Fort Buchanan est le premier long-métrage du jeune réalisateur américain Benjamin Crotty. Après des études d’arts contemporains au Fresnoy, Benjamin Crotty réalise quatre courts-métrages remarqués dans les festivals de cinéma. Ce premier long-métrage hybride et survolté a notamment été sélectionné aux festivals de Locarno, Rotterdam et Lisbonne malgré une sortie en salle quasi inexistante en France, il y a un an.
Ces derniers temps, le jeune cinéma contemporain fait naître de nombreux films en dehors des circuits de financement classiques. En France, le système de financement des films est vaste grâce à de nombreux fonds notamment publics. Toutefois, l’industrie a tendance à se complexifier, les lois et réglementations se multiplient et le CNC ne semble pas regarder d’un bon œil les dits « petits » films. On entend par « petits » les films de moins d’un million d’euros, mal financés, voire non financés.
Parfois films « sauvages », films auto-produits ou films indépendants, certains sont aussi des courts-métrages devenus des longs-métrages lors du montage. Nous pourrions notamment parler de L’Âge atomique d’Héléna Klotz, de Donoma de Djinn Carrénard, de Brooklyn de Pascal Tessaud ou encore de Tout est faux de Jean-Marie Villeneuve. Ces films peinent à trouver leur place en salle, tués dès la fin de la production par des exploitants trop frileux. Mais surtout, les producteurs et réalisateurs se heurtent dès la naissance du projet à des commissions de financement trop normées. Malgré tout, certains réussissent à voir le jour dans une énergie libre et décomplexée tels que le premier long-métrage de Benjamin Crotty.
Fort Buchanan nous parle des familles de militaires qui vivent dans la solitude la plus extrême lorsque les époux sont en mission durant de longs mois, voire de longues années. À travers ce postulat de départ, Benjamin Crotty raconte l’histoire de Roger et de son mari Franck, parti à Djibouti depuis une dizaine d’années. La solitude et le manque de sexualité le ronge, seul avec sa fille adoptive au fort abandonné de Buchanan, lui qui n’a connu aucun autre homme.
À l’instar d’un déjeuner sur l’herbe, sa bande d’amis le réconforte et le conseille. La fidélité n’est sûrement pas le maître mot de ses amis qui tentent de sauter sur tout ce qui les entoure. Sa mise en scène rohmérienne et ses dialogues fortement influencés par la télévision, nous entraînent dans un univers décalé et poétique, structuré autour des quatre saisons. Les personnages sont poussés dans des états psychologiques différents au fil des saisons.
Benjamin Crotty joue avec les codes de la culture populaire en copiant des dialogues de téléfilms américains afin de créer une norme linguistique et dépersonnalisée plongée dans un contexte de cinéma d’auteur.
Les nombreux non-sens et les situations burlesques présentent un réalisateur qui prend plaisir à mélanger les tons, à creuser et expérimenter des aspects de mise en scène dont l’association effraie à première vue. À de nombreux instants, le film est sujet à l’effondrement mais les recherches artistiques et formelles prouvent que Benjamin Crotty sait très clairement où il nous entraîne.
« Et toi t’as un petit nom pour tes parties intimes ? »
« Porcelaine… et Roger ? »
« Non j’en ai pas, mais je veux bien en avoir un. »
« Ok, nouveau jeu, trouvons un nom pour la bite de Roger ! »
Fort Buchanan est effectivement un film peu financé, mais débarrassé de toutes contraintes budgétaires, il fait preuve d’une fraîcheur qui n’a rien à envier aux films du circuit.
Ses comédiens qui semblent être une véritable bande de potes s’impriment sur la pellicule 16mm à chaque plan, chaque parole prononcée. Autant vous avouer tout de suite que cela donne clairement envie de copuler dans les champs.
Toutefois, le film n’est pas là pour nous faire l’éloge des déviances sexuelles et des infidélités conjugales mais pour nous rappeler que la recherche du plaisir romantique n’est pas une quête perdue.
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Un film de Benjamin Crotty
Avec Andy Gillet, Iliana Zabeth, Pauline Jacquard, Nancy Lane kaplan, Mati Diop, Guillaume Palin, Judith Lou Lévy, David Baiot, Luc Chessel.
Une coproduction Les Films du Bal, le Vent des Forêts, Godolphin Films, My new pictures.
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