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Longue vie au « Fire » de Beth Ditto

Longue vie au « Fire » de Beth Ditto

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Beth Ditto est une femme. Beth Ditto est lesbienne. Beth Ditto est grosse. Toutes les conditions sont réunies pour que l’artiste soit oubliée, délaissée, catégorisée. Pourtant, elle est signée chez Sony Music et on l’entend. On l’a entendue dans Gossip, puis en solo, depuis quelque temps, avec son premier album Fake Sugar. On l’a entendue chanter, mais on l’a aussi entendue parler. Des femmes. Des lesbiennes. Des grosses. Dans tous les magazines et les journaux. Beth Ditto fait partie de ces femmes qui, par leur simple existence sur la scène publique, sont des symboles de féminisme.

Son corps, tout d’abord. La simple vue de son visage rond et de ses courbes gracieuses sur les grandes scènes et en couverture de magazines diffusés en masse nous assène un coup. En France, il aura fallu attendre 2017 pour que certains grands titres s’affolent de la grossophobie ordinaire. En France, on a des émissions à des heures de grande écoute comme « Zita, dans la peau d’une femme obèse de 140 kilos », discrimination en bande organisée.

Le résultat quotidien de campagnes de pub martelées sous les paupières des femmes. « Il est grand temps de dénoncer la grossophobie », nous dit Le Monde en juin 2017. Oui. Mais ça, Beth Ditto le fait depuis longtemps. Elle a taillé sa place dans l’industrie musicale, mais aussi dans la mode, en concevant ses propres modèles. Puisque la mode ne s’adapte pas, il faut s’imposer. Elle n’hésite d’ailleurs pas à critiquer le mouvement body positivity lui-même, qui fut rapidement récupéré par les industries de la mode : « Mon problème avec le mouvement body positivity est qu’il est toujours centré autour de la beauté […]. Arrête d’être distrait par les fringues et concentre-toi sur toi-même. »

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© Mary McCartney

Sa sexualité, ensuite. Avec un premier album solo « produit, chanté par des queers », puisqu’il a été produit par Jennifer Decilveo, productrice lesbienne, Beth Ditto nous montre l’exemple. Dans une industrie où la place des queers est presque invisible, que cela soit sur scène ou dans l’ombre des disques et salles de concert, il s’agit d’un acte fort. Beth Ditto dit. Mais Beth Ditto fait, aussi.

En plus de faire intervenir des professionnels queers, elle milite pour les droits LGBTQI depuis le début de sa carrière. Il est souvent délicat de s’assumer en tant qu’artiste lesbienne, tiraillée entre la peur d’un public segmenté et l’envie de montrer l’exemple. Elle le résume très bien : « Tu as ce débat où tu te demandes si tu vas prendre la décision de travailler dans l’industrie mainstream. C’est la peur d’être bloquée dans les clubs gays. » Elle le fait élégamment. Pas de coming out larmoyant en grande pompe lors d’une cérémonie mondaine, mais de simples actions concrètes en pleine lumière.

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© Rock Werchter

Beth Ditto ne cache pas les souffrances que son intersectionnalité lui a causées. Les difficultés à accepter sa propre différence, elle le dit, l’ont plusieurs fois poussée à la dépression. Un cas qui est loin d’être isolé, qui est le propre des femmes en raison des pressions innommables apposées sur leur corps, leur esprit, leurs désirs.

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Elle n’hésite pas à exposer ses propres travers intériorisés, à propos de la rupture de Gossip et de son musicien Nathan, comme expliqué dans son interview pour Les Inrocks : « Pendant des années, j’ai pensé que sans lui, je me casserais la figure. C’est très hétéronormatif de penser de cette façon. Cette vision sexiste était tellement ancrée dans mon cerveau alors même que je passais mon temps à parler de féminisme. »

Dans chaque interview, Beth Ditto réfute l’appellation « icône ». Pourtant, sa simple existence sur la scène internationale est une source d’empowerment pour les femmes, pour les lesbiennes, pour les grosses. Elle dit dans The Guardian : « Me réapproprier le mot “grosse” a été l’étape qui a été le plus source d’empowerment dans ma progression […]. La vérité, c’est que je suis grosse, et que ce n’est pas grave. » C’est l’un des exemples de retournement du stigmate les plus réussis dans l’industrie musicale aujourd’hui. En étant aussi ouverte sur toutes ces problématiques, à l’image de son single, Beth est un véritable « Fire » faisant voler en éclats le monde américain aseptisé.

En 2017, Beth Ditto fait le choix de se lancer en solo avec son premier album Fake Sugar. Cet album, elle l’a travaillé sans relâche pendant deux ans. Parce qu’elle le peut. Plus besoin d’un groupe derrière elle. Sa musique n’est peut-être pas révolutionnaire, mais elle est bonne, parce que le personnage derrière elle est porteur de changement. Ses paroles sont légères, et les ambiances assez conventionnelles, mais sa voix est puissante, à l’image du symbole qu’elle véhicule. Et quand on la voit sur scène se trémousser avec énergie, enchaîner les traits d’humour comme autant de punchlines, on ne peut que se laisser submerger par la puissante évidence et se dire « qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’exister ».

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