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Kodäma. Douces spiritualités et expérimentations

Kodäma. Douces spiritualités et expérimentations

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Kodäma est un jeune OVNI. Des nappes électroniques et rêveuses y côtoient des sons organiques, des influences broken beat et la voix chaleureusement soul de Kiala Ogawa. Difficile de décrire ces douces expérimentations avec exactitude tant les influences y sont multiples. Sur leur EP Palo Santo, on vogue entre l’anglais et le japonais, la langue maternelle de Kiala, on s’évade vers une dimension parallèle où le rêve est réalité et la réalité est rêve. Le Japon est là, en filigrane, porté surtout par l’approche singulière que Kodäma a du son. De cette richesse de texture et des textes posés délicatement comme des incantations émane une spiritualité inédite, une évasion salutaire. Rencontre avec Kiala, Thomas et Tim au détour de la troisième édition de la Douve Blanche.

Manifesto XXI – Votre concert était vraiment un beau moment. Vous êtes beaucoup dans l’expérimentation ?

Kiala : De manière générale, oui. C’est les deux. Avec Kodäma, on expérimente beaucoup la relation entre la prod boite à rythme et un batteur organique. Ça c’est vraiment la signature de Kodäma. On ne veut pas non plus être que dans l’électro avec des « boom boom », on veut aussi mettre de l’harmonie, des arrangements.

Il y a une profusion de choses dans votre musique : d’une part Kiala tu as une voix très soul, de l’autre on retrouve des choses atmosphériques, des trucs plus house, ou bien des influences broken beat. Ça vient d’où tout ça ?

Kiala : Ça vient du fait que j’en avais un peu marre de faire de la musique soul. Tout le monde me disait « Tu as une voix soul, tu dois faire ça ». J’ai voulu avec Kodäma casser les codes et faire ce qui m’inspirait. Je suis beaucoup inspirée par Björk depuis très longtemps. J’aime sa liberté, ses différents univers avec les matières qu’elle utilise, que ça soit la boite à rythme ou l’orchestre symphonique. Ça c’est la musique d’aujourd’hui. On est une génération avec des parents qui ont écouté du Stevie Wonder, du Pink Floyd, et du coup on est là, on a plein de cultures musicales.

Et j’aime casser ce stéréotype de la nana afro qui fait de la soul. Broken beat parce qu’avant de commencer la musique j’écoutais presque que du trip hop et du broken beat. L’histoire de Kodäma c’est vraiment parce que j’avais plein de projets à côté et je ne m’y retrouvais plus trop. Thomas m’a dit « Fais tes compos à toi ». Il m’a téléchargé un logiciel pour composer qui s’appelle Ableton. Ça m’a ouvert plein de trucs.

Tes autres projets étaient très différents ?

Kiala : J’avais un autre projet qui s’appelle Keys Zuna, beaucoup plus soul. Mais j’avais envie de faire un truc qui me ressemblait plus. Keys Zuna c’est un projet à quatre, où on est tous les quatre à décider, c’est super, c’est un partage d’idées. Mais du coup tu peux vite ne plus te retrouver dans un truc. J’avais envie de faire un truc un peu perso, et donc Thomas m’a dit « Vas-y je te télécharge Ableton » et j’ai commencé à faire les prods l’année dernière.

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© Flavien Prioreau

Thomas : Je la laisse un maximum s’exprimer, faire le truc. Puis il y a toujours un moment où je récupère le disque dur pour ré-arranger autour, toujours en commun.

Kiala : Lui c’est un peu le scientifique, il gère tout le son. C’est grâce à Thomas que Kodäma est né, il m’a vraiment poussée.

Ça a commencé quand ?

Kiala : Ça a commencé fin 2016. C’est très récent.

Thomas : L’histoire c’est qu’on avait un voyage au Japon pour voir de la famille. On avait trouvé une date dans un club à Shibuya. On avait trois-quatre morceaux, j’avais ramené une guitare. On a fait notre premier concert là-bas, ça avait beaucoup plu donc on s’est dit que c’était le début de quelque chose. On est revenus en France et on a bossé ça. On a fait une première date où il y avait beaucoup de monde aux Nautes par Around the World, qui sont nos anges gardiens. Grâce à cette première date où il y avait une belle énergie, tout est arrivé. C’est grâce à ce concert qu’on a rencontré La Mamie’s.

Vous êtes très liés au Japon, qui est quand même un pays de contrastes. Comment vous l’incorporez dans votre musique ?

Kiala : J’ai grandi beaucoup en France mais je suis allée à l’école au Japon, j’y suis allée souvent. J’ai eu une éducation japonaise. À la maison on parlait japonais, on ne parlait pas trop français. Mes cassettes Disney étaient en japonais. Je ne pourrais pas dire que je m’inspire, c’est juste moi.

Thomas : C’est aussi des grands pionniers des synthétiseurs analogiques et nous c’est vraiment des trucs auxquels on est sensibles. Kiala est pianiste, je suis bassiste/contre bassiste, on se retrouve vraiment sur les textures sonores. Au Japon ils sont super pointus sur la musique, donc si tu arrives là-bas et qu’ils te disent que ta musique est bien, tu sens qu’il y a un poids.

Kiala : Ce qui est bien au Japon, c’est qu’il y a une espèce de liberté de style qu’on ne retrouve pas ici. Il y a une scène de tous les styles. Tu fais de la salsa kawai, et bien tu auras ton public salsa kawai.

Thomas : Tu as aussi des gros zikos de soul, ils sont pointus dans le jazz, dans le beatmaking.

Kiala : Ils n’ont pas peur de mélanger tout ça et nous c’est ce qu’on kiffe.

Vous vous sentez plus à l’aise sur des scènes au Japon ?

Kiala : Ce n’est pas pareil, le public est complètement différent. C’est assez direct.

Thomas : Ils rentrent dedans, ils se lâchent. Ils n’ont pas le truc du jugement et de la compétition, il y a vraiment un confort très moelleux du respect et c’est grandissant pour nous. Paris, ça a une mauvaise réputation mais avec Kodäma on a la chance d’avoir le bon côté des Parisiens.

Kiala : La différence entre la France et le Japon, c’est qu’en France on reste très conformes. Quand tu es issue d’une famille immigrée métisse, tu te dis « Merde je suis dans quelle case ? ».

Le voyage c’est vraiment central pour vous ?

Kiala : Notre objectif, c’est de faire voyager les gens. Le truc où je me suis dit « Oui j’ai trop envie de faire ça avec Kodäma » c’est quand on a joué à un festival au Japon où il y avait environ 2000 personnes qui fermaient les yeux, et c’est ça que je voudrais. J’adore ça, ils sont là dans leur truc. On les emmène quelque part.

C’est quoi justement votre rapport à l’irrationnel ?

Thomas : C’est plus un rapport à la nature, mais ça c’est propre au Japon encore. Dans la city, c’est vraiment bétonné parce que c’est des grandes mégalopoles, mais il y aura toujours un endroit avec un peu de nature, un petit temple. Les enfants vont mettre des offrandes, ils vont nettoyer, parce que c’est important de se rappeler de nos racines. En Occident on oublie et on tue ça. On bétonne, on met des usines, des villes. Il y a beaucoup de peuples qui vivent encore avec la nature, et Kodäma ça veut dire ça, l’écho dans la forêt. C’est ce qu’on essaie aussi de ramener dans notre musique.

Kiala : L’importance d’être reconnaissant de ce qu’il y a autour de toi. Là tu vois on est reconnaissants qu’il y ait du soleil. On est dans cette célébration. Dans ma musique et mes paroles, j’essaye toujours d’être reconnaissante vis-à-vis d’où l’on vient. Je parle d’esprits, de nature, d’émancipation de soi-même.

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Thomas : On veut que les gens se sentent plus légers après nos concerts.

Votre EP s’appelle Palo Santo. Qu’est-ce que cela signifie ?

Kiala : Palo Santo c’est un bois sacré d’Amérique latine. Il est utilisé souvent pour des cérémonies de purification, où lorsqu’un jeune devient un adulte. Comme chaque matière, chaque élément, ça donne des effets différents pour chacun mais ça enlève les mauvais esprits, ça n’amène que du bon. L’EP Palo Santo, je l’ai dédié beaucoup à ça. L’histoire c’était que je n’étais pas du tout inspirée et ma voisine m’a donné ce palo santo, en me disant que ça allait me faire du bien. J’ai brûlé et j’ai pondu quatre textes en un soir.

Vous avez tous une spiritualité importante ?

Thomas : C’est important parce que c’est juste de respecter chacun.

Tim : Ça entraîne des discussions super intéressantes.

C’est quelque chose qui manque chez les gens ici ?

Thomas : Je ne pense pas, je pense qu’elle est de plus en plus là et que oui, des sociétés occidentales modernes travaillent depuis des décennies à effacer ça mais heureusement pour nous et malheureusement pour eux c’est difficile d’en sortir. Je pense qu’on est obligés d’y revenir si on veut être heureux. Nos sociétés d’aujourd’hui sont dans la prise de plaisir mais elles ne t’apprennent pas à chercher le bonheur. Il y a une grande différence entre les deux.

Vous êtes heureux aujourd’hui ?

Thomas : Oui. On aimerait que les gens soient encore plus heureux, et on serait très heureux.

Tim : Ce qui est difficile c’est que dans la société actuelle, on nous pousse à repousser les limites soit dans la gestion du temps, dans notre travail, dans la consommation. Tout ça fait qu’il y a un bruit constant qui empêche de se poser les bonnes questions, et que du coup on a des vides qu’on va essayer de combler par un épanouissement professionnel, ou des biens matériels. Tout ça est assez éphémère. Ce qui comble vraiment, c’est cette spiritualité qui fait qu’on est en paix avec ce qu’on est.

Thomas : C’est un discours qui a de plus en plus d’écho. Parce qu’à un moment on fait le tour des drogues, on fait le tour du taf. Un jour les gens tombent sur un coin de nature, ça les touche plus parce que c’est vrai. Nous on essaye d’avoir ça dans notre musique parce que la musique c’est une énergie qui peut être prise dans différentes voies, mais là où elle est le plus puissante c’est là-dedans.

Vous faites le choix de faire cette musique dans un pays où la spiritualité semble un peu éradiquée.

Thomas : C’est toi qui fais ton environnement. Plus tu es dans un endroit où c’est compliqué, plus tu peux y arriver. Il y a énormément de récits de gens en prison ou qui ont traversé la mer et qui ont gardé cette foi. On peut être étouffé par l’environnement mais on a les ressources en nous.

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