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Le plus vieux fantasme du monde

Le plus vieux fantasme du monde

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Il n’y a pas très longtemps, c’était Noël. Tu t’es alimenté exclusivement de gras, de sucre (et, si ta grand-mère aussi est un peu à la masse sur les méthodes modernes de conservation des aliments, de salmonellose). Tu as tourné au pinard dès huit heures du matin sans que personne ne te mette en garde contre les ravages de la cirrhose du foie.

Mais voilà, tout ça, c’est fini, et hier l’élastique de ta culotte a pété quand tu l’as enfilée parce que tu as un cul de la taille du Brésil.

Félicitations. Tu corresponds maintenant au plus vieux fantasme de l’humanité : celui de la femme callipyge.

Et oui, l’engouement pour les fiacres gigantesques ne date pas d’hier ; en atteste la Vénus de Lespugue. Cette figurine en terre cuite (21 000 ans avant notre ère) présente une hypertrophie gynécoïde : des seins et des fesses d’une telle ampleur qu’ils font disparaître ventre et cuisses, et tranchent pas mal avec la finesse du haut de son buste et de ses chevilles.

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La Vénus de Lespugue, croquis face, profil, dos.

Les boules surdimensionnées perdurent à travers le temps et traversent les âges.  Ainsi, on les retrouve dans la mode et le vêtement à l’époque contemporaine.
Le XIXe marque un tournant important dans l’histoire du costume, notamment en ce qui concerne la corseterie. La poitrine est libérée et peut se déployer (tranquille Émile), ce qui permet d’étrangler encore plus la taille. Au cours du siècle, le corset s’allonge pour comprimer le ventre ; les chairs déplacées par cette compression remontent donc vers le haut du buste pour augmenter le volume de la gorge. De plus, il modifie la posture naturelle du corps en exagérant la cambrure du dos.
En bas, les structures s’amplifient : à partir de la moitié du siècle, la crinoline (jupe circulaire composée de cercles métalliques) s’évase à partir de la taille en un volume conséquent, et la tournure simule un derrière plutôt dodu.

Crinoline victorienne, 1860, © London Stereoscopic Company
Crinoline victorienne, 1860 © London Stereoscopic Company

En plus d’accroître le rapport taille/ bassin, les dessous de l’époque hypertrophient largement les rondeurs de ces dames.

Mais, on ne va pas se le cacher, « hypertrophie gynécoïde », c’est pas super sexy, et tu dois te demander en quoi ce truc qui a un nom de maladie de peau peut être un fantasme.

Tout d’abord, l’aspect érotique de cette exubérance du derrière saute aux yeux, étant donné qu’elle amplifie les caractères sexuels secondaires de la femme.

De plus, la Vénus est une sculpture, et pas franchement réaliste. Elle suppose donc que son auteur ait opéré un choix, une synthèse des formes travaillées, qu’il se soit approprié le corps féminin dans une représentation singulière.
La silhouette XIXe présente elle aussi un aspect sculptural puisqu’il s’agit de contraindre et de façonner l’anatomie selon une certaine image du corps, un idéal de beauté.
Ainsi, le fantasme callipyge ne résulte pas seulement d’une transformation anatomique, mais aussi d’une intellectualisation, d’une représentation mentale du désir projetées sur le corps.

Mais la taille du fondement féminin n’est pas seulement proportionnelle au sex appeal des dames, il coïncide aussi avec une certaine image de la féminité. Hyper-sexuée, la figure féminine se doit d’être fertile ; opulente, elle incarne la richesse et le confort matériel.

Voilà, maintenant tu peux t’enfiler à l’aise ton pot de Nutella, ton royal kebab, ton maxi best-of et autre kouign-amann…

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Femme corsetée, 1900 © Curvy and Dressing Historically

Sauf que les culs dantesques ont tendance à disparaître de nos radars. Les silhouettes féminines qu’on croise sur les panneaux d’affichage sont désormais longilignes, voire franchement maigrelettes. Le volume de leurs poitrines, mais surtout de leurs bassins a fondu comme neige au soleil. Et pourtant le caractère fantasmagorique de ces nouvelles Vénus ne fait guère de doute : elles sont si retouchées qu’on se demande si les types qui les photoshopent n’ont pas été champions de tuning dans une vie antérieure.

Mais est-ce que ce nouvel idéal du corps peut être attirant ? La question se pose, puisqu’on fait face à l’effacement de ces fameux caractères sexuels secondaires.
Ça rappelle désagréablement la morphologie des adolescentes tout juste pubères (Émile Louis rpz).
On peut également y voir, plus agréablement, une fusion des genres dans un corps mystérieux et androgyne.

Alors, que reste-t-il du plus vieux fantasme du monde ?

Ne voulant pas finir mon article sur ce doute insoutenable, j’ai cherché à trancher la question avec la plus grande rigueur scientifique, et je suis en mesure de vous annoncer, après un sondage au doigt mouillé réalisé sur un panel représentatif de mon entourage, qu’une confortable paire de miches reste un atout de charme non négligeable.

Par Juliette Payrard

Voir les commentaires (1)
  • Permettez-moi de soulever votre erreur, probablement consentie pour appuyer le ton humoristique de l’article.

    La Vénus de Lespugue n’a pas un gros boule parce que c’est un fantasme de l’humanité. Autrefois la société était matriarcale. Le gros boule et les gros nichons comme vous dîtes sont des symboles féminins.

    À la naissance de l’agriculture et probablement avant, (la graine ou la céréale) est au coeur de la société. La femme est alors placée au centre. Symbole de pouvoir de vie, de faire naître, ce gros cul et ces gros seins ne sont que l’expression d’une divinité apte à donner la vie. C’est le genre de déesse qu’on priait pour favoriser l’émergence des céréales pour les récoltes.

    Je suis pas un expert, mais je peux au moins vous dire que la statue n’est pas la trace d’un fantasme callipyge, loin de ça. Elle ne peut alors pas servir dans le démarrage de votre réthorique, ni dans votre conclusion.

    Vous devriez sans doute changer le titre de l’article.

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