« Tu me pardonneras mon indiscrétion mais en fait au lit vous faites quoi ? » « T’as déjà essayé avec des garçons ? » « En fait vous couchez pas ensemble, il n’y pas de pénétration, c’est pas vraiment du sexe. » « C’est juste des préliminaires finalement, non ? » « Statistiquement, plus de filles ou de garçons ? Tu préfères quoi ? » « Qui fait l’homme ? ». À peu de choses près, c’est un bon résumé du bingo hétéronormé auquel de nombreuses lesbiennes ont dû faire face après le dévoilement de leur sexualité au grand public. Soit dit en passant, on notera l’omniprésence du passage obligé du coming out auprès des amis et de la famille dans les médias, donc dans la vie réelle par extension. Pourquoi se sent-on obligé de déclamer à son entourage ce que l’on compte faire de notre sphère intime ? Les hétérosexuels annoncent-ils leur attirance pour le sexe opposé en grande pompe à leur grand-mère ? Mais là est une autre question. L’essence de cet article tourne autour de la perception de la sexualité des lesbiennes par un monde à dominante hétérosexuelle.
À la recherche du respect
Au premier abord, ce qui interpelle, c’est l’énormité de l’indiscrétion de ces questions. Si l’on renverse la perspective, l’absurdité saute aux yeux. Est-ce que l’on demande aux gens hétéros que l’on vient de rencontrer quelle est leur position préférée ? Alors pourquoi demander aux lesbiennes ? Le premier réflexe serait de se demander s’il n’y a pas eu un souci dans l’apprentissage du respect chez ces interrogateurs. Mais cela est en réalité révélateur d’une autre lacune éducative : le sexe, tout simplement. Le sexe dans son ensemble, le sexe en général. Les cours d’éducation sexuelle parlent d’une expérience du sexe hétérosexuel. Ce n’est que très récemment qu’ont été incluses les préventions pour d’autres types de sexualité, et elles restent minoritaires. Une seule chose compte : la sacrosainte pénétration. Si elle existe aussi dans la sexualité lesbienne, il y a cependant mille autres facettes de la sexualité, autant chez les hétérosexuels que les gays. Quid des 80% de femmes qui ne peuvent atteindre l’orgasme sans stimulation clitoridienne ? C’est ce manque d’informations, une ignorance profonde liée aux tabous, un aveuglement volontaire sur les plaisirs liés au sexe qui mènent à de telles indiscrétions, à une espèce de curiosité perverse. Ce qui ne justifie en rien de telles questions, et si vous ne voyez pas pourquoi, vous êtes fortement invités à partir à la recherche du respect.
« Une lesbienne jouit sans penser à mâle » – Georges Elgozy
Le tabou lié au plaisir n’est pas le seul élément à biaiser la perception de la sexualité lesbienne. Ce qui pose fortement problème est au cœur : c’est la femme. Le plaisir féminin. Le fait est que dans l’imaginaire des interrogateurs intrusifs, il ne peut y avoir de sexe, de plaisir sans hommes. On en arrive à des questions et observations absurdes. « Mais alors, comment vous faites ? » Eh bien on se touche les coudes et on se tresse les cheveux comme dans Avatar jusqu’à s’endormir paisiblement en position ciseaux. « Mais s’il n’y a pas pénétration, ce n’est pas réellement du sexe. » C’est là tout le symbole d’une omniprésence d’hommes indispensables qui est même internalisée par les filles elles-mêmes. Cela crée une sorte de hiérarchisation très révélatrice : il y aurait donc deux sortes de sexe, le vrai avec pénétration, et le reste. L’observation courante souvent présentée ainsi « Mais en fait, vous faites seulement des préliminaires ? », appuie d’autant plus ce raisonnement : deux filles ensemble sont simplement une sorte de mise en bouche, quelque chose qu’elles font en attendant que le mâle triomphant, éructant et en chaleur arrive pour les délivrer de leur supplice. Est-ce la peine de mentionner après cela la question souvent entendue, sur un ton mi-second degré mi-fond de vérité : « Mais tu n’as peut-être pas trouvé le bon ? »
Des horizons au-delà de la pénétration
La sexualité est tout simplement annihilée (on en revient au syndrome du papier peint), autant dans le regard collectif, dans ses perceptions, ses représentations que dans la vie concrète. Big up au personnel médical désemparé devant l’annonce d’une sexualité n’incluant pas forcément la verge. Ignorance, manque d’éducation et le numéro gagnant, sexisme, effacent tout bonnement les lesbiennes, les mettant dans une situation de justification constante. Travaillons alors peut-être en amont, informons sur les vastes étendues au-delà de la pénétration avant de mettre mal à l’aise des filles qui n’ont pas forcément envie de vous expliquer les tenants et aboutissants de la position des ciseaux.