La troisième édition de 100% L’EXPO – Sorties d’écoles réunit plus de 140 artistes récemment diplômé·es, donnant ainsi à voir un panorama exigeant et prometteur de la création contemporaine, tous médiums et disciplines confondus – de la peinture au design en passant par la vidéo, la photographie ou le design textile, jusqu’à la scénographie de la Grande Halle de la Villette, réalisée par un groupe d’étudiant·es de Paris-Malaquais. Et bonne nouvelle, suite aux annonces du déconfinement, 100% L’EXPO a été prolongée jusqu’au 30 juin !
Après vous avoir présenté la riche programmation digitale offerte dans le cadre de cette exposition (ici) pour pallier les restrictions d’accès dues à la situation sanitaire, on vous propose aujourd’hui de découvrir quelques œuvres présentées dans la Grande Halle – accessible au public à partir du 19 mai – et dans le Parc de la Villette.
La scénographie fluide et ouverte dans le vaste espace central et les deux mezzanines, sans classification ni par école ni par médium, permet de créer des dialogues parfois inattendus entre des pratiques extrêmement diverses. Pour cette cinquième édition de 100%, les artistes sont issu·es de huit écoles d’art et de design en France : les Beaux-Arts de Paris, les Gobelins, l’École de l’image, l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, l’École des arts décoratifs de Paris, Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, la Fémis et l’ENSCI-Les Ateliers, l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais.
Parmi les très nombreuses propositions, la part belle est donnée à la photographie et aux installations multimédia, qui ont particulièrement retenu notre attention. On a relevé le défi de sélectionner 15 artistes (re)découvert·es dans cette exposition : 9 présenté·es dans la Grande Halle, 3 photographes dont les œuvres sont exposées à l’intérieur mais aussi en plein air, ainsi que 3 artistes qui investissent le parc de la Villette. La sélection n’est ni objective ni exhaustive, mais tente néanmoins de donner un aperçu représentatif de la diversité des propositions présentées.
À voir dans la Grande Halle de la Villette
Esther Denis
L’étant, 2020
Esther Denis est diplômée de la filière scénographie de l’EnsAD, et cela se ressent face à son incroyable installation intitulée L’étant, jouant de l’homonymie avec étang. Son œuvre, pensée comme une représentation du Paradis à travers des échos et reflets, prend bien la forme d’un étang circulaire. À la manière d’un diorama, l’artiste entoure le bassin central de narcisses et d’une vanité. Les jeux d’optique, faits d’ombres et de refléchissements, confèrent une dimension spectrale et envoûtante à l’œuvre, notamment avec la projection de silhouettes de danseuses ondoyant sur l’eau sombre. Seul un temps long d’appréhension permet de saisir la puissance de cette pièce immersive, aussi onirique que philosophique. À l’instar de la notion même de Paradis, rien n’est univoque ni immuable dans cette installation, qu’Esther Denis aimerait d’ailleurs activer en dispositif théâtral.
Esther Denis est diplômée de l’EnsAD (Paris) en 2020.
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Prune Phi
Topographies, 2016
C’est lors d’une résidence à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), auprès de chercheur·ses et médecins travaillant au recouvrement de la vue pour des personnes atteintes de maladies dégénératives, que Prune Phi a collecté une multitude d’images, notamment des photographies prises pendant des auscultations. Elle s’empare de ces fragments, les agence, les superpose et joue des échelles, conférant à des images à caractère scientifique une dimension graphique et sensuelle, parfois à la limite de l’abstraction. Mêlant photographies et dessins, l’installation, d’une grande élégance, propose une véritable topographie visuelle de l’œil humain.
Prune Phi est diplômée de l’ENSP (Arles) en 2018.
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Alice Brygo
Les îles périphériques, 2020
Soleil noir, 2019
Symbolisant les cinq étapes de l’explosion d’une bombe à hydrogène, les sérigraphies sur plexiglas de Soleil noir semblent léviter, en demi-cercle, et s’apparentent ainsi aux vitraux d’une chapelle. Il est question de destruction, de spiritualité, de nihilisme, d’alchimie et de mysticisme dans les œuvres d’Alice Brygo. En témoigne également la magnifique vidéo intitulée Les îles périphériques, dans laquelle se croisent à l’aube deux communautés errantes et marginalisées. Lieu de passage, un échangeur autoroutier est le théâtre de rencontres entre des êtres en quête de sens, ravers désenchanté·es et exilé·es retranché·es dans des camps de fortune aux interstices urbains. En sublimant ces corps fragiles et ces instants évanescents, Alice Brygo dresse un émouvant portrait d’une société au bord du gouffre.
Alice Brygo est diplômée de l’EnsAD (Paris) en 2019.
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Inès Segond-Chemaï alias Saki
(Nothing) Disappeared, 2019
(Nothing) Disappeared, présenté sur une des mezzanines de la Grande Halle, est « une réflexion sur le deuil et la pérennité à l’ère du numérique ». Cette installation augmentée sous forme de triptyque revisite les vanités à l’aide de techniques aussi variées que la photographie, le motion design, la vidéo ou la 3D. Mêlant réel et virtuel, Saki propose une exploration poétique des possibilités infinies offertes par la technologie. Poursuivant ses recherches sur le statut de l’image et ses expérimentations des outils numériques, Saki a également créé un filtre Instagram pour l’exposition (à tester ici).
Inès Segond-Chemaï alias Saki est diplômée des Gobelins (Paris) en 2018.
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Hugo Dumont & Anthony Vernerey
Welcome to Alètheia !, 2019
Issu de la philosophie grecque antique, le concept d’alètheia désignait une parole sacralisée, tenue pour vraie car émanant d’une personne investie d’un pouvoir accepté par tous·tes. C’est ce mot qu’ont choisi deux étudiants de l’EnsAD en design graphique pour leur projet de diplôme, une ville fictive pensée comme la « vision exacerbée de notre ère spectaculaire ». Dans la Grande Halle, elle prend la forme d’une vaste installation, sorte de décor cinématographique composé d’affiches et d’une vidéo, mettant en scène différents éléments constitutifs de l’organisation sociétale moderne (police, pompes funèbres, agence de voyage…). À l’ère de l’omnipotence des réseaux sociaux, le simulacre règne en maître dans nos vies, détermine aussi bien notre rapport aux autres qu’au travail ou même à soi-même. À travers cette installation fascinante, Hugo Dumont et Anthony Vernerey proposent une dénonciation grinçante des cadres idéologiques régissant notre société, dans laquelle l’effet visuel prime sur la réflexion.
Hugo Dumont & Anthony Vernerey sont diplômés de l’EnsAD en 2019.
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Yosra Mojtahedi
Vitamorphose, 2019
Une étrange forme sphérique blanchâtre, organique, à l’apparence presque spongieuse, trône au milieu d’une salle plongée dans l’obscurité. Cette installation robotisée, sculpturale et sonore, réagit à notre présence par de légers mouvements, à peine perceptibles de prime abord. Dans une atmosphère à la limite du surréalisme, Yosra Mojtahedi mêle l’organique au technologique, et démontre la porosité entre mondes vivants et non-vivants. D’origine iranienne, la plasticienne cherche dans son travail à révéler ce qui est d’ordinaire tu, caché ou invisibilisé, et revendique la dimension sensorielle, voire sensuelle de son travail résolument engagé. L’expérience sensible est aussi déstabilisante que remarquable.
Yosra Mojtahedi est diplômée du Fresnoy en 2020.
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→ Voir la vidéo 60 secondes chrono réalisée par la Villette en partenariat avec PROJETS.
Jane Peynot
Radian ] 390 ; 710 [ ?, 2017
Pour cette collection de textiles qu’elle destine au vêtement, Jane Peynot s’est inspirée des rayonnements électromagnétiques avec lesquels nous cohabitons quotidiennement. Invisibles et impalpables, les ondes lumineuses sont considérées par l’artiste comme des « présences fantomatiques » qu’elle cherche à retranscrire matériellement. Elle n’a choisi que des matières synthétiques (polyester et polyamide) et joue de la transparence, des teintes et des rayures pour rendre visibles ces mouvements imperceptibles auxquels nous sommes si perméables. Cette collection est présentée dans la Grande Halle de la Villette comme une véritable installation. On note le soin porté à l’accrochage et à l’éclairage, accentuant l’aspect spectral de certains fragments textiles en lévitation.
Jane Peynot est diplômée de l’EnsAD en 2017.
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Vincent Volkart
Les Récits d’Yves, acte I et II, Le Bobard et Le Cruchon, 2019
L’installation de Vincent Volkart est d’abord intrigante : dans une structure d’angle, deux petites sculptures dont on n’appréhende pas immédiatement les formes sont posées au sol. Chacune est surplombée d’un écran présentant des captations d’actes performatifs d’apparence ridicule : un homme en combinaison intégrale verte interagit avec les sculptures. Seuls deux volets de la trilogie de Vincent Volkart mettant en scène un anti-héros contemporain en proie à l’ennui sont présentés ici. Ces saynètes burlesques, aussi légères que déroutantes, disent aussi le désarroi d’une génération en quête de sens et d’évasion.
Vincent Volkart est diplômé de l’ENSBA (Paris) en 2019.
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Éliane Aïsso
Ati okuku dé imonlé/de l’invisible au visible, 2019
Comment se souvenir de nos mort·es ? Si cette question est universelle, il y a autant de réponses que de cultures. Au Bénin, pays de naissance d’Éliane Aïsso, la pensée traditionnelle dahoméenne considère la mort comme une étape de transition entre le royaume des vivant·es et celui des divinités. S’inspirant de rituels ancestraux, la plasticienne présente dans la Grande Halle une installation multimédia incantatoire et envoûtante autour de la réincarnation. Dans l’obscurité, 22 assen (autels mobiles en fer forgé provenant de l’ancien royaume du Danhomès, représentant les défunt·es). Autour, des portraits photographiques « témoins », et en fond sonore des voix de personnes interrogées sur la manière dont elles souhaiteraient être réincarnées. Comme son nom l’indique (« de l’invisible au visible »), cette installation empreinte de spiritualité ancestrale est une plongée dans un espace de passage, dans l’entre-deux entre la Terre et le Ciel.
Éliane Aïsso est diplômée du Fresnoy en 2020.
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À découvrir dans la Grande Halle et en plein air
Robin Plus
All Eyes on Us, 2020
« J’ai une vague idée de ce qui m’entoure, mais je sens que c’est grand et imposant et que je me sens comme une petite merde inutile. » Cette phrase, extraite d’un texte écrit par le photographe en avril 2019, pourrait servir de sous-titre à cette série sublime rassemblant espaces et êtres marginalisés. Ainsi se côtoient des fragments de zones urbaines interstitielles et des portraits de personnalités queers, souvent des proches de l’artiste. Robin Plus sème le trouble, dans le genre, mais également dans l’espace et dans le temps. Le titre même de la série, All Eyes on Us, témoigne d’un paradoxe : les entités invisibilisées qu’il portraiture sont également toujours pointées du doigt par notre société normative et uniforme. En guise de protestation, Robin Plus rend hommage aux marges à travers un touchant éloge de la vulnérabilité, et rend toute leur dignité à celleux qui en sont trop souvent privé·es.
Robin Plus est diplômé de l’ENSP (Arles) en 2020.
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→ (Re)découvrir le concept-shooting Manifesto XXI x Parallèle réalisé avec Robin Plus
Gaël Sillère
Les êtres de demain, 2019
La culture populaire et la consommation de masse sont des sources inépuisables d’inspiration pour Gaël Sillère. Dans ses photographies, des personnages au regard hagard sont figés en pleine action absurde, souvent réalisée à l’aide d’un accessoire saugrenu. L’alliance entre le classicisme des postures, les couleurs pop et la neutralité des décors crée un décalage, à la fois comique et inquiétant. Rien n’est laissé au hasard dans ces mises en scène délicieusement railleuses qui pastichent le genre du portrait et tournent les dérives de la société de consommation au ridicule. L’absurde se mue en dérision, voire en cynisme, lorsque l’on découvre le titre de la série : Les êtres de demain.
Gaël Sillère est diplômé de l’ENSP (Arles) en 2019.
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Louise Desnos
Des femmes sous influence, 2018-2020
Contorsionnées, voilées, nues, mouillées, souriantes ou préoccupées, les femmes sont les protagonistes de la série de photographies présentée par Louise Desnos. De son objectif, elle capture des instantanés de vie, dévoile et magnifie des moments intimes. « Un abîme sépare ce qu’on est pour les autres et pour soi-même. Sensation de vertige et désir constant d’être enfin découverte. D’être mise à nu, découpée en morceaux et peut-être même anéantie. Chaque information, un mensonge. Chaque geste, une tromperie. Chaque sourire, une grimace. (…) Mais on peut être immobile et silencieuse. Au moins, on ne ment pas. On peut se replier, on peut s’enfermer en soi. Alors plus de rôle à jouer, plus de grimace à faire, plus de geste mensonger. Du moins, on croit. Mais la réalité est obstinée. Ta cachette n’est pas étanche. La vie s’infiltre partout. Tu es obligée de réagir. Personne ne se demande si c’est réel ou non, si tu es vraie ou fausse. » À l’instar de cet extrait de Persona d’Ingmar Bergman, les douze photographies alignées sur une cimaise rouge vif dans la Grande Halle de la Villette peuvent être comprises comme une mise à nu de l’intimité, une ode à la féminité, par-delà les carcans et les normes.
Louise Desnos est diplômée de l’EnsAD en 2017.
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À voir dans le Parc de la Villette
Amandine Guruceaga
La Liqueur des Hollandais, 2021
Dans son travail, Amandine Guruceaga s’intéresse à la transformation des matériaux, au processus de création qui métamorphose la matière en œuvre d’art. Utilisant pour la première fois le PVC, qu’elle associe ici à l’acier, elle intitule son œuvre d’après l’histoire de cette matière, surnommé au XIXème siècle « la liqueur des Hollandais » en référence aux quatre chercheurs à l’origine de son invention. Il se dégage de cette sculpture hybride, à la fois imposante et aérienne, une savoureuse étrangeté due notamment à l’indéfinition de sa forme et aux jeux de textures. Cette œuvre de plus de 3 mètres de haut a été réalisée spécialement pour 100% L’EXPO.
Amandine Guruceaga est diplômée de l’École des Beaux-Arts de Marseille en 2013.
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→ Voir la vidéo Make My Day réalisée par la Villette en partenariat avec PROJETS.
Ji-Min Park
Why are they crying ?
I know that autumn has gone and
Their possibility of love has gone with it.
Cruising the sea of independence that you call solitude,
Hoping that your eyes -my sister- will be athirst again.
2021
Née en Corée, Ji-Min Park reste très attachée aux traditions culturelles de son pays d’origine, et notamment aux rituels chamaniques, dont elle s’inspire dans son travail. Pour 100% L’EXPO, elle orne une galerie extérieure de la Grande Halle de la Villette d’une dizaine de sculptures hybrides, assemblage d’objets et matériaux composites (latex, peinture, tissus, chaînes, perles…). Suspendues, ces « larmes » monumentales syncrétiques sont des condensés d’histoire, de spiritualité et de mémoire. Des collages numériques imprimés sur vinyle et installés sur les vitres de la Grande Halle comme en toile de fond enrichissent l’installation conçue spécialement pour l’exposition.
Ji-Min Park est diplômée de l’EnsAD (Paris) en 2016.
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→ Voir la vidéo Les Brefs Entretiens réalisée par la Villette en partenariat avec PROJETS.
Adeline Care
Aïthō (je brûle)
Adeline Care investit le jardin des miroirs avec ses photographies à l’esthétique apocalyptique inspirées des paysages volcaniques de l’Etna. Jouant des échelles, des perspectives et de la mise au point, elle confère un aspect vertigineux à ses clichés. S’intéressant à l’extinction de l’espèce humaine, elle représente des hommes et des femmes qui ne se manifestent que sous forme d’apparitions spectrales, à peine discernables au sein de paysages immenses et inquiétants. Ne manquez pas de déambuler à la découverte de ces images, qui donnent au Parc de la Villette une dimension presque lynchéenne.
Adeline Care est diplômée du Fresnoy en 2020.
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Les propositions des designers de l’ENSCI-Les Ateliers
Seule école consacrée exclusivement au design et à la création industrielle, l’ENSCI-Les Ateliers met en avant l’expérimentation et les préoccupations de la création industrielle au cœur de son apprentissage. Regroupé·es sur plus de 100 m2 à l’entrée de la Grande Halle dans une scénographie qu’iels ont elleux-mêmes conçue, près de quarante étudiant·es présentent leurs projets. Quelques belles propositions ont retenu notre attention, parmi lesquelles :
- Les Baigneuses de Claire Gueguen : une exploration autour d’étoffes destinées à la baignade et à une rencontre plus sensorielle entre le textile et l’eau.
- Pays de fête de Nathan Bonnaudet : le développement de festivités folkloriques dans la friche d’une ancienne carrière d’argile des quartiers Nord de Marseille.
- Pulpe de Hortense Tollu : une application mobile d’éducation sexuelle alternative sous forme de déambulation dans un univers contemplatif pensé comme un espace de découverte et d’apprentissage.
- Hors-jeux de Reem Saleh : une nouvelle typologie de luge adaptable à tous types de corps afin de re-politiser le corps et de mettre le design au service d’un sport inclusif et accessible.
Enfin, on vous rappelle que des films sont disponibles en ligne : selon un calendrier de projection pour les diplômé·es de la Fémis (ici), et en accès libre pour celleux du Fresnoy (là).
Image à la une : Esther Denis, L’étant, 2020 © Nicolas Krief