« Les questions de forme étant aussi des questions de fond, le débat sur les mises en scène de l’histoire dépasse l’horizon du jugement esthétique : il engage une éthique du regard […] dont les résonances sont éminemment politiques. »
Cette citation de Sylvie Lindeperg (La Voie des images, 2013) trouve un écho dans l’œuvre de Raphaël Faon et Andres Salgado, deux artistes ayant réalisé plusieurs œuvres en collaboration. Un travail qui questionne la présentation de l’événement historique ou contemporain à travers l’archive, les cadres de l’image d’information et ses implications politiques. Les techniques utilisées par Raphaël Faon traversent elles-mêmes le temps et les supports, de l’ancienne technique photographique du cyanotype à la modélisation 3D et l’hologramme. Mais que ce soit en photo, vidéo, sculpture ou installation, ses œuvres ont souvent un aspect fantomatique, entre présence et absence, matérialisation et dématérialisation : une approche de l’image marquée par la rapidité des flux d’images à l’ère du numérique et dans les médias contemporains.
Demain les chiens, 2016 © Raphaël Faon et Andres Salgado
Présentées au festival Hors Pistes du Centre Pompidou, sa série de photographies « Crise des migrants » et l’œuvre « Open Sea » réalisée avec Andres Salgado trouvent une résonance très actuelle.
La critique des médias est d’ailleurs importante dans « Crise des migrants », série de photographies réalisées à partir d’images d’actualité, mais en utilisant un temps de prise de vue assez long pour capter le mouvement sans défaire la représentation. L’artiste change donc la nature des images de cette crise, dont la surmédiatisation déshumanise et transforme les corps en simples objets d’actualité.
« Il s’agit de faire apparaître le spectre de l’image et de faire l’hantologie, pour reprendre le très beau concept de Derrida, des imageries qui structurent le réel. […] Montrer la spectralité des images est un moyen privilégié pour revendiquer une esthétique et une politique de la révélation afin de rendre d’autres images, d’autres temporalités et d’autres vies possibles. » Raphaël Faon
Le flou (le temps) agit comme processus de subjectivisation : en brouillant le corps, il rend visibles l’individu et sa souffrance, tout en évoquant la crise humaine globale. Une image spectrale qui est à la fois celle des rescapés, celle des disparus en mer, et celle de l’image d’actualité elle-même.
Le positionnement politique et social de l’artiste est très visible dans ces photographies, mais ce n’est pas toujours le cas. Il apparaît parfois dans le discours de l’artiste mais s’évanouit sous l’image, comme dans « Open Sea », œuvre holographique réalisée avec Andres Salgado : l’hologramme d’un carré de mer réalisé en images de synthèse, accompagné d’un bourdonnement sonore, et fait pour être présenté dans une structure minimaliste invitant à l’immersion.
Open Sea, 2017 © Raphaël Faon et Andres Salgado
Je dirai alors, au risque d’inviter à la surinterprétation : à chacun d’y voir ce qu’il veut ! C’est peut-être ce que nous dit cette œuvre: puisque nos regards et nos imaginaires sont eux-mêmes situés socialement et politiquement, il appartient à chacun de prendre conscience de son regard, de ses supports et de ses médiations, pour réfléchir aux structures du monde qui nous contiennent.
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Pour voir les œuvres de l’artiste, le festival Hors Pistes au Centre Pompidou se termine ce soir, le 12 février, mais la série « Crise des migrants » sera présentée du 23 mars au 23 avril au Centre Pompidou Málaga.