Adapter un best-seller au cinéma, cela relève souvent de la suite logique et sans risque, à part celui de décevoir quelques fans qui iront quand même voir le film. Par contre, adapter un best-seller autobiographique controversé et dont on a trop peu questionné l’honnêteté, voilà quelque chose qui pouvait constituer un pari intéressant.
Le roman n’est cité nulle part, et pourtant il est partout, dans les moindres détails des expressions des protagonistes et leurs traits de caractère. En finir avec Eddy Bellegueule raconte l’enfance d’Edouard Louis, normalien disciple de Pierre Bourdieu, Didier Eribon et Annie Ernaux. Le livre paraît en 2014 et fait grand bruit. L’histoire d’Edouard a en effet de quoi remuer. Il est né dans une famille pauvre de Picardie, il est harcelé à l’école et comprend vite qu’il est homosexuel. Le roman suit une partie de son collège jusqu’à l’échappatoire vers la classe de théâtre d’un lycée d’Amiens.
Edouard Louis a proposé son histoire à Anne Fontaine, et celle-ci a fort heureusement considéré qu’il y avait peu d’intérêt à transposer le récit tel quel à l’écran, que l’histoire ne se limitait pas au roman. Que même en fait, le plus important était en-dehors, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du film : montrer un processus, une construction, une élévation sociale et culturelle avec la cruelle question des racines. Comment un enfant peu doté économiquement, homosexuel, d’une région pauvre et d’un famille de prolos, devient un homme de lettres parisien à même d’exorciser ses blessures. Le récit d’Anne Fontaine et Pierre Trividic est judicieusement construit sur des retours en arrière qui font en quelque sorte dialoguer le jeune Marvin, incarné par Jules Porier et l’adulte joué par Finnegan Oldfield, tous les deux impeccables.
La belle éducation de Marvin se poursuit donc au-delà de son enfance malheureuse, ici située dans les Vosges. On suit les pérégrinations d’un personnage principal qui parvient à s’intégrer à une petite société littéraire parisienne, en même temps que l’on alterne avec les souvenirs. Le voyage initiatique comporte son lot de tourments, et c’est peut-être là qu’il y a en a un peu trop, trop d’histoires parallèles ou de mentors, dont la très charismatique Isabelle Huppert. Mais c’est aussi dans ces pérégrinations qu’Anne Fontaine glisse de jolis tableaux ou des pointes d’humour.
Le plus important en tout cas est d’avoir montré la confrontation de la famille avec l’œuvre d’exorciste du héros. C’est une oeuvre qui les blesse mais qui permet de crever un abcès, et là pour le coup on aurait bien redemandé quelques scènes. Ce sont deux France qui se regardent et ne se comprennent pas, enfin pas très bien quand Marvin adulte rencontre son père. Figure paternelle très émouvante campée par l’acteur Grégory Gadebois. Là où le roman était manichéen, d’une noirceur crasse, le film restitue de l’humanité aux relations familiales. On perçoit tour à tour les défauts et la tendresse du père, de la mère et du fils, l’amour qu’ils se portent malgré le fossé immense qui les sépare.
Anne Fontaine dit que ce film parle de la différence de façon universelle, sur ce point à chacun de voir si le récit produit cet effet ou reste attaché à une histoire particulière déjà très forte. Le film a le mérite d’aborder ensemble ces thèmes forts de l’homophobie, la misère sociale et culturelle et les liens familiaux ; d’entraîner son spectateur et par là d’élever le débat ouvert par Eddy Bellegueule.