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Rencontre avec Essaie pas

Rencontre avec Essaie pas

© Cathleen Berenyi

Essaie pas, duo québécois composé de Marie Davidson et Pierre Guerineau, est actuellement en tournée en Europe, nous en avons profité pour les rencontrer le mercredi 11 mai au Bar’Hic à Rennes. Leur premier album Demain est une autre nuit est sorti en février dernier sous le label DFA. Un album éclectique aux sonorités froides, minimales et rythmées où se mêlent la coldwave, le post-punk, la techno et la musique de films. Un album envoûtant et étrange.

MXXI – Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Pierre – J’ai grandi en Bretagne, j’ai même fait mes études à Rennes et en 2006, je suis allé à Montréal. À travers une amie en commun, j’ai rencontré Marie dans un espace qui s’appelle « La Brique », qui est un espace de musiciens, un espace de vie, de création, de rencontres. J’ai rencontré Marie cette année-là.

Marie – C’est après quelques années qu’on a fait de la musique. Au début, on était juste amis. Je faisais de la musique avec d’autres gens et Pierre faisait aussi de la musique avec d’autres. Après deux ans d’amitié et de fréquentations à travers le lieu, on a commencé un projet. À la base, on était trois puis juste nous deux. C’est devenu « Essaie pas ».

MXXI – Pourquoi « Essaie pas » ?

Marie – C’est l’épitaphe de Charles Bukowski, c’est un auteur que l’on aime beaucoup.

Pierre – C’est une traduction linéaire.

Marie – « Don’t try ».

demain est une autre nuit

MXXI – Quels sont vos parcours, comment êtes-vous arrivés à faire de la musique ?

Marie – J’ai étudié du violon dans ma jeunesse mais je n’ai pas fait d’études. Je faisais du violon entre l’âge de 10 et 16 ans. J’ai donc pris des cours classiques, j’ai fait beaucoup de chant, de chorale aussi puis après, j’ai arrêté. Je suis autodidacte, j’ai appris l’électronique par moi-même et à travers les personnes avec qui j’ai travaillé. J’ai beaucoup appris avec Pierre mais aussi avec David Kristian, un musicien montréalais. Il était un peu mon mentor pour l’électronique. C’est lui qui m’a convertie aux séquenceurs.

Pierre – Au lycée, je jouais dans différentes formations, musique improvisée, rock psychédélique… Je me suis acheté mon premier sampleur. J’étais inspiré par la musique psychédélique, la musique électronique. Parallèlement à ça, il y avait des free-parties, c’était important en Bretagne avant qu’elles deviennent interdites. Après, j’ai fait des études de technicien du son. Ça a été mes premiers contacts avec l’univers du studio et la production musicale. J’en ai fait mon métier parallèlement à la musique.

MXXI – Dans votre musique, on sent beaucoup l’influence de la musique électronique des années 70/80, particulièrement la coldwave, je pense notamment à des groupes comme Trisomie 21, qu’est-ce qui vous inspire dans ce genre musical ?

Marie – Je pense quand même que ce que l’on fait est un amalgame d’influences. J’aime beaucoup Trisomie 21, Deux aussi, après, la coldwave n’est pas vraiment une influence pour moi. Je connais aussi Guerre Froide mais j’aurais du mal à citer d’autres groupes de coldwave pour être honnête. Mais ce sont définitivement des sons que j’aime. Après, on est autant influencés par la musique de films des années 70/80, la techno de Détroit, le disco est une de mes influences majeures. Mais on écoute de tout, du hip-hop aussi.

Pierre – Je pense que ce genre de musique véhicule une certaine urgence. À partir du moment où l’on plaque des paroles en français, qui parlent de sentiments, ou qui peuvent parler d’obsessions, de choses personnelles, effectivement cela renvoie vite à cette époque-là.

Marie – Une des grandes influences aussi, c’est le EBM, de la musique minimale mais quand même rythmée. Il y a un côté sensuel dans notre musique, en tout cas, j’espère. De la musique dansante mais synthétique. Les années 80 pour moi c’est vraiment une époque où des bons trucs en sont ressortis.

Pierre – Et une certaine urgence. Une urgence qui est presque universelle, en tout cas que l’on retrouve aujourd’hui dans notre société.

MXXI – Justement on ressent aussi ça dans l’album et en même temps il est très varié. On trouve des titres de minimal, d’autres plus cinématographiques, je pense à « La Chute » qui est très mélancolique, « Facing the music » qui est plus techno. C’est un beau panel mais uniforme.

Marie – Oui c’est ça, tant mieux.

MXXI – Et quand tu parlais de musique de films, en écoutant l’album je pensais au film Under the skin de Jonathan Glazer…

Marie – C’est fou ! Mais tu es la dixième personne qui me fait la référence mais je ne l’ai pas encore vu. Mais il y a beaucoup de gens qui me disent « Il faut que vous voyiez ce film à cause de la B.O. ! ». Un de mes meilleurs amis m’a dit que lorsqu’il a vu le film, il a pensé à moi tout de suite. À ce qu’il paraît, la B.O. est excellente.

MXXI – Je ne me souviens plus vraiment de la B.O. mais le film est angoissant et froid, ce que je retrouve dans votre musique. Le film s’approche de l’horreur et en même temps, il est un peu punk.

Marie – Absolument. Les films d’horreur surtout comme les giallos* ou les films d’horreur des années 70, pour moi ce sont aussi des influences.

* le giallo est un genre cinématographique italien des années 70 qui mêle l’horreur, le thriller et l’érotisme, notamment les films de Dario Argento

Pierre – C’est plus une sorte d’angoisse existentielle.

MXXI – C’est vrai aussi qu’on retrouve le début de la musique électronique dans certains giallos ou chez Carpenter.

Marie – Justement je parlais de David Kristian qui a été important pour moi, on a eu un projet ensemble qui s’appelait DKMD, c’était vraiment influencé. C’était un peu notre hommage au Giallo. Et Carpenter, c’est sûr, je suis une méga fan. Carrément ! De sa musique et de ses films. Pour moi c’est autant un musicien qu’un cinéaste. C’est un artiste génial.

MXXI –  Dans votre clip, « Le port du masque est de rigueur », l’intro se déroule dans une voiture et le protagoniste zappe à la radio et soudain passe un court extrait de « Anne cherchait l’amour » de Elli et Jacno…

Marie – C’est notre version. On a fait une reprise. Sur notre premier vinyle officiel qui est sorti sous un label franco-belge, Teenage Menopause, on a fait une reprise avec la permission de Elli.

Pierre – Pour l’histoire du clip, il a été réalisé par une amie, Larissa Corriveau, qui précédemment avait fait un court-métrage dans lequel jouait Marie et elle utilisait notre reprise de Elli et Jacno qui était chantée par Marie. Du coup, c’était un peu un clin d’œil aussi à son premier court-métrage. Voilà pour la petite histoire.

Marie – On est moins proches de ça mais quand on a commencé à s’y mettre sérieusement, Elli et Jacno c’était franchement une influence. Cela se reflète moins sur le dernier album mais si tu écoutes certains morceaux qu’on a fait en 2012, c’était une influence.

MXXI – Vous parlez beaucoup de la nuit, en quoi ce moment vous inspire ?

Pierre – C’est un peu notre vie en fait.

Marie – Pour nous, c’est le moment où l’on vit. Le moment de la journée où l’on est le plus actifs, entre 22h et 3h du matin. C’est un peu la journée pour nous.

Pierre – Cet album a aussi été composé entre plusieurs tournées, le moment où l’on a aussi perdu notre appartement donc la nuit on faisait des concerts, on était en tournée ou alors on pratiquait, on composait nos chansons. Le studio dans lequel on travaille, on y a accès uniquement la nuit, le soir après 18h donc finalement c’est devenu naturel que la nuit y ait une place, que l’univers de l’album se déroule dans cet espace.

MXXI – Comment vous répartissez-vous le travail ? Qui écrit ?

Marie – On fait tout à deux. On n’a pas de rôles précis.

Pierre – Ça se nourrit mutuellement, constamment. Souvent ça commence par une idée, un rythme, une séquence. Il n’y a pas de formule toute faite.

MXXI – Comment vous sentez-vous au sein de la scène musicale québécoise ?

Marie – Je dirais que pour nous, il y a vraiment une différence entre Montréal et la ville d’où l’on vient. À Montréal, il y a vraiment une bonne scène musicale. On fait régulièrement des concerts. Il y a beaucoup de bons artistes qui passent à Montréal. En dehors par contre, le reste du Québec c’est plutôt rare. Un peu à la ville de Québec mais sinon il ne se passe pas grand-chose. La scène underground est plutôt inexistante.

Pierre – Même nous, contemporains, on reste dans l’underground. Je veux dire qu’il n’y a quasiment aucun groupe de ce genre qui passe à la radio ou à la télé, ou alors ce sont des radios étudiantes. Ça reste une niche. T’es connu dans le milieu des gens qui connaissent ou qui sont curieux.

Marie – Par contre à Montréal, il y a beaucoup de bons festivals. Il y a des concerts tous les week-ends et même la semaine, beaucoup d’organisations, de scènes qui s’entrecroisent, si bien qu’on n’a pas à se plaindre. Tu as vraiment une scène punk, une scène jazz, une scène rock, une scène électro… Il y a des gens qui font de la hard techno, du rock garage. Et presque tout le monde se connaît. Ce n’est pas si segmenté.

Pierre – C’est une ville où il y a du passage, une ville internationale. La plupart des gens de Montréal ne sont pas d’ici. C’est une scène petite mais active.

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MXXI – Vous êtes en pleine tournée en Europe, c’est la première fois ?

Marie – Non c’est la quatrième fois. Quand on va allez jouer en Allemagne on va retrouver des publics que l’on connaissait déjà, à Paris c’est une ville où l’on a joué souvent et en Belgique on a beaucoup de contacts. Après, on a joué aussi devant de nouveaux publics. On a joué dans des festivals comme au Printemps de Bourges, ça c’est nouveau pour nous.

Pierre – Le système son était malade ! C’était chouette, j’y ai été bénévole une année.

MXXI – Tu parlais de l’Allemagne, lorsque l’on écoute de la coldwave comme Trisomie 21 même s’ils sont Français, on sent bien l’influence de l’époque de la Guerre Froide, de l’Europe de l’Est, en quoi le Québec vous influence ?

Marie – Je suis influencée par les gens que je rencontre, par les musiques que j’écoute plus que par un endroit, par contre je dirais que d’avoir évolué dans la scène underground montréalaise, d’avoir fréquenté l’espace dont Pierre parlait au début de l’entrevue, « La Brique », pendant sept ans, ça m’a beaucoup influencée. L’espace, le lieu industriel, la connexion avec les gens, le côté autonome, un peu punk mais aussi dans une recherche de naïveté, de liberté. À Montréal, les gens sont ouverts d’esprit.

Pierre – Ils sont ouverts d’esprit et vraiment exigeants.

Marie – Mais maintenant avec Internet, tu peux être influencé par toutes les cultures. C’est une des bonnes choses d’Internet.

© Jérôme Sevrette
© Jérôme Sevrette

MXXI – Dans votre processus de création, dans quel état d’esprit vous sentez-vous ?

Marie – Moi je dirais qu’il faut être détendu. Honnêtement, les paroles peuvent être inspirées par des moments complexes parce que l’on puise dans notre histoire mais au moment où l’on crée je pense que le meilleur état d’esprit, c’est d’être détendu. Parce que c’est là que tu peux tout canaliser, ton vécu, ton bagage. Laisser sortir les idées même si ce sont des idées sombres ou noires. Ou même des idées qui n’ont pas d’émotions particulières mais des idées plus esthétiques, abstraites.

Pierre – Je pense qu’effectivement dans cet album il y a des textes qui traitent de sujets plus intenses ou même sombres. C’est toujours a posteriori, ce n’est pas au moment où tu vis que ça sort. Souvent, quand ça m’arrive d’avoir des pensées, j’écris. Cela aide à se libérer. Après, cela peut nourrir des chansons. Cela peut avoir ce côté un peu cathartique. Mais quand la chanson est écrite, c’est déjà du passé. Dans cet album, il y a certains thèmes récurrents comme le thème de l’obsession mais je ne pense pas en faire une marque de fabrique. À l’avenir, je ne sais pas quels sujets nos prochains titres aborderont, mais ce n’est pas nécessairement un concept dans lequel on veut absolument se tenir. L’important c’est de rester honnêtes et d’être ouverts aussi bien musicalement qu’au niveau des thèmes que l’on aborde. Je pense que cela vaut la peine de ne pas se rassurer. Il faut que cela reste authentique.

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Et en live prochainement :

14 mai à Metz – Les Trinitaires

17 mai à Paris – Le Silencio

18 mai à Londres – The Waiting Room

19 mai à Berlin – Kantine am Berghain

21 mai à Brighton – The Great Escape

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