, un tout. Quelle est ta manière de travailler avec elles ?
Je travaille beaucoup ma chromie en post-production. Je dissocie chaque élément, chaque couleur en leur donnant après une intensité particulière créant ensuite cette cohérence presque exagérée, voire étrange.
Es-tu fascinée par les années 60, notamment par la ménagère américaine de ces années ?
Je ne suis pas particulièrement passionnée par les années 60, pas plus que les années 80, 90, etc, du moins. Ceci dit, la ménagère des années 50/60 est un peu l’archétype de la dépressive dissimulée par ses beaux habits dans sa belle maison. Cette injonction du « sois belle et tais-toi » me fascine et me rappelle… le milieu de la mode ! On a bouclé la boucle.