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Tampon et tabou. Pourquoi raconter les règles aux enfants est important.

Tampon et tabou. Pourquoi raconter les règles aux enfants est important.

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Si vous êtes une femme, souvenez-vous de ce moment où, jeune adolescente, du sang a coulé pour la première fois de votre sexe. Vous n’y étiez pas forcément préparée, votre mère a pleuré en vous tendant une serviette et votre père ou votre tante vous a dit : « Tu es une femme maintenant ! », la larme à l’œil. Mais personne ne vous a offert un livre qui expliquait simplement ce que sont les règles, d’où elles viennent, et surtout pourquoi personne n’en parle, pourquoi elles représentent un tabou. En 2017, ce cadeau est possible : la journaliste Elise Thiébaut a écrit Les règles, quelle aventure !, un petit livre illustré par Mirion Malle, dessinatrice à l’origine du blog féministe Commando Culotte.

Avec ce livre jeunesse, l’auteure cherche à normaliser le phénomène des menstruations, en informant et en s’attaquant au tabou qui les entourent. Au fil des pages, la journaliste relate de manière simple l’aventure des femmes chaque mois. Des premières règles si effrayantes aux dernières qui signifient l’arrivée de la ménopause. Elle passe en revue les superstitions, la perceptions des religions, l’endométriose (ndlr : maladie qui touche une femme sur dix environ et cause notamment des règles extrêmement douloureuses), l’histoire du tampon et des protections.

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Avant de co-concevoir ce manuel ludique, Elise Thiébaut a publié cette même année l’essai Ceci est mon sang (aux éditions La Découverte), une « petite histoire des règles de celles qui les ont et de ceux qui les font ». L’auteure explique ainsi sa démarche : « Je ne suis ni historienne, ni anthropologue, ni médecin. Mais entre treize et cinquante-deux ans, tous les mois ou presque, j’ai saigné. ».

Au moment où vous lisez ces lignes, 560 millions de femmes ont leurs règles. Il ne devrait y avoir aucune raison de se sentir sale ou honteuse, on ne devrait pas non plus devoir demander un tampon à voix basse. La gène et le non-dit sont les vecteurs du sexisme le plus ordinaire, car le goût et le dégoût, ne sont pas innés mais relèvent de constructions culturelles et sociales. En travaillant à l’éducation des filles et garçons pour une normalisation des menstruations féminines, on peut espérer que les prochaines générations ne ressentent plus de dégoût ni de tabou injuste.

Dans ses livres, Elise Thiébaut nous parle du rituel de la gifle pour les premières règles en Biélorussie. Cette gifle marque le passage à l’âge adulte comme le début des épreuves que réservent la vie. L’auteure fait un parallèle éloquent avec le jeune garçon : Que ce soit une gifle ou des fleurs, rien n’est fait pour célébrer sa première éjaculation.

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Il fut un temps où le sang menstruel était une offrande aux dieux grecs; au Moyen-Âge, les symptômes de ce que nous connaissons comme l’endométriose étaient pris pour les signes de possession démoniaque; si coït il y a pendant les règles, alors l’enfant sera roux; dans les années 70, une superstition affirmait qu’il était impossible de réussir une mayonnaise en période de ragnagna.

Mais les règles créent aussi un business de 30 milliards de dollar que se partagent les différentes marques de protections hygiéniques. Une seule a pourtant eu l’idée révolutionnaire de représenter le sang dans sa vraie couleur. Une autre, française, propose des produits bio et réutilisables.

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Elisé Thiébaut revient aussi sur l’histoire de la musicienne Kiran Ghandi qui a couru un marathon le jour de ses règles sans protection (ndlr : free bleeding), assumant parfaitement la petite tâche rouge se formant au creux de ses cuisses. C’était il y a deux ans et les commentaires sur les réseaux sociaux étaient révélateurs de la gêne que suscite le sang menstruel.

Pourtant, les règles coulent doucement vers le débat public, la parole sur le sujet se normalise. Au travers de son livre pour enfants (et de l’essai pour adultes), l’auteure féministe encourage la réappropriation du corps. De notre corps, et tous les corps sont représentés: ceux de femmes de tous les âges, de toutes les couleurs, ceux qui ont des poils et ceux qui n’en ont pas. Ces corps féminins, tous différents qui connaissent chaque mois un phénomène des plus naturels. Même quand on est féministe, conscient.e des enjeux symboliques du corps des femmes, il nous arrive d’être surpris.e par notre propre ignorance au fil des pages. Sur son blog Mediapart, Elise Thiébaut concluait ainsi son billet sur le caractère politique du dégoût :

Il est temps de dire que le sang menstruel n’est pas plus sale que le sperme dont on nous inonde le visage à longueur de porno. Il n’est pas plus triste que nos larmes. Il ne sent pas plus mauvais que le camembert qu’on se fait un plaisir de déguster avec un bon verre de rouge, et sa saveur est bien moins prononcée que la sauce soja dont j’asperge tous mes plats.

On n’aurait pas dit mieux.

Élise Thiébaut marraine la première édition du festival Sang Rancune, le 10 novembre 2018 au Point Éphémère.

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