Après 39 éditions, la réputation des Transmusicales n’est plus à faire. Le festival est devenu un pèlerinage immanquable pour tout féru de musique qui se respecte, et sa capacité à flairer les talents d’ici comme du bout du monde le positionne en véritable conquistador des prochaines tendances internationales. Cette année, l’Afrique était dignement représentée : du Soudan au Sierra Léone en passant par l’Afrique du Sud et l’Angola, nous sommes partis à la rencontre des artistes qui dessinent le paysage musical africain actuel et celui de demain.
Tshegue est le résultat de la rencontre entre la voix de Faty et les percussions de Dakou. Spontané, énergique et instinctif, le duo surfe sur le succès de leur premier EP Survivor sorti en été 2017. Déjà passé par le festival We Love Green, le projet Tshegue confirme l’intérêt qu’on lui porte en faisant partie de la programmation des Transmusicales. À cette occasion, Manifesto XXI est allé à la rencontre des deux membres fondateurs du groupe.
Lorsque tu laisses ton groupe Jaguar de côté pour te consacrer pleinement à Tshegue, comment s’opère la transition ?
Faty : Ça a été une évolution naturelle. Jaguar était mon premier groupe punk. J’y tenais beaucoup, mais j’avais envie d’explorer d’autres univers. À cet instant, j’avais besoin de retourner vers mes racines congolaises et d’explorer d’autres sonorités comme le rock garage et le rhythm and blues. J’ai eu envie de mélanger tout ça. Ça fait partie d’une démarche de vie. Mais l’un ne va pas sans l’autre : sans Jaguar, je n’aurais pas pu avoir Tshegue et inversement. C’est une continuité.
Comment s’effectue la création d’un tel mélange ?
Faty : On transporte tous une histoire de découvertes, de rencontres et de gens. La musique vient de là. On ne s’est pas donné rendez-vous. Ça s’est fait naturellement.
Dakou : Ta musique évolue parallèlement à ta vie. Depuis que l’on s’est rencontré avec Faty, on partage les mêmes envies musicales. Je viens de la musique latine par ma famille. Et ce style se nourrit de la rumba congolaise. En grandissant à Paris, mon entourage écoutait aussi de la rumba congolaise. En France, on peut écouter de tout, en fonction de qui on croise, avec qui on grandit, etc.
De ton côté Faty, tu es influencée par la période où tu découvres la musique par les chorales et les fanfares à Kinshasa, puis les scènes hip-hop et rock quand tu arrives en Europe. Comment ce mélange opère-t-il au moment de produire un morceau ?
Faty : Ça ne s’opère pas ! Je fonctionne comme un électron libre de manière instinctive. Il y a des sonorités que je peux retenir dans des morceaux quelconques. Ça fonctionne comme des souvenirs… C’est le résultat de nos émotions, de ce que nous voyons, de ce que nous ressentons, de ce que nous vivons, etc. Je ne viens pas que d’une seule souche. Mon père est guinéen, ma mère est congolaise-sénégalaise et j’ai grandi à Kinshasa. C’est impossible de rentrer dans une seule case.
Quant à la langue, comment te vient l’idée d’écrire en anglais, en français ou en lingala ? Comment sais-tu que tu dois utiliser plus une langue qu’une autre ?
Faty : Je ne me pose jamais la question. Ce sont des sonorités et des mots qui me touchent. Avoir recours au lingala était essentiel pour moi. J’avais un besoin de retour aux sources. C’est la mémoire du corps. Ça n’a jamais été une obligation. Ces langues m’apportent une richesse.
Votre musique est très percussive. Une énergie puissante se dégage de vos morceaux. Comment est-ce que vous réussissez à conserver ça sur scène ?
Dakou : On travaille avec l’envie de faire bouger les choses d’un point de vue musical. À partir du moment où tu montes sur scène avec une énergie, tu t’attends à un retour. C’est très instinctif encore une fois.
Faty : Mais nous ne pensons pas directement à faire bouger le public. Nous pensons d’abord à l’énergie dans laquelle nous sommes pour créer. L’énergie se diffuse et se transfère naturellement
Est-ce qu’il y a une émotion particulière nécessaire à votre création ? Est-ce que même en étant de mauvaise humeur, vous pouvez arriver à quelque chose ?
Faty : Oui, c’est possible ! C’est d’ailleurs pour ça que la musique a toujours existé. C’est notre exutoire. Ça se ressent dans nos morceaux qu’ils soient tristes, énervés ou joyeux.
Dakou : Espérons que les morceaux transpirent un peu ça. Chacun perçoit l’humeur qui s’en dégage à sa manière.
Faty : On est aussi touché par tout ce qu’il se passe dans le monde. On s’inspire de la street, de nos vies, de nos potes, de la famille, etc.
Il y a des causes particulières auxquelles vous êtes sensibles ?
Faty : Non pas spécialement. Parce qu’aujourd’hui, ça pète de partout. On est préoccupé par ce qu’il se passe partout. Tout ce qui se détruit nous habite au quotidien… C’est à ce moment-là qu’il faut se donner de l’énergie.
Et ce premier EP Survivor, qu’est-ce qu’il retranscrit ?
Faty : Survivor, c’est pour donner de la force. C’est une façon de dire que, malgré tout ce qu’il se passe, il faut réaliser qu’on est vivant. On ne se rend pas compte qu’on survit chaque jour à quelque chose. On a souvent pas assez conscience de la mort. Tant que t’es là, il faut l’apprécier et donner de la force.
Avec Jaguar, il t’arrivait de finir des concerts dans des états de transe. Est-ce que c’est encore le cas avec Tshegue ? Est-ce quelque chose dont tu as besoin ?
Faty : J’ai trop besoin de ça ! Même quand j’écoute certains artistes, je me repasse le morceau en boucle mille fois. C’est un état personnel. Il y a des gens qui mangent un carré de chocolat, moi je mange la tablette. (rires)
Dakou : La transe représente le lien entre la danse et la musique. Tshegue c’est ça aussi !
Après Survivor, quelle est la prochaine étape pour Tshegue ?
Faty : Pour le moment, on se concentre sur nos dates. En concert, ça nous arrive de jouer des morceaux inédits parce qu’on les kiffe. À voir ce qu’on en fera…
Dakou : On continue à produire et ça débouchera sûrement un prochain EP, voire un album d’ici l’année prochaine.