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Juniore. Les garçonnes mélancoliques

Juniore. Les garçonnes mélancoliques

Juniore

La musique de Juniore est mélancolique, impalpable et fantomatique. Elle a des accents sixties, autant dans les sonorités que dans l’esprit, dans sa légèreté. On écoute ça le regard dans le vague, on laisse le son et le texte très évocateurs s’emparer de notre imaginaire. On se laisse glisser dans une langueur délicieuse. Rencontre avec Anna, Agnès et Swanny, les trois filles sur scène, qui nous ont fait le plaisir d’une discussion au soleil en marge du Biches Festival 2016 en Normandie.

Manifesto XXI – Quelle est l’histoire du groupe ?

Anna : Le groupe c’est moi qui l’ai monté il y a trois ans. J’avais envie de faire un truc un peu dans l’exercice de style parce que c’est une époque que j’aime bien les années 60, la période un peu yéyé en France. J’ai commencé à travailler avec cette personne qui est là, Samy Osta et que je connais depuis le lycée. Au début, j’ai commencé à jouer avec des copines qui avaient toutes des boulots. J’ai un autre boulot à côté aussi. Finalement c’était un peu trop compliqué pour elles de continuer à jouer. Puis j’ai rencontré Agnès, il y a deux ans maintenant. Agnès qui joue du clavier. Et un peu plus tard, on a rencontré Swanny et maintenant c’est nous.

Manifesto XXI – Il n’y a que des filles sur scène. Vous avez des velléités féministes ?

Anna : Au départ non, bizarrement. Ce n’est pas du tout né d’une volonté féministe au départ. C’était vraiment juste que j’avais une amie qui était dans un autre groupe, aussi un exercice de style, un autre genre d’années 60 très yéyé, moins rock. J’ai commencé avec elle et une autre fille. Au début c’était juste une envie entre amies. Et finalement le fait de faire des concerts et de voir à quel point c’est un milieu masculin… À un moment on nous a dit « Vous êtes un groupe de meufs » et je n’y avais pas réfléchi comme ça, je ne m’étais pas dit « On va faire un groupe de meufs ».

Au bout d’un moment c’est devenu une vraie envie, que ça soit des filles, de travailler avec un maximum de filles. Les gens avec qui on travaille pour les photos, l’image, en général ce sont des filles aussi. Maintenant c’est une véritable volonté, parce que les meufs c’est bien (rires). C’est vraiment un milieu assez masculin, alors qu’il y a des tas de filles super. Quand tu es une fille, déjà tu n’es pas aussi crédible, tu es assez vite cristallisée dans une caricature, je trouve.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=i7ChC3oZh8o]

Manifesto XXI – On vous accole souvent l’adjectif « garçonne », qu’est-ce que vous en pensez ?

Anna : Moi ça ne me dérange pas, vous ça vous dérange ?

Agnès : Ça ne me dérange pas, on a en nous aussi bien du masculin que du féminin, comme les hommes d’ailleurs. Donc pourquoi pas.

Anna : Oui moi je me sens garçon.

Swanny : Si ça fait plaisir aux gens de mettre cette étiquette-là…

Agnès : Et puis ce mot est assez joli, ce n’est pas péjoratif pour nous je pense.

Anna : Je pense que ça nous ressemble assez bien aussi parce que même si on n’est pas toutes jeunes on a aussi un côté juvénile. Et garçonne c’est un peu ça aussi, ce n’est pas un monsieur. Ça me convient plutôt.

Manifesto XXI – Tu parlais des années 60, en quoi ça vous influence ?

Anna : J’aime bien le format chanson. J’aime beaucoup aussi la musique plus abstraite mais dans les années 60, c’est un peu le moment où on trouve le format parfait de la chanson, assez courte, assez efficace mais il n’y a pas encore l’idée de reset, d’usine à tubes. Je pense que ça arrive à cette époque-là mais il y a encore quelque chose d’assez naïf que j’aime beaucoup. Je pense que c’est plus ça qui m’a plu au départ. Après au-delà du format, ce qu’il y a à l’intérieur, une légèreté qui n’existe plus tellement aujourd’hui, qui me plaît assez. Après évidemment l’esthétique… Il y a plein de choses auxquelles j’adhère de cette époque. Gainsbourg beaucoup pour la chanson, c’est un peu la chanson parfaite. Toutes les chanteuses, Françoise Hardy, France Gall, qui n’étaient pas forcément qu’interprètes, j’aime beaucoup.

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Manifesto XXI – Dans l’univers de Juniore on note une sorte de mélancolie. D’où ça vient ?

Anna : Je pense que c’est l’époque aussi. J’ai l’impression – je dis peut-être n’importe quoi – que c’est une époque un peu grave, qui n’est pas une époque d’insouciance. La mélancolie, je trouve que c’est ce qu’il y a de plus digeste dans cette époque finalement. C’est moins lourd que le pathos, que quelque chose de très profondément triste. En même temps, c’est peut-être plus approprié à l’époque que quelque chose de très léger. Je ne sais pas. En ce moment je me pose un peu la question, quand tout le monde est très tendu est-ce que c’est mieux d’avoir une production artistique très légère pour distraire les gens ou est-ce qu’au contraire il faut que ça soit imprégné de l’époque et de ce que les gens vivent et ressentent, cette angoisse générale dans laquelle on vit aujourd’hui ?

En tout cas j’ai un goût certain pour la mélancolie, ça c’est sûr. J’aime bien l’ironie aussi et le second degré du coup c’est une mélancolie pas très grave, assez bénigne. Je pense que c’est aussi pour ça le choix des années 60, c’est une époque où les chansons de Françoise Hardy, par exemple, sont toujours assez tristes mais ça parle de choses qui ne sont pas du tout graves en fait, des petits chagrins d’amour un peu adolescents, toujours dans l’insouciance. Il y a quelque chose de ça qui m’émeut, me plaît.

Manifesto XXI – Pourquoi chanter en français ?

Anna : Je trouve que c’est super de chanter dans sa propre langue. C’est dur de chanter dans une langue qui n’est pas la sienne, c’est dur d’écrire. Finalement, je pense que c’est dur aussi quand tu as une culture musicale anglophone de te prêter au jeu d’écrire en français. Moi j’ai une culture plus anglophone que francophone, du coup c’est un peu un défi quand tu décides de faire de la musique en français parce que tu as moins de références. C’est plus facile dans un sens parce que c’est ta langue, tu ne vas pas emprunter des expressions toutes faites à des groupes que tu as bien aimés mais en même temps c’est plus difficile parce que ton choix il est peut-être plus restreint. Parce que dans les années 2000, il n’y avait pas tellement de musique en français.

Manifesto XXI – À part Ophélie Winter ?

Anna : Oui, à part elle.

Manifesto XXI – Une inspiration pour vous ?

Anna : Oui c’est une grande inspiration (rires). Avec le recul ça va. Nous qui l’avons vécu et subi, obligées de l’écouter, c’était horrible à l’époque. Mais après tu es content.

Agnès : Petite madeleine de Proust.

(Elle mange une madeleine.)

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Agnès : Juste par rapport au français, c’est vrai que quand on y réfléchit, je me dis qu’il y a quand même un bel espace de création avec le français parce qu’il n’y a pas tant de choses que ça de faites par rapport à l’anglais. C’est hyper dur aujourd’hui de faire des trucs un peu nouveaux, du coup c’est vrai qu’avec le français il y a peut-être encore cette possibilité-là.

Manifesto XXI – Surtout que le français est souvent vu comme une mise à nu. En chantant en anglais, on se cache un peu derrière la langue, alors qu’en français il n’y a pas de trop de filtres.

Anna : Oui et puis ce n’est pas forcément évident à chanter.

Agnès : Je pense que ça ne se met pas en musique comme de l’anglais mais ça se met en musique autrement.

Anna : C’est difficile de faire des jolies phrases dans ta propre langue, alors si t’essayes dans une autre langue c’est encore plus difficile.

Manifesto XXI – C’est assez facile de tomber dans le pathos ou le lyrisme en français.

Anna : C’est vrai que ce n’est pas évident.

Agnès : C’est difficile de chanter « Je t’aime » en français par exemple. L’anglais ça passe.

Anna : Comme Lara Fabian tu vois.

Manifesto XXI – Une autre inspiration à noter ?

Anna : En fait ce sont les inspirations où tu sais ce que tu ne veux pas faire. Ça délimite un peu ton champ.

Agnès : De la non-inspiration.

Manifesto XXI – Comment ça se passe en live ?

Anna : Swanny et Agnès sont musiciennes professionnelles, c’est leur métier. Elles ont toutes les deux d’autres projets, parce que nous on ne joue pas suffisamment souvent, on ne fait pas suffisamment de choses pour vivre pour l’instant. C’est un peu des rencontres par hasard. La rencontre humaine on ne s’y attendait pas forcément.

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Agnès : Oui la bonne rencontre est toujours un peu une surprise. On ne sait pas comment ça va se passer quand on rencontre des gens, au-delà de la musique.

Anna : Je pense qu’au début c’était un peu un taf de « à telle heure il faudra être là il faudra faire tel truc » et puis au fur et à mesure ça devient un peu autre chose. C’est un peu la mayonnaise qui prend, il faut du temps.

Agnès : Parfois ça n’arrive pas, c’est un peu inexplicable. C’est ce qui est un peu magique dans le fait de jouer en groupe. On a cette chance-là de vraiment bien s’entendre.

Juniore
Juniore (EP Marabout)

Manifesto XXI – Vous vous projetez comment dans le futur ? Vous avez des projets spécifiques ?

Anna : On essaye en ce moment de faire un album, d’enregistrer suffisamment de morceaux avec cette personne-là (Samy Osta).

Samy : Salut, enchanté.

Anna : Oui on essaye d’enregistrer un album pour le sortir début 2017. Du coup les projections sont un peu dans ce champ-là.

Manifesto XXI – Et au niveau des dates ?

Anna : On espère avoir des petits concerts, des petites choses à faire. On a quelques trucs de prévus et on espère que ça va continuer à se renflouer.

Manifesto XXI – Qu’est-ce que vous attendez de votre performance ici au Biches Festival ?

Anna : De s’amuser et d’amuser les gens.

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Manifesto XXI – Vous avez fait beaucoup de festivals ?

Anna : Non pas beaucoup, on en a fait la semaine dernière à Rouen aux Terrasses du Jeudi. C’est vachement bien. C’est organisé par la mairie. Ils louent des terrasses de café, ils font des petites estrades et il y a plein de concerts dans la ville ouverts au public.

Manifesto XXI – Vous jouez beaucoup à Paris ?

Anna : On joue à Paris régulièrement.

Samy : Il y a des premières parties prochainement. En fait, la date en tête d’affiche ça sera plutôt en janvier-février. À Paris ça sera sûrement une Maroquinerie ou une Boule Noire. Il y a une première partie à l’Olympia en octobre, et il y a une première partie à Bercy en janvier de La Femme.

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