Lecture en cours
[38es Trans Musicales] Jean-Louis Brossard interview

[38es Trans Musicales] Jean-Louis Brossard interview

À l’occasion des 38es Rencontres Trans Musicales qui se dérouleront du 30 novembre au 4 décembre prochain, Meven et Eléna sont allés poser quelques questions à Jean-Louis Brossard, programmateur du festival.

[Infos/billeterie : http://www.lestrans.com]

Manifesto XXI – Meven : Après tant d’années, avez-vous toujours plaisir à découvrir des artistes, et la découverte n’est-elle pas dénaturée par le fait que maintenant vous avez un énorme réseau et que de nombreuses informations vous parviennent sans nécessairement les chercher ? 

Oui, mais c’est très différent par rapport aux premières années, parce qu’à l’époque soit tu écoutais la radio, soit tu allais chez ton disquaire, il n’y avait que comme ça que tu pouvais découvrir des groupes. Maintenant avec les réseaux sociaux, etc., tu peux les découvrir plus facilement, et on t’envoie beaucoup plus de choses. Avant on t’envoyait des disques ou des cassettes, et maintenant on t’envoie un lien, un mail avec dix groupes… Il faut tout écouter… Enfin, c’est complètement différent. Après, il y a beaucoup de groupes que j’ai vus aussi sur scène en festival, et le plaisir est toujours là bien sûr !

Meven : Que pensez-vous de l’écoute sous format digital ?

Je préfère le son d’un vrai disque, mais ce qui est bien par exemple, c’est que si j’aime bien l’album d’un groupe mais que j’ai envie de voir ce que donne le groupe sur scène, j’essaie de toper une vidéo YouTube avec un live, et là je vois ce que représente le groupe sur scène, s’il y a un lead singer, s’il amène le public… Là, je vois sur Happy Meal LTD, il n’y avait que deux titres de dispo, et après je suis allé voir des extraits de concert où le son était complètement pourri, mais tu vois que le groupe a une super énergie, ça pogote au premier rang… Tu vois qu’il se passe quelque chose avec le public, donc c’est un plus, ça m’a conforté dans mon choix.

Eléna : Est-ce que la place qu’ont pris la communication et le marketing dans les chances de diffusion d’un groupe aujourd’hui vous dérange ? 

Il y a des attachés de presse qui font du très bon boulot, qui vont aider le groupe dans son développement, parce que beaucoup de groupes aujourd’hui travaillent en indépendants, c’est-à-dire que même si des fois ils sont signés sur des majors, ils sont d’abord sur un autre label comme Entreprise par exemple, qui est distribué par Sony, ou d’autres par Pias… Après, beaucoup de gens sont sur les réseaux sociaux, donc l’information va très vite, tu peux créer un buzz très vite, mais ça peut s’effondrer très vite aussi, parce qu’il y a tellement de groupes partout… C’est un peu le problème, il y a beaucoup de choses à prendre, à digérer, etc. Souvent il y a des groupes qui font des carrières, c’est un météore quoi. Mais des fois non, ça s’installe dans le temps… Beaucoup de groupes qui ont réussi ont mis du temps aussi à ce que ça marche.

Meven : Est-ce que vous arrivez à avoir un lien humain avec tous les artistes que vous invitez, malgré leur grand nombre ? 

Toujours, je vais saluer absolument tous les artistes qui viennent au festival, comme à l’UBU à chaque concert. Pour moi, c’est 70% du métier entre guillemets, puis c’est mon plaisir. Par exemple, là, je reçois bientôt NO ZU, qui vont venir d’Australie rien que pour les Trans, mais parce qu’on s’est rencontrés avant à un concert à l’UBU, on a passé une super soirée, le concert était génial, puis humainement il s’est passé des choses. Pareil, l’autre jour j’avais Geoff Barrow de Portishead qui venait avec son nouveau groupe, Beak, qui est un side project, eh bien on a discuté jusqu’à trois heures du matin.

Eléna : Vous êtes à un poste d’observation privilégié pour avoir une vision d’ensemble des nouvelles tendances musicales ; quelles sont celles qui vous ont sauté aux yeux cette année ?

Je ne sais pas s’il y a des courants forts, mais en tout cas il y a vingt-cinq pays représentés, c’est-à-dire qu’il y a de la musique qui vient de partout, il n’y a pas que des Anglo-saxons ou des Français comme dans beaucoup de festivals ; donc moi ça m’intéresse d’aller voir ce qui se passe en Afrique du Sud, en Égypte, en Asie… Alors après, est-ce que ce sont les Trans qui vont lancer les nouvelles tendances, je ne sais pas, mais en tout cas il y a des groupes qui peuvent débuter une carrière aux Trans, comme il y en a eu plein : Skip&Die, Portishead, LCD Soundsystem… Parce que tu vas confronter un artiste à un public qu’il n’a jamais vu, avec du son et des lumières de qualité, du monde… Puis si le concert est génial, ça va marcher. En plus il y a beaucoup de professionnels sur les Trans, à peu près deux mille, ça va des médias aux organisateurs de festivals, aux programmateurs de salles…

Eléna : Les Trans ont la réputation d’être un festival défricheur, chéri des professionnels et des passionnés ; comment faites-vous pour faire venir aussi le grand public ? 

J’essaie seulement de faire ce qui me plaît, et en fin de compte ça fonctionne, c’est aussi simple que ça. Je n’essaie pas d’aller dans leur sens parce que je ne sais pas, et même les pros, quand ils voient la programmation des Trans, ils connaissent Yuksek, deux-trois noms, puis le reste, personne ne connaît. C’est pour ça que je vais souvent à Paris, dans un bar qui s’appelle le Truskel, passer des vidéos et du son devant une assemblée de médias, de blogueurs… Pour leur faire découvrir les artistes.

Eléna : Donc il y a quand même bien une volonté d’expliquer, d’accompagner ?

Oui, après on fait la compilation aussi, puis sur notre site on peut écouter tous les groupes. Après, les gens vont un peu faire leur choix concernant ce qu’ils veulent voir, bien que ça bouge, parce qu’au Parc Expo il y a quand même quatre scènes au même moment, c’est ça qui est intéressant. Puis c’est un super public, très particulier, plein d’énergie, il n’est pas là pour se mettre devant une scène pour voir tel artiste et le reste il s’en fiche, ce n’est pas ça du tout, bien au contraire.

Eléna : Est-ce que vous avez quelques statistiques sur votre public, son âge, milieu, etc. ?

J’ai remarqué que depuis au moins une dizaine d’années, les jeunes viennent à 14-15 ans, alors que pour les premières Trans c’était plutôt 18 ans, et surtout des gens qui écoutaient du rock. L’arrivée des musiques électroniques a un peu changé la donne, car beaucoup de gens en écoutent, du hip-hop aussi… Dont les jeunes, et c’est vrai qu’on a une clientèle de plus en plus jeune. Puis dans d’autres festivals aussi, c’est-à-dire que maintenant, ils sortent plus facilement. Peut-être que les parents allaient sur des festivals à l’époque aussi, donc ils n’ont pas empêché leurs gamins d’y aller ! Il y a aussi des jeunes qui viennent aux Trans avec leurs parents.

Meven : Quand vous invitez un groupe aux Trans, est-ce que vous vous investissez aussi pour les accompagner dans le futur ?

Quand je décide d’amener un groupe aux Trans et qu’ils n’ont pas de tourneur français ni de maison de disques, je vais essayer d’en trouver pour eux, parce qu’il n’y a pas que les Trans, il y a une vie après. Et d’ailleurs, je suis souvent content de recroiser les groupes qui ont joué aux Trans, à l’UBU, dans d’autres festivals, d’autres salles… Il y a des liens qui se tissent.

Eléna : De nombreux petits festivals naissent en ce moment, montés par des jeunes, dans une ambiance DIY, qui défendent la découverte, le qualitatif… un peu dans les traces des Trans. Quel regard portez-vous dessus ? 

Dès que je peux y aller, j’y vais. Cette année, je suis allé au MIDI Festival, qui est petit mais qui existe depuis un moment ; je suis allé à Vie Sauvage à Bourg-sur-Gironde, c’était très sympa, puis je suis allé sur un autre festival à Saintes aussi, qui était très chouette. Il y a très peu d’artistes connus, mais c’est vraiment des équipes de passionnés. D’ailleurs, à Saintes, il y avait les Lysistrata, un trio qui va jouer aux Trans, très jeunes, et ils étaient devant toutes les scènes au premier rang, tu les voyais tous les trois à chaque fois, c’était assez rigolo.

Eléna : Donc c’est un regard bienveillant que vous portez sur ces initiatives ?

Bien sûr, puis moi dès que les gens font quelque chose, je suis preneur ; tu vois, ce que je n’aime pas, c’est : « Il faudrait faire ci, il faudrait faire ça », puis des gens qui ne branlent rien.

Meven : On dit souvent que c’est de plus en plus difficile d’innover à Rennes, et les nouveaux collectifs qui naissent sont essentiellement centrés sur la techno, qu’en pensez-vous ?

Il y a plein d’associations, plein de gens qui sortent des disques, il y a des djs… Ils organisent leurs soirées, je pense qu’ils se font plaisir avant tout. Je vais à quelques soirées à l’UBU parmi celles organisées par des assos, c’est plutôt sympathique tout ça ! Après il y en a beaucoup, c’est vrai, c’est comme les festivals électroniques, il y en a partout. J’en ai fait beaucoup à une époque et j’en fais toujours, quand on faisait les rave aux Trans ou les soirées Planète, là où on a donné envie aussi aux autres de le faire, quelque part, parce qu’à cette époque-là on était pionniers, on était les seuls, pratiquement, à part quelque mecs à Paris qui faisaient des soirées, il n’y avait pas grand-chose. C’est vrai que maintenant la musique a changé, beaucoup de jeunes préfèrent aller en club plutôt qu’aller voir des concerts, c’est une autre façon de sortir.

Eléna : Une question-clé en ce moment : celle de la sous-représentation des femmes dans les musiques actuelles, comment prenez-vous en compte cette problématique dans votre programmation ?

J’ai plus de 30% de la programmation qui est féminine cette année, mais quelque part, c’est parce que j’ai découvert des artistes qui étaient des femmes, c’est tout, c’est aussi simple que ça. Je ne me suis pas dit que j’allais faire un quota de femmes, pas plus qu’un quota de telle ou telle minorité… Moi, ce n’est que la musique qui me porte.

Voir Aussi

Eléna : Avec le recul des années, avez-vous l’impression que leur visibilité et/ou leur nombre augmente ? 

Il y a peut-être plus de femmes qui ont envie de faire de la musique, il y a beaucoup de chanteuses, surtout dans les styles folk, etc., de plus en plus de femmes djs qui font des trucs super, il y en a plein aux Trans… Je crois que les femmes se sont affirmées dans le paysage des musiques actuelles ; mais il n’y a pas que ça, par exemple je me suis aussi aperçu que dans la scène française de plus en plus de Français chantent en français, alors qu’avant tout le monde chantait en anglais… C’est-à-dire que les gens n’ont plus de complexes, on y va. Quand on parle des femmes sur les festivals, cette année c’est Fishbach qui fait la résidence, et il y a deux ans c’était Jeanne Added. Ce sont des gens qui ont du talent surtout, c’est ça qui m’intéresse.

Eléna : Ça semble plus facile de capter les tendances lorsqu’on est jeune et qu’on évolue parmi les créateurs, soirées du moment… Comment avez-vous fait pour rester aussi sensible à l’innovation musicale au fil des années ? 

Il y a des gens qui arrêtent de sortir, à un certain âge ils préfèrent faire autre chose… Après, moi, c’est vraiment une passion depuis très très très longtemps, donc je ne me pose pas cette question, et même quand je parle à un gamin qui a vingt balais, je ne me dis pas que j’en ai soixante et quelques, parce que je n’en ai pas soixante dans la tête. Il y a des gens qui sont vieux à vingt ans, et d’autres qui sont encore jeunes à quatre-vingts !

Eléna : Est-ce que le contexte et le futur politique vous inquiètent vis-à-vis de la bonne santé de la culture, et par répercussion de votre festival ? 

Nous on est dans une ville où on a rapidement été soutenus par la mairie, de gauche à l’époque. D’un autre côté, les ministères changent, mais les Trans ont toujours été reconnues, c’est un peu une institution, donc à ce niveau-là je ne m’inquiète pas. D’un autre côté, les subventions baissent un peu partout, et pour tout le monde pareil, quels que soient le ministre, le parti… C’est toujours difficile, parce qu’il y a de moins en moins d’argent pour la culture ; des fois tu n’as pas vraiment non plus un ministre qui a une vision, à la manière de Jack Lang et de Mitterrand par exemple, où quand tu as un président et un ministre qui sont en osmose, ça crée vraiment des choses. Là c’est différent depuis, mais en tout cas ce qu’a apporté Jack Lang, et André Malraux avant lui avec De Gaulle, quand il a lancé les Maisons de la Culture, etc. – donc des gens aussi bien de droite que de gauche – était fort, ils ont eu des visions et se sont dit que la culture est quelque chose d’important, et c’est important pour tous, il faut que tout le monde puisse y avoir accès. Ça c’est une chose qui nous importe aussi très fort.

Eléna : Donc vous êtes confiant dans l’avenir du festival ?

Je crois qu’on fait un beau festival, il est assez unique car on arrive à faire soixante mille personnes sans aucun artiste connu, ce qui est assez extraordinaire. Enfin on va voir cette année, mais ça a l’air bien parti !

Eléna : Une dernière question concernant Fishbach qu’on suit pas mal depuis un moment, on a vu qu’elle participait au festival chaque jour, avec une création particulière ?

Oui, elle va jouer pour la première fois avec un groupe. Elle va arriver en milieu de semaine prochaine, et travailler à L’Aire Libre jusqu’au moment des Trans, elle va faire son premier concert le mercredi, jusqu’au dimanche, donc cinq concerts à suivre. Il va y avoir une créa lumière aussi… En plus elle a son album qui sort, donc tout le monde va avoir les yeux rivés sur elle, mais je suis confiant avec Flora !

Eléna : Un petit mot/conseil pour finir, avant l’ouverture du festival ? 

Un conseil oui, bien se reposer avant car c’est quand même un peu un marathon, on ne dort pas beaucoup, donc il faut manger des oranges et des mandarines !

_

Propos recueillis par Eléna Tissier et Meven Marchand-Guidevay.

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.