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Rencontre avec Tisiphone

Rencontre avec Tisiphone

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On a pris un café à 9h du mat’ avec Léonard, un des trois personnages mystiques du groupe Tisiphone. Le trio lyonnais aux influences sombres et tribales sort son premier album, une très belle découverte aussi bien sur le plan musical que visuel. Non, ce n’est pas un nouveau Siouxsie and the Banshees mais un groupe OVNI dont les pulsions cardiaques prennent la forme de batteries et tambours majestueux. Leur univers intrigant nous a donné envie d’en savoir un peu plus.

Manifesto XXI – Salut Léonard ! Comment vous êtes-vous rencontrés avec tes copines ?

Léonard : J’étais au conservatoire à Lyon en violon et c’est là que j’ai rencontré Suzanne, la bassiste, qui est également violoniste. On est devenus amis et puis on a chacun fait nos routes, elle est partie dans le Sud et moi à Genève. Puis ensuite on s’est retrouvés en coloc tous les deux à Lyon. Ensuite, j’ai fait une formation de théâtre où j’ai rencontré Clara. On s’est tout de suite très bien entendus, Clara venait souvent squatter chez nous et on est restés un bon moment tous les trois ensemble.

Manifesto XXI – Parce que vous étiez unis par les mêmes inspirations musicales ?

Léonard : Un petit peu. Celle qui avait le plus une culture musicale industrielle et issue de groupes allemands des années 80 c’est Clara, après avec Suzanne ça nous parlait aussi. On passait souvent des CD dans le salon, notamment Pornography de The Cure, au risque de tomber dans le cliché typique. Ça a vraiment été une des bases de nos inspirations avec le côté tribal des rythmiques. On ne s’est pas dit « On veut faire du Cure » mais ça tournait dans le salon. Après – encore un cliché – on matait la série Twin Peaks de David Lynch qui a aussi nourri notre univers visuel.

Manifesto XXI – Forcément quand on voit votre imagerie, quand on écoute la voix de Clara, on pense tout de suite à des groupes comme Siouxsie and the Banshees ou KaS Product. Ce sont des artistes qui vous parlent ?

Léonard : C’était carrément des inspirations mais il n’y a jamais eu un groupe dont on était hyper fan et avec lequel on voulait se rapprocher. Ce sont des artistes qu’on connaît et dont on parle beaucoup entre nous mais pas vers lesquels on veut tendre forcément.

Manifesto XXI – Vous qualifiez votre musique de « tribale », ça veut dire quoi exactement ?

Léonard : En live, il y a vraiment une sensation mystique notamment une chanson où Suzanne et Clara tapent toutes les deux sur des tambours, ça fait presque Tambours du Bronx. On aime bien ce côté tribu, dans une jungle, imaginer que l’on est dans un espace très organique. On n’a rien contre la machine, elle viendra peut-être sur des prochaines compos, mais je pense que ça fait du bien aux gens de voir des musiciens taper sur des instruments avec toutes leurs tripes. J’ai l’impression qu’écouter un mec derrière son ordinateur ça va presque devenir ringard. Il y a eu une énorme phase électro mais maintenant il y a une envie de revenir à l’instrumental, quelque chose qui vient du corps, et tant mieux !

Manifesto XXI – Beaucoup de groupes en ce moment s’inspirent du côté dark des années 1980 et la difficulté est d’embellir le passé sans faire du copier-coller. Comment appréhendez-vous ça ?

Léonard : Ce qui est sûr c’est qu’il n’y a jamais eu l’envie de refaire cette musique-là. Nous, on est touchés par ce qui est profond, ce qui est sombre, un peu monstre, un peu bizarre donc on a forcément eu des influences là-dedans. Mais on en a aussi ailleurs, notamment dans le classique et l’électro. Il y a même une chanson qui se rapproche du rap à un moment dans l’album donc c’est très varié. Et comment on fait ? Je crois qu’on ne s’autorise pas à ne pas faire de la musique qui nous ressemble par opposition à des groupes très codés de cette époque-là. Il y a une rigueur dans le fait de ne pas tomber dans un truc facile. Et le fait de faire du théâtre et de venir d’horizons musicaux différents de celui que l’on produit nous permet d’avoir un certain recul.

Manifesto XXI – Par rapport au théâtre justement, lors de vos concerts vous ne vous contentez pas de jouer devant un public, il y a une énorme part de théâtralité. Comment se passe la mise en scène ?

Léonard : Au départ ça s’est fait par le simple fait que la batterie est explosée, il n’y pas un batteur dans le fond tout seul, on en joue tous les trois. Du coup les gens trouvent ça marrant. Et puis Clara a une présence très forte en tant que leadeuse, une sorte de prêtresse mystique qui va nous annoncer une espèce de bonne ou mauvaise parole. On travaille aussi avec Camille qui fait la lumière et ça a rajouté une dimension hyper-visuelle, il y a des cymbales derrière nous qui reflètent la musique. Le truc qui était dur au début c’est que la scénographie passait presque avant la musique. Les gens nous disaient « Wow c’est incroyable la présence de la chanteuse » ou « Putain la batterie éclatée c’est génial ». On n’avait presque pas de retour sur la musique parce que ce premier CD n’est pas très « commercial » dans le sens où il n’est pas construit sur un couplet/refrain/couplet/refrain. Ça demande plusieurs écoutes pour vraiment s’en imprégner : s’asseoir et décider d’écouter. Mais cela dit je n’ai rien contre la musique plus produite et conventionnelle dans sa structure !

Manifesto XXI – Justement j’ai vu que vous aviez assuré la première partie de Jeanne Added. Comment s’est mélangé votre univers avec un artiste beaucoup plus produit, avec un public qui s’attend forcément à un son plus léché ?

Léonard : On a fait une résidence à l’Épicerie Moderne, une salle de musique à Lyon, et ils ont toujours été top avec nous. Et là lorsque la première partie de Jeanne Added, Mensch, s’annule, l’Épicerie nous a soutenus à fond pour qu’on les remplace ce qui était énorme pour nous ! Et donc, en effet ce n’était pas du tout le même public que celui d’un squat ou d’un bar. Mais la grosse anecdote c’est que j’ai pété ma guitare pendant le premier morceau… On était dégoûtés surtout qu’on était un jeune groupe, ça faisait à peine un an qu’on avait commencé à jouer donc se retrouver devant 800 personnes sans guitare c’était l’angoisse. Miraculeusement, un ingénieur du son me ramène une guitare. À ce moment-là, il y a plein de facteurs qui sont rentrés en compte : le fait que j’étais abattu par ce qui venait de se passer et le fait que ce n’était pas du tout une guitare que je maîtrisais. On a tant bien que mal essayé de finir notre concert, je pense qu’on s’en est tirés, mais il y avait quand même une chape de plomb sur nous. Du coup, pour être honnête, il y en a qui ont dû détester ce qu’on a fait, d’autres qui ont été dérangés mais dans le bon sens et d’autres qui ont adoré. Donc ça a été très mitigé. De ce qu’on a vu dans le public, c’est clair qu’il y a des gens qui ne seraient jamais venus nous voir parce que c’est trop sale, trop brut.

Manifesto XXI – Ça a quand même été un tremplin pour vous ?

Léonard : On aurait aimé que ça se passe différemment mais c’est sûr qu’on a déjà eu de belles propositions suite à ça.

Manifesto XXI – Vous avez joué avec Mensch lors du festival Monitor au Portugal, c’était comment ?

Léonard : C’était fou ! Monitor c’est une petite asso qui fait venir cinq ou six artistes européens avec défraiement d’avion, on était tous payés un minimum ce qui est plutôt cool, et là tu te dis qu’on est mieux lotis qu’en France. C’est quand même bizarre qu’on n’arrive pas à faire ça nous, que nos assos n’aient pas assez de fonds pour faire venir des artistes étrangers et les payer un minimum. Sinon l’accueil était incroyable, les gens étaient passionnés et avaient vraiment l’envie d’écouter ce genre de musique très codé post-punk. On a fait beaucoup de belles rencontres notamment Mensch et Madmoizel, on sentait qu’on faisait partie de la même famille musicale. On a revu Peine Perdue avec qui on avait joué à Strasbourg. On adore ce qu’ils font et ils sont hyper-sympas !

Manifesto XXI – Je rebondis sur la question des fonds sur la musique et l’engouement du public que vous avez rencontré au Portugal. Comment vois-tu la scène française de la musique underground ? On a des progrès à faire ?

Léonard : Ça c’est sûr ! Il n’y a pas d’argent pour la culture alternative, que ce soit musicale ou théâtrale. Mais finalement je me demande si on en a besoin parce que ça voudrait dire qu’on arrive à faire des choses sans avoir beaucoup d’argent. Ça serait chouette d’en avoir un peu plus, simplement pour du confort technique. Le risque quand il n’y a pas d’argent c’est que ça s’épuise. Après cette culture underground existe vraiment en France et c’est important qu’on parle d’elle.

Manifesto XXI – C’est dur pour un petit groupe indépendant de se faire entendre ?

Léonard : Nous, en tant que jeune groupe, on sent que notre musique parle, que ce soit par rapport au concept ou à la qualité des arrangements. Le piège c’est d’essayer à tout prix de faire voir sa pochette d’album sur tout le panel de sorties CD qu’il y a. Si tu tombes là-dedans tu peux vite passer toute ta vie sur Internet, sur des trucs virtuels à mendier pour que ton album soit visible. On fait surtout de la musique pour nous et parce qu’on a senti que notre son avait quelque chose d’original.

Manifesto XXI – Vous êtes plutôt concerts faits maison dans des petits bars ou gros festivals ?

Léonard : Je pense que le set s’adapte à tout. Déjà, techniquement on est suivis. Ça, ça change tout. Même en arrivant dans une salle qui va avoir l’air pourrie je sais que Fred, notre ingé son, va ramener du matos. Il connaît notre son donc on lui fait entièrement confiance. C’est le plus important pour nous, que ce soit dans un bar ou dans une grande salle, il faut que notre univers soit restitué. On ne peut pas se permettre de faire des concerts où le son est dégueulasse. Après c’est vrai que dans les bars et les squats, nos sets deviennent plus punk, plus transpirants. Dans les grandes salles, ça prend davantage une dimension de spectacle avec la lumière, le son énorme diffusé partout, on a l’impression d’être dans un temple. Moi j’avoue que j’aimerais faire plus de grandes salles et de festivals mais au fond j’aime bien les trucs assez intimistes… J’en sais rien en fait, on manque d’expérience pour l’instant, on est encore jeunes !

Manifesto XXI – Vous êtes basés à Lyon, peux-tu nous en dire un peu plus sur la scène musicale indépendante locale, nous donner envie d’y faire un tour ?

Léonard : Toute musique confondue, il y a une superbe scène émergente, de beaux labels comme Automate et AB Records. À Lyon, il y a toujours eu une culture du concert rock. Ce qui est très important pour nous c’est qu’on ne veut vraiment pas être cantonné à l’image du groupe « années 80 ». D’ailleurs on va bientôt faire un festival organisé par Dur et Doux qui est plutôt axé jazz, musique contemporaine, expérimentale. On aurait pu dire qu’on n’avait rien à faire là-dedans mais eux ont dû trouver une dimension expérimentale dans ce qu’on fait. Ça s’appelle L’Abeille Beugle, c’est un festival prix libre et ça va sûrement être très chouette ! Pour revenir à ta question, à Lyon on a souvent joué avec des groupes assez éloignés de notre style et ça marchait très bien ! Si tu veux des noms, je peux te parler d’un super groupe qui s’appelle Tombouctou ainsi que tous les groupes du label Automate.

Manifesto XXI – Et toi tu écoutes quoi en ce moment ?

Léonard : J’ai découvert un truc hier que j’ai trouvé chouette, ça s’appelle Moderat, c’est un trio berlinois. J’étais chez une copine et le CD tournait en boucle dans le salon. Sinon j’écoute plein d’autres artistes mais je n’arrive pas à te donner des noms là… J’ai fait une nuit blanche hier et je n’arrive pas à m’en remettre. J’écoute beaucoup de musique classique et quand je suis en manque d’inspiration il m’arrive d’écouter des trucs plus extrêmes.

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Manifesto XXI – Comme du métal ?

Léonard : Non pas forcément du métal mais j’ai découvert un groupe japonais qui s’appelle Hysteric Picnic. On les a vus pour la première fois lorsqu’on est allés à Berlin faire une résidence car on a partagé l’affiche avec eux. C’était dans un genre de squat. On arrive et là on voit quatre ou cinq Japonais un peu bizarres, les cheveux longs et on se regarde un peu en rigolant sans vraiment se moquer mais presque. C’est vraiment une connerie de franchouillards ça, d’avoir ce genre d’a priori. Mais finalement ils ont complètement retourné la salle. On peut dire qu’il y a eu un avant et un après ce groupe. Pas forcément sur la musique mais sur la puissance du son, c’était incroyable ! Par contre si tu n’avais pas de boules Quies tu tombais dans les pommes, j’ai jamais entendu un truc aussi fort.

Manifesto XXI – Vous jouez beaucoup avec l’imagerie goth par le biais de votre look et de votre mise en scène, ça doit valoir le coup de venir vous voir en concert ne serait-ce que pour le spectacle !

Léonard : Oui, d’ailleurs on trouve que le CD est très gentillet par rapport à ce qui se passe sur scène. Il a un côté plus comptine qu’en live. Même si on adore notre disque, on est conscients que produire un album de qualité ça coûte très cher. On va essayer d’enregistrer à la rentrée un album plus arraché, plus garage pour que ça ressemble plus au live.

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Manifesto XXI – Parle-moi un peu de l’illustration tarabiscotée de votre pochette d’album.

Léonard : L’illustration est de Johanny Melloul, le batteur de Tombouctou. D’ailleurs ils ont un vinyle qui va sortir mais ils sont trop underground, ils n’ont même pas de page Facebook ! Enfin bref, Johanny aimait bien Tisiphone et nous on adorait ses dessins donc on lui a confié l’illustration de l’album. Ça correspond bien à l’image de notre musique parce qu’on trouvait que l’album avait un côté brumeux, flou, un peu labyrinthe.

Manifesto XXI – Quels sont vos futurs projets ?

Léonard : Il y a deux clips qui vont sortir déjà. Ensuite on prépare une tournée européenne d’un mois avec un tourneur que l’on a rencontré au Portugal lors du festival Monitor. On prépare aussi l’enregistrement d’un petit album de quatre ou cinq titres pour la rentrée.

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