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The State, plongée empathique dans l’enfer de l’État Islamique

The State, plongée empathique dans l’enfer de l’État Islamique

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De Daesh, on sait tout, mais on ne connaît presque rien de son humanité. C’est chose faite avec la mini-série du Britannique Peter Kosminsky qui nous plonge dans le quotidien de quatre nouveaux arrivants.

Quand la fiction amplifie la réalité

The State est un récit dense et haletant, très bien documenté. On saisit quatre Britanniques sur leur chemin vers la Syrie en 2015, alors que l’EI est à l’apogée de sa puissance dans la région. Ce sont quatre profils très différents : il y a Shakira, médecin, qui emmène son jeune fils Isaac avec elle ; Ushna, une jeune fille qui vit encore chez ses parents ; Jalal dont le frère est mort en martyr et son ami Ziyaad qu’il a embarqué dans l’aventure. La série commence alors que les quatre personnages prennent le chemin de Raqqa. On ne voit rien du processus de radicalisation, de prise de décision. Et c’est tant mieux, car on entre très rapidement dans le vif du sujet et la caméra communique ainsi au spectateur la détermination et la foi de ces croyants en l’EI. On ne sait pas quels sont les motifs qui ont amené chacun vers cette lourde décision, mais on le comprend assez rapidement en creux.

Ushna a une vision clairement romantique de son engagement, elle n’est jamais sortie du cocon familial et tente une forme de rébellion, « pour être une lionne parmi les lions », comme elle dit. Le personnage de Shakira, médecin et mère célibataire noire, est assez glaçant de pragmatisme. Sa détermination nous renvoie l’interrogation suivante : qu’est-ce que la Grande-Bretagne n’a pas su offrir à cette femme éduquée et altruiste ? Jalal et Ziyaad ressemblent à ces figures que l’on décrit souvent au fil des reportages, des jeunes hommes croyants en quête de sens. Jalal marche sur les traces de son grand frère, héros de Daesh et mort en martyr. Le personnage de Ziyaad est beaucoup moins creusé, il suit son ami et se pose beaucoup moins de questions, intégrant rapidement le comportement du mujahidin.

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La banalité du Mal

The State est un drame, l’issue fatale des quatre récits ne fait aucun doute dès le début. Ce qui est insupportable pour un spectateur occidental, c’est d’avoir de l’empathie pour ces quatre personnages, très bien joués par ailleurs. Car ils sont vraiment heureux de rejoindre l’EI, et la série montre très bien cela dans son premier épisode : l’allégresse de rejoindre une communauté, d’être valorisé en son sein. Ce qui est aussi choquant pour nous, c’est de voir la normalité des relations entre les habitants de l’État au début, entre les femmes du gynécée en particulier. Lorsque Ushna et Shakira arrivent au foyer des femmes célibataires, l’accueil est chaleureux et joyeux. Les scènes d’allégresse et de célébration du jihad nous sont en fait plus insupportables que les scènes de combat.

Si l’arrivée est joyeuse pour les quatre Britanniques, le premier épisode donne déjà les signes avant-coureurs d’une désillusion. On voit bien qu’il y a une différence entre ce que les quatre Britanniques pensaient trouver sur place et la réalité. Cette réalité, c’est celle d’un État totalitaire, obscurantiste, qui se maintient avec un système de délation et d’exécution. L’hôpital dans lequel va travailler Shakira, au péril de sa vie, est l’exemple parfait de l’incurie du proto-État, du ridicule de ces chefaillons fanatiques. Au fil des scènes, on en vient à préférer les zones de combat qui sont moins atroces que les scènes d’horreurs quotidiennes d’un système cruel et aveugle. La distorsion entre les promesses de la propagande et la brutale réalité sont en fait le résultat de la distorsion des mots du Coran. L’interprétation du livre sacré est un sujet de désaccord récurrent entre les différents personnages.

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Est-on capable d’accepter une fiction sur ce sujet ?

Diffusée le 20 août sur Channel 4 en Grande-Bretagne, puis sur National Geographic, The State a déclenché une polémique outre-Manche. Est-elle méritée ? Pas vraiment. Récompensé de multiples fois, Peter Kosminsky est l’homme a qui on doit Wolf Hall (en ce moment sur Arte) et The Promise, une mini-série sur la guerre israélo-palestinienne. On a reproché à The State une certaine « glamourisation » de la vie dans l’EI. Il est vrai que l’image reste très belle, que les personnages ressentent tous des contradictions, mais on reste dans la fiction, et heureusement. Pire, le fait d’être embarqué dans une histoire atroce avec des codes familiers produit un effet intéressant.

Il ne s’agit clairement pas d’une apologie, contrairement a ce qu’a pu écrire le Daily Mail dans un article reprochant à la série d’être un film de propagande digne de ceux des Nazis en 1930. En revanche, il est vrai qu’il est difficile de ne pas penser aux familles des victimes et aux attentats qui secouent tour à tour les différentes capitales européennes. Si les deux premiers épisodes comptent quelques scènes d’allégresse ambiguë, les deux derniers referment le piège sur les protagonistes. Martine Delahaye conclut, pour Le Monde, qu’il s’agit d’« une série glaçante, que l’on ne peut que recommander. En forme de mise en garde aussi, à l’adresse des jeunes ».

The State n’est pas une série moralisatrice, il ne faut pas s’attendre à une condamnation évidente. Mais en même temps, condamner sans comprendre serait nous vouer à répéter nos erreurs, et la fiction offre un cadre pour incarner la logique de radicalisation. La question du pardon et de la réinsertion des victimes de Daesh se pose d’ailleurs avec acuité dans la série.

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