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Body positive et Porno 2.0 : portes ouvertes à la Sex School de Berlin

Body positive et Porno 2.0 : portes ouvertes à la Sex School de Berlin

C’est lors d’un voyage à Berlin que nous avons rencontré l’actrice, performeuse et travailleuse du sexe Annarella Martinez. Espagnole expatriée en Allemagne, elle prône un porno émancipateur, éthique, capable de valoriser tous les corps et leurs identités. Avec d’autres travailleurs du sexe, elle est à l’origine de la Sex School (plus d’informations ici), une plateforme d’éducation sexuelle sur Internet qui, à travers des photos et des vidéos, vise à éduquer le public, offre un coaching bienveillant par des thérapeutes et s’ouvre à tout type d’identité de genre et de sexualité. Avec en toile de fond l’idée que le sexe est avant tout un lien, une connexion forte et libératoire entre deux personnes uniques.

© Natália Zajačiková

Manifesto XXI – Peux-tu tout d’abord nous raconter ton histoire ? Comment as-tu commencé ton parcours de travailleuse du sexe ?
Annarella Martinez : Quand j’étais plus jeune j’étais déconnectée de ma sexualité. Gamine, j’ai subi un abus sexuel de la part d’un proche. Je pense qu’il y avait quelque chose que je voulais exorciser.
J’ai fait des études d’art et j’ai commencé à utiliser l’art comme thérapie. Je pouvais détourner certains sujets et les sublimer, explorer mon corps par la créativité. Aux alentours de mes 21 ans j’ai participé à un festival qui mettaient en scène des performances autour de la sexualité. Suite à cela, on m’a contacté pour organiser un festival sur cette thématique à Valence, ma ville natale et j’ai saisi cette occasion. C’est comme ça que j’ai rencontré plein de gens issus du milieu du porno, des sex therapists, des artistes… et j’ai tout simplement choisi de continuer sur cette voie.

Qu’est-ce qu’un « sex therapist » ?
Un sex therapist ou un sex educator c’est une personne qui va te guider à travers tes traumas ou peurs, qui va te donner des conseils pratiques pour aborder la sexualité de manière plus détendue, là où le sexologue travaille sur le mental. Disons que c’est un coach.

© Natália Zajačiková

Le travail que vous faites avec la Sex School tourne donc autour de la thérapie du sexe ?
Oui. Notre intention est celle de mettre à l’aise les gens avec leur corps. Nous approchons la vie sexuelle d’un point de vue très réaliste en abordant différents sujets.
Tous nos coachs sont des travailleurs du sexe, parce que nous pensons que cette catégorie professionnelle est la plus à même d’intervenir sur ces questions et d’aider les gens à ce propos.
Nos thérapeutes et coachs sont tous des performeurs assez connus, comme Parker Marx, Lina Bembe, Bishop Black et Sadie Lune.

Un exemple de sujet que vous pourriez proposer ?
Le plan à trois par exemple. On parlerait alors de la frustration que l’on peut ressentir lors d’une telle expérience, comment la surmonter, comment s’y prendre pour que tout le monde profite, comment gérer les jalousies éventuelles… Comment affronter la descente que tu peux connaître après une expérience si forte. L’idée est toujours de faire du bien aux autres, d’être dans le partage et de pouvoir exprimer ses sentiments à tout moment.

Foto: Natália Zajačiková

« Faire du bien aux autres » c’est une philosophie intéressante, penses-tu que la notion de « prendre soin » de la personne avec qui on a un rapport sexuel est au goût du jour ? Est-ce que la quête du plaisir n’est pas quelque chose d’extrêmement narcissique, dans une époque aussi individualiste ?
Je pense que la manière dont la société nous montre le sexe est très égoïste. C’est très focalisé, peu importe les sexualités, sur les organes génitaux ou la pénétration. C’est finalisé à jouir non pas à vivre une belle expérience, longue et riche de sensations différentes.
Quand on fait l’amour, la chose la plus importante à mon sens est la connexion entre les deux personnes, l’écoute du langage de l’autre, les choses qui se passent entre ces deux corps quand ils se touchent. Créer un lien.

L’idée est toujours de faire du bien aux autres, d’être dans le partage et de pouvoir exprimer ses sentiments à tout moment.

Tout l’inverse de ce que véhicule le porno commercial, majoritairement hétérosexuel…
Oui tout à fait. Le porno en libre service sur Internet a un but purement masturbatoire. Les vidéos durent 5 minutes, en laissant présupposer qu’un rapport devrait avoir une durée courte et être efficace.
Nous on essaye de proposer des performance érotiques qui sont dans le respect, dans la joie, dans la notion du partage et de faire attention aux autres. C’est toute une approche du sexe qui est différente.

© Natália Zajačiková

Quand on fait l’amour, la chose la plus importante à mon sens est la connexion entre les deux personnes, l’écoute du langage de l’autre, les choses qui se passent entre ces deux corps quand ils se touchent.

C’est ce que l’on appelle un « porno éthique » ?
Oui, un porno dans lequel les performeurs connectent entre eux. Ils se plaisent, ils acceptent l’autre et sont spontanés. Ils ont un scénario approximatif mais ne reçoivent pas d’ordres. Personne n’oblige personne.
Bien-sûr, au début on débriefe et on rappelle à nos acteurs le thème du film que l’on va tourner, on va leur suggérer d’utiliser tel jouet ou de pratiquer telle position… Mais ils restent maîtres de leur expérience.
Je pense à des gens comme Erika Lust, ou la photographe Romy Alizée en France…

C’est un porno qui est enfin adressé à des femmes aussi…
Effectivement quand on va sur un site porno le 90% des films sont pour les mecs. Mais oui notre idée avec la Sex School est de rendre tout cela plus ouvert et surtout, de viser un porno no-gender, où tout le monde puisse se retrouver.

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© Natália Zajačiková

…un porno dans lequel les performeurs connectent entre eux, ils se plaisent, ils acceptent l’autre et sont spontanés.

Quelles difficultés pourrait rencontrer la Sex School ?
Par exemple le fait que les gens ne comprennent pas le propos de notre démarche, qu’ils restent bloqués sur un porno d’éjaculation et qu’ils trouvent nos films pas assez excitants. Que l’influence du porno commercial soit encore trop forte.

Penses-tu qu’à Berlin il y a une plus grande liberté autour de l’expression de soi et de sa sexualité, comparé au reste de l’Europe ?
Oui, comme dans tout, Berlin est une ville qui cherche la liberté avec acharnement et beaucoup de bienveillance. C’est sûrement du fait du Mur : ici, il y a moins d’hypocrisie qu’ailleurs et une réelle ouverture. Sans oublier qu’ici à Berlin le travail du sexe est légal !

© Natália Zajačiková

Quel serait pour toi le but ultime de la Sex School ?
Que les gens ne soient pas effrayés par ce qu’ils sont, qu’ils assument leur sexualité et qu’ils comprennent que toute pratique sexuelle qui se déroule dans le respect de l’autre peut être sublimée, il suffit de trouver la bonne personne.
Plus globalement, je crois en un porno qui met en avant différents corps, couleurs, goûts. Un porno qui donne confiance en soi. Mon travail est de permettre aux gens d’aimer leur corps et de se sentir bien avec eux-mêmes. Je crois que le sexe est avant tout une connexion entre deux êtres uniques.

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