À l’occasion de la sortie de son nouvel EP Pretty Ashes, nous avons eu l’opportunité de rencontrer le lyonnais Lecomte de Brégeot lors d’une de ses venues à la capitale. Son maniement habile des rythmiques club, des strates de synthétiseurs et des vocaux évocateurs nous a en effet tapé dans l’oreille. Synthèse d’une culture allant de l’electro-techno à la synthwave en passant par la pop, sa musique irradie une tension contagieuse, aussi efficace que narrative, et propice tant à la liesse du dancefloor qu’à des évasions plus cinématographiques.
Quelle est ton approche à toi de la musique, comment es-tu tombé dedans ?
Lecomte de Brégeot : Au début des années 2000, avec une bande de copains, on avait un sound system et on organisait des raves en région Rhônes-Alpes. À cette époque je mixais sur vinyles.
Puis il y a eu une histoire un peu clé avec Vitalic, un vieil ami plus âgé m’a mis son premier EP dans les mains et ce disque m’a vraiment donné envie de créer ma propre musique. Du coup en 2007 j’ai commencé à acheter du matos et je me suis mis petit à petit à l’informatique, pour enregistrer mes machines.
Donc ta véritable porte d’entrée dans la musique a finalement été le djing ?
Oui, j’adore mixer et j’achète toujours de nouveaux disques, en ce moment je prépare un live, mais jusqu’ici toutes mes prestas étaient en format dj set.
Quand as-tu lancé ce projet ?
C’est très récent, mon premier Ep There was a day est sorti en 2016. En fait j’avais fait une coupure pendant quatre ans durant lesquels je vivais en Asie. J’ai fait différents types de boulots, puis un moment la musique m’a rattrapé. Je suis rentré en France, je me suis construit un petit cadre de vie, mais quelque chose me manquait. Je me suis demandé quel était mon dernier rêve de gosse, c’était de faire de la musique. Du coup j’ai monté ce projet.
Tu as tout de suite écouté des sons proches de ce que tu produis aujourd’hui ?
Non pas directement, j’ai eu la chance de grandir dans un environnement avec beaucoup de musique. J’ai rapidement accroché avec le rock et la pop british, et j’ai découvert la musique électronique avec la dance qui passait à la radio, et les morceaux d’artistes comme les Chemical Brothers ou Prodigy qui accompagnaient les jeux vidéo auxquels je jouais ado. Puis la techno dans les rave. Avec les années j’ai de plus en plus creusé les sonorités électro, sur un spectre très large, house, drum, new-wave, electroclash…
Est-ce que parmi tout ce panel ça n’a pas été dur justement de trouver ton identité ?
Si, clairement. C’est une question qui s’est beaucoup posée, et notamment sur mon dernier EP Pretty Ashes, parce qu’il est très éclectique. Il y a une track purement instrumentale, un morceau house, un autre complètement techno influencé par ce que j’écoutais au début des années 2000, des côtés plus pop… Je suis parti sur l’idée de faire vraiment ce qui me plaisait, et tant pis si les gens ne suivaient pas. Mais je pense qu’une cohérence se dégage quand même du fait du choix des instruments et d’un caractère récurrent un peu nostalgique, mélancolique.
Comment et dans quel environnement tu composes ?
Je travaille essentiellement chez moi, j’ai la chance d’avoir un petit studio à la maison qui est suffisamment grand pour y installer toutes mes machines. J’ai gardé les murs blanc pour avoir une atmosphère minimaliste et ne pas m’éparpiller .
Je commence souvent par les accords ou la ligne de basse, et les idées viennent généralement de l’expérimentation sur les synthés, si quelque chose me touche je poursuis. J’utilise principalement de l’analogique, mais aussi du numérique, je fais mes enregistrements sur Reason. J’aime aussi beaucoup collaborer avec différents interprètes pour les voix.
À qui appartiennent-elles d’ailleurs ces voix qu’on peut entendre ici et là sur tes morceaux ?
Sur « There Was A day » c’est une amie qui s’appelle Clara, à la base elle chantait dans les rues avec un orgue de barbarie, puis un jour elle est passée au studio et ça s’est fait comme ça, sans avoir prémédité quoi que ce soit. Puis d’autres fois on est plus dans un process réfléchi quant à la voix recherchée, comme sur « Carry On » où j’ai vu sept chanteurs différents avant de trouver la personne qui puisse chanter suffisamment haut pour interpréter le morceau. J’ai travaillé dernièrement avec Elea aussi, une jeune artiste lyonnaise que j’ai rencontrée en sortant d’une beuverie, je montais des escaliers et elle chantait là avec des potes. Après avoir fait cent mètres je me suis dit c’est pas possible il faut que je lui propose de collaborer, elle chante sur deux morceaux du dernier EP sur les titres « High » et « When You Go ».
Qu’est-ce que tu mixes en dj set ?
Je passe des morceaux à moi, mais aussi ceux d’autres artistes, parce qu’un dj set pour moi c’est avant tout une affaire de partage. Il arrive que le public soit plus jeune que moi, donc j’aime bien balancer des titres qu’on kiffait il y a quelques années car ils ne les connaissent pas forcément. Mais je passe aussi des choses plus contemporaines.
On retrouve toujours une progression dans le set, déjà en termes de BPM, et de style. Ça tourne globalement autour de l’electro-techno, on va retrouver aussi bien de la french touch des années 2000, que de la minimale, de l’electroclash, des trucs plus pop, de la coldwave… Je me fais plaisir.
Comment tu sens le public ces derniers temps quand tu mixes ? À quel type de réception fais-tu face, est-ce que ça t’engage à aller plus dans un sens ou un autre ?
Sur toutes les scènes que j’ai faites je me suis fait plaisir, qu’il y ait dix personnes ou des centaines, après c’est vrai que je m’abstiens de jouer certaines sélections qui ne marcheraient pas forcément dans le contexte. Pour parler de ce que je connais bien, à Lyon il y a un esprit très techno par exemple, ça peut être compliqué d’en sortir.
Tu trouves qu’il y a un monopole actuel de la techno en club ?
La techno est clairement très présente dans les clubs aujourd’hui. Ça n’empêche pas certains collectifs de se bouger pour amener de la diversité dans la programmation des soirées. Personnellement les tracks purement percussives ça va cinq minutes, mais après je m’ennuie… J’ai besoin d’accords, de mélodies, d’une belle ligne de basse, de groove, d’émotion…
Tu joues à des horaires et dans des contextes plutôt variés ?
Je joue surtout en milieu ou fin de soirée et effectivement dans des lieux assez variés : en fin d’après-midi sur une péniche au bord du Rhône, en club, en salle de concert ou sur un char à la techno parade…
Tu mixes sur quoi ?
Sur vinyles à la base, et dernièrement j’avais testé Traktor avec des vinyles timecodés, je trouvais ça sympa mais vraiment pas fiable, j’ai eu une fois un bug et je me suis dit plus jamais. Les dernières dates, je les ai faites sur des platines type CDJ.
Je trouve qu’il y a eu une réelle évolution dans la manière de mixer. Quand tu cales un vinyle il y a une histoire de timing donc si tu traînes trop à lancer celui d’après t’es grillé. Alors qu’aujourd’hui avec des CDJ tu peux faire des boucles et mixer tes morceaux sans contrainte de temps. Aujourd’hui on est peut-être plus sur la mise en avant d’une sélection que sur une performance de mélange de deux identités de morceaux pour en créer une seule commune. Je ne dis pas que c’est mieux ou moins bien, c’est juste différent.
Quels djs ou artistes t’inspirent en ce moment ?
Vitalic reste une référence.
Sinon j’aime beaucoup Rone, Agar Agar, Yan Wagner, The Blaze…
Tu es du genre à faire une veille attentive sur les nouvelles sorties, ou plutôt à rester dans ta bulle ?
Je suis plutôt dans ma bulle, j’aime bien écouter et réécouter mes classiques, mais je garde quand même une oreille attentive sur les nouveautés.
Tu parlais tout à l’heure de live set, c’est un projet en cours ?
Oui tout à fait. Dernièrement j’ai fait une vidéo pour Mixmag pour montrer un peu comment j’avais l’intention de bosser. J’attends d’avoir un peu plus de matière pour créer un live homogène. Mais en tout cas c’est un projet qui me tient à cœur, j’ai déjà des idées de scéno également. J’imagine un format proche du concert peut-être avec d’autres musiciens.
Tes envies pour ces prochains mois ?
Bien évidemment faire de la musique. Une marque de synthés m’a sollicité pour créer des patchs. Je viens également de commencer une collaboration avec The Gum Club pour travailler sur l’édition de mes morceaux pour la publicité.
Et enfin prendre du temps pour moi et les gens que j’aime, peut-être aussi un peu de vacances !