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L’instant nostalgie : ados drogués et littérature

L’instant nostalgie : ados drogués et littérature

MANIFESTO21

Dans les années 80, ceux qui ne se souviennent pas des soirées parce qu’ils préféraient bouquiner se sont retrouvés au carrefour de l’explosion de deux modes : les campagnes de prévention pour ados et la littérature young adult.

Après la joyeuse débauche et la gaudriole des années 60-70, les eighties sonnent la fin de la récré : la crise et le chômage vont remettre tout le monde au travail, le SIDA va stopper net les orgies et les soirées piquouzes insouciantes. L’heure est aux campagnes de prévention et à la prise de conscience des jeunes : anti-sida, anti-racisme, anti-drogues… Chacun doit rentrer dans le rang et depuis les exécutions publiques du Moyen Âge, tout le monde sait que rien ne vaut une bonne petite thérapie par l’exemple.

Pendant ce temps-là, la littérature pour ados aussi appelée « young-adult » va connaître son âge d’or : les romans mettant en scène des jeunes aux prises avec les difficultés les plus sordides (viol, mort des parents, suicide) se vendent comme des petits pains. Cette tendance va s’amplifier dans les années 90 avec des thèmes encore plus sombres : la drogue, l’alcoolisme, les grossesses précoces…

La rencontre de ces deux tendances va accoucher de tout un tas de best-sellers : ces fameux vrai-faux journaux d’ados drogués jusqu’à la moelle que nous avons tous lus, soit parce que comme moi vous aviez un goût précoce pour le sordide et le sensationnalisme (mais ceux qui me lisent depuis le début s’en seront sans doute déjà rendu compte), soit parce que vos parents vous y ont forcé pour votre édification, ou parce que le CDI de votre collège avait décidé de faire sa petite journée prévention maison.

À chaque fois on retrouve plus ou moins les mêmes caractéristiques : le récit à la première personne, une famille triste, la mauvaise rencontre qui amène les premiers bad trips puis la descente aux enfers option prostitution et grossesse non-désirée.

Je vous propose de revenir avec moi sur les œuvres phares qui auront marqué cette tendance.

 

MOI, CHRISTIANE F., 13 ANS,  DROGUÉE, PROSTITUÉE… (« Wir Kinder vom Bahnhof Zoo ») – Kai Hermann et Horst Rieck – 1Christiane F, 13 ans, Droguée, Prostitué979 

Un grand classique, et sans aucun doute le plus connu à ce jour. Issu de la rencontre entre Christiane, un bébé-junkie berlinois et deux journalistes, ce récit véridique d’une gamine de treize ans qui partage sa vie entre prostitution à la sortie de l’école et sessions de shoot à la Gare du Jardin Zoologique de Berlin va choquer le monde entier. Ce livre est par la suite devenu une référence : il est toujours en lecture obligatoire dans certaines écoles, l’adaptation cinématographique connaîtra le même succès avec même un caméo de David Bowie himself.

Pour Christiane, la suite de l’histoire est moins rose : elle n’a jamais réussi à réellement décrocher de la drogue et a continué sa vie cahin-caha entre rencontres avec des stars du cinéma et de la littérature, séjours en prison et perte de la garde de son fils. Elle retracera son parcours dans la suite de son premier livre, sortie en 2013,  « Moi, Christiane F., la vie malgré tout » : la junkie la plus célèbre d’Allemagne affirme que sans toute la pression médiatique due au succès du livre, elle aurait sans doute réussi à retrouver une vie normale.

Pour en savoir plus sur l’histoire de Christiane

 

 

L’HERBE BLEUE (« Go Ask Alice ») – Beatrice Sparks – 1972

L'herbe bleueUn autre roman culte, mais cette fois basé sur une vaste imposture. Le journal d’Alice, jeune américaine tombée dans l’enfer de la drogue suite à un déménagement, a été présenté comme authentique par sa psy/éditrice Beatrice Sparks. Tout le monde a au départ cru à la tragique histoire de cette jeune fille décédée quelques semaines après la fin de l’écriture du journal, telle une Anne Frank des camés.

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La supercherie va toutefois être vite découverte au vu des incohérences et du manque de crédibilité du livre (quelle adolescente passerait plus de temps à décrire les effets de la drogue que sa vie amoureuse dans son journal ?). Beatrice Sparks est en fait une mormone aux qualifications douteuses qui s’est fait une spécialité de l’écriture de vrai-faux journaux intimes édifiants : elle avouera que l’œuvre est un mélange de plusieurs journaux intimes de patientes et de fiction. Malgré la désillusion, le fait est que nous sommes nombreux à nous être identifiés à cette pauvre Alice, perdue dans sa tête et dans sa vie.

 

JUNK (« Junk ») – Melvin Burgess – 1996

Junk« Junk » est un récit moins connu que ses prédécesseurs : sans doute car cette fois il s’agit d’une complète fiction et l’auteur n’a jamais tenté de faire croire le contraire. Pourtant c’est bien les mêmes caractéristiques que l’on y retrouve : deux jeunes anglais avec une situation familiale compliquée décident de fuguer pour avoir plus de liberté mais vont surtout faire de mauvaises rencontres qui vont les mener tout droit à une vie de shoots dans un squat.

L’originalité du roman, c’est son côté chorale : chaque personnage intervient à la première personne pour donner sa version de l’histoire. Il va aussi inclure le nouveau phénomène de société brûlant de l’époque : la grossesse précoce. Il sera parfois relié au film Trainspotting, sorti la même année : les deux se passent au Royaume-Uni et parlent de prise de drogue en groupe. Le sujet du retour à la vie clean est aussi plus développé que dans les romans précédents.

 

Aujourd’hui, le roman pour ados se vend toujours bien mais les sujets ont varié : J. K. Rowling et Stephanie Meyer ont totalement balayé la vague du roman type « psycho-social » pour laisser place au fantastique et à la science-fiction. Les romans censés servir de repoussoirs se concentrent désormais sur le nouveau sujet d’angoisse des parents du XXIe siècle : le cyber-harcèlement et les sextos.

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