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Les lesbiennes et le syndrome du papier peint

Les lesbiennes et le syndrome du papier peint

Sangaïlé

Mais où sont les lesbiennes ? Peu présentes au cinéma, accessoires à la télévision, les lesbiennes sont une espèce rare. Tel le gecko à queue feuillue, elle est très difficile à saisir. Alors quid des jeunes lesbiennes en quête de modèle ? Si la culture, outil majeur d’identification, ne diffuse pas de représentations de lesbiennes diversifiées, qu’advient-il de leur image d’elles-mêmes et de celle de la société ? Sont-elles vouées à une vie de vice et de débauche ? Quid de la diversité, d’une culture inclusive ? Cependant, dire que la lesbienne est totalement inexistante sur les écrans est exagéré, elle apparaît de plus en plus ces dernières années. Tout n’est pas à jeter, en attestent Orange Is the New Black du côté des séries ou Summer du côté des films. Cela signifie-t-il alors que nous pouvons dès aujourd’hui brûler nos drapeaux arc-en-ciel sur l’autel de la culture populaire hétérosexuelle ?

La Belle Saison
La Belle Saison, éclat de bonheur à l’idée d’une culture diverse et inclusive

Séries TV : le drame de la lesbienne anecdotique

Pas vraiment. Parlons tout d’abord des séries. Les lesbiennes ne font jamais long feu dans les séries. Si, quantitativement, le nombre de personnages a augmenté ces dernières années, ceux-ci restent largement peu développés, et sont souvent des personnages secondaires. On rentre dans la dynamique de toutes les minorités, une sorte de système de quotas implicites. En effet, il ne faut pas dépasser un certain nombre de personnages lesbiens par série, au risque de se faire taxer de série LGBT et de perdre son grand public. Deux lesbiennes ça va, trois bonjour les dégâts, comme on dit. Récemment, la mort du personnage de Lexa dans la série The 100 a révélé une problématique : il est assez récurrent que les lesbiennes meurent dans les séries. Déjà en 2016, huit sont mortes. Ce n’est pas le tout de diversifier le casting, encore faut-il qu’il survive à la deuxième saison.

Au-delà de ça, les lesbiennes sont bien souvent représentées comme n’ayant pas de longues et stables relations amoureuses, ne sont pas autorisées à avoir une stabilité à la fois professionnelle et amoureuse. On a l’exemple typique d’Andrea dans Dix pour cent qui réussit fantastiquement au niveau professionnel mais échoue au plan sentimental. Qu’est-ce que cela transmet aux jeunes lesbiennes qui cherchent à s’identifier ? Qu’elles sont accessoires, secondaires, qu’elles ne peuvent pas avoir de relations stables, qu’elles sont anecdotiques. Plein de bonnes choses, en somme.

The 100 - Lexa
Lexa dans The 100 (RIP)

Cinéma : entre papier peint et hyper-sexualisation

Au niveau des films, le bilan n’est pas forcément mieux. En France, notamment, on a rarement dépassé l’étape du téléfilm, si ce n’est pour La Vie d’Adèle, Bye Bye Blondie ou La Belle Saison. Aux États-Unis, on compte un bon nombre de navets sur le sujet. On craint que la lesbienne fasse fuir le grand public : pas de financements, pas de films. Au cinéma, il est rare que les lesbiennes soient autre chose que suggérées ou au contraire hyper-sexualisées. Puisqu’il faut qu’elles plaisent au plus grand nombre, on prend soit le parti de les rendre les plus conformes possibles, féminines, pas provocantes, pas trop engagées, pas trop de poils, soit le parti de les rendre désirables via des scènes de sexe de huit minutes, exemple pris au hasard. Où est la diversité là-dedans ? Cela signifie en filigrane qu’on accorde aux jeunes lesbiennes d’exister mais qu’elles doivent cependant se conformer à certaines normes qu’il ne faut pas dépasser. Elles sont simplement tolérées tant qu’elles ne font pas de pli. Cela instaure une autre norme contraignante, une caste de lesbiennes acceptées.

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Imagine Me and You – Les lesbiennes papiers peints à l’américaine

Les lesbiennes ont aussi le plaisir de cumuler deux tares : elles sont femmes, et elles sont homosexuelles. En plus de devoir faire face à l’homophobie frileuse des écrans, elles font aussi face à un sexisme par différents canaux. D’un côté, le fait que l’industrie du cinéma soit majoritairement dominée par les hommes n’aide absolument pas la diversification vers plus d’intérêt pour d’autres sexualités féminines. Le sexisme, d’un autre côté, se joue aussi vis-à-vis de la représentation des hommes gays, bien plus présents sur les écrans que les lesbiennes. On part donc sur une bonne double discrimination (sans parler de celles qui en cumulent d’autres).

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The Fosters, pensives : « Mais qu’est-ce qu’on va faire de toute cette hétéronormativité ? »

Pourquoi c’est important ?

À ceux qui prétendent que le cinéma et les séries peuvent aussi rester de simples « objets de divertissement » sans être (rayez la mention inutile) politisés/sociétalisés/sexualisés, sachez qu’ils le sont beaucoup moins (divertissants) quand la seule représentation qui s’offre à nous est une lesbienne papier peint lascive qui va de toute façon mourir ou bien vivre une vie d’échec sentimental et de décadence sexuelle. Cela a le double mérite de filer une bonne crise identitaire au niveau personnel, ainsi qu’une invisibilisation totale dans la vraie vie au niveau général. Étiquetés reflets du monde et massivement diffusés, l’influence des films et séries n’est pas des moindres. Il est peut-être difficile d’accepter que les lesbiennes ne passent pas leur vie à faire les ciseaux et à être les bonnes copines de second plan, certes. Mais il est fondamental que des supports aussi regardés véhiculent l’idée que les lesbiennes sont autre chose qu’un quota, que de la chair à fantasme, que du papier peint.

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