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Rencontre avec Jérôme Catz, expert en street art

Rencontre avec Jérôme Catz, expert en street art

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Après avoir visité les expositions « Obey to music – A visual tribute to music by Shepard Fairey », et « #streetart – L’innovation au cœur du mouvement », Manifesto XXI a eu envie de poser quelques questions au commissaire des expos, Jérôme Catz, également fondateur et directeur des espaces d’art Spacejunk.

Manifesto XXI – Vous étiez sur les lieux de l’exposition le week-end d’Art Rock. Quels sont les retours que vous avez eus de la part du public ?

Jérôme Catz : Tous les retours sont super encourageants, beaucoup de personnes viennent nous féliciter. Après, avec l’expo #streetart il n’y avait pas de craintes parce qu’on l’a déjà présentée. Elle est interactive, ce qui est un peu rare, donc forcément le public adore et les gamins sont ravis.

Manifesto XXI – Et sur Shepard Fairey ?

Jérôme Catz : On a eu d’excellents retours de la part des gens sur la scénographie, sur le choix de l’accrochage. Généralement le travail de Shepard Fairey est toujours exposé de manière très alignée. Son travail s’y prête parce que c’est toujours les mêmes formats donc c’est facile. On a eu beaucoup de retours sur les réseaux sociaux, des États-Unis aussi, des « On aimerait bien avoir ça ». De la part des visiteurs, de très bons retours sur les cartels, ils ont beaucoup apprécié l’accessibilité des textes et les synthèses. Ce sont des clés de lecture et de compréhension mais qui ne sont pas des tartines.

Manifesto XXI – Est-ce que c’était la première fois que vous collaboriez sur ce type de projet ?

Jérôme Catz : Oui, c’est la première fois qu’on est sur un festival. On a déjà fait des foires comme ISPO à Munich. Là on a des espaces de 800-1000 mètres carrés à couvrir pour quatre jours. Voilà, on est rompus à l’exercice de monter-démonter mais c’est dommage de gaspiller du temps et de l’énergie pour une exposition courte. Le format d’Art Rock est super car ils arrivent à rayonner dans la durée. La proposition des expositions aux scolaires en amont et après les trois jours du festival fait qu’il y aura beaucoup d’enfants touchés par les deux expos, c’est super, notamment grâce au travail des médiateurs.

Manifesto XXI – Cette expérience d’interdisciplinarité souligne-t-elle une certaine proximité entre le rock/pop et l’univers street ? Cette connexion n’est pas forcément évidente pour les publics.

Jérôme Catz : Oui, rock et street art le public ne connaît pas beaucoup. Le street art est un art populaire et il y a énormément d’artistes qui traitent de l’iconographie populaire. Le rock et les musiciens font donc partie des sujets récurrents dans le street art. Énormément d’artistes ont traité le sujet des icônes populaires, Warhol en premier. Le lien entre l’art et la musique a toujours existé, donc le lien entre le street art et le rock est là. Je ne connaissais pas le festival avant mais quand Jean-Michel Boinet m’a présenté le projet, pour moi le travail de Shepard Fairey était une évidence. Il connaissait les œuvres de Shepard, mais il ne pensait pas qu’en France il y eût des personnes pouvant proposer cela, et pour cause : c’est une première mondiale que de rassembler autant d’œuvres de cet artiste uniquement autour du thème de la musique.

Manifesto XXI – Dans l’expo #streetart, la scénographie souligne différents styles, on pourrait presque dire différentes écoles de street art. Est-ce qu’on a tort d’en parler au singulier, est-ce qu’on ne devrait pas plutôt parler deS streetS artS ?

Jérôme Catz : De fait, ce mot générique définit un ensemble de pratiques et de techniques. C’est presque un mot poubelle. Bon, c’est pas beau de le dire comme ça. Il y a encore des personnes qui se battent contre ce terme, mais c’est comme se battre contre un moulin, ce n’est pas possible de le faire disparaître maintenant que c’est rentré dans les usages. C’est sûr que par contre dans un futur proche on parlera plus de mouvements du streert art comme le pochoir, le collage, le muralisme…  et toujours le graffiti. Naturellement, de grandes familles se construisent.

L’exposition sur le #streetart, elle est sur l’utilisation que font les street artistes des nouvelles technologies, donc ne prend pas le parti d’expliquer ce qu’est le street art aujourd’hui. J’ai essayé de faire au maximum une sélection d’artistes qui ont des complémentarités pour faire un tout cohérent et donner une vision globale.

Manifesto XXI – Où en est la reconnaissance du street art aujourd’hui ? C’est « à la mode » avec tout la philosophie street qui imprègne aussi la mode et la musique, mais est-ce que les institutions suivent ?

Jérôme Catz : Il y a un vrai bras de fer, il y a une sorte de jeu de posture avec d’un côté des gens qui veulent que le street art soit un mouvement indépendant et ceux qui veulent le faire disparaître dans l’art contemporain. Le monde de l’art contemporain voudrait garder la main sur l’appellation street art, et le business que ça génère autour. Aujourd’hui c’est l’art contemporain qui tient 99% du marché, et même si le street art a sa presse, ses ventes aux enchères, ses éditeurs, des foires dédiées à ça et commence à avoir ses spécialistes, le marché est tout petit. Mais il est difficile de ne pas parler de marché ou de mouvement, il se structure vite, et ce n’est pas grâce à la FIAC. La presse art générique comme Beaux-Arts magazine commence à en parler un peu régulièrement, mais au final, les gens qui auront le dernier mot seront les clients.

Aujourd’hui c’est un marché microscopique par rapport à l’AC, mais il n’y a pas besoin d’être devin pour comprendre que les jeunes générations, quand elles auront un peu d’argent à placer, le mettront dans le street art parce qu’elles ont grandi avec ce mouvement.

Manifesto XXI – En termes de reconnaissance institutionnelle, on est en retard en France ?

Jérôme Catz : Oui et non, la France est le seul pays qui est pieds et poings liés par une institution culturelle. Qui fait vivre l’exception culturelle aujourd’hui ? C’est Arnault et Pinault, ce sont eux les marchands d’art et ce n’est pas près de changer. Mais d’un autre côté les initiatives privées explosent, le public répond fortement à ces propositions et la presse généraliste relaie volontiers l’information. Récemment le ministère de la Culture à lancé un appel à projets pour le street art, ils ont été débordés par les réponses !

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Panneaux lumineux Water Light Grafiti

Manifesto XXI – C’est quoi l’avenir du street art pour vous ? Est-ce que c’est le lien avec la technologie comme on pouvait le voir dans l’expo ?

Jérôme Catz : Comme le street art est un mouvement qui n’est pas borné, qui n’est pas né d’un manifeste, on peut y faire rentrer tout ce qu’on veut. Et comme il s’est instantanément approprié la culture Internet, beaucoup de gens qui sont sensibles au street art sont en phase avec la technologie qui le fait exploser. La technologie aujourd’hui permet l’interactivité. Le street art au fond, c’est quelque chose d’offert au public, une œuvre d’art plastique mise gratuitement à disposition du passant dans la rue pour rester plus ou moins longtemps. C’est offert généreusement au public. Les œuvres de demain vont pouvoir intégrer de nouvelles propositions techniques qui risquent d’augmenter l’interactivité entre le public et les œuvres proposées.

Manifesto XXI – Comme le dispositif avec les panneaux lumineux Water Light Graffiti, c’est un dispositif de liberté d’expression qui semble réaliste…

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Jérôme Catz : Ce sont des propositions qui peuvent arriver dans la rue dès demain si les politiques l’acceptent, il y a un travail d’interface un peu technique à mettre en place mais c’est faisable dès à présent.

Manifesto XXI – Justement, quand on (re)découvre les origines un peu sulfureuses du street art, on peut se demander si le côté vandalisme persiste encore aujourd’hui dans la pratique?

Jérôme Catz : La revendication fait partie de l’ADN du street art, c’est un message politiquement engagé. Le fait de faire quelque chose qui est interdit et de l’assumer, même sous pseudo, est un acte engagé. Le jour où il n’y aura plus de vandales, on aura tous une puce derrière l’oreille. Le tag ou le graffiti vandale est une expression de la jeunesse qu’on ne peut que constater. Mais au fond ça ne reste que de la peinture, ce n’est pas de la vente de drogue, ou de vol de sacs… C’est un acte de vandalisme léger.

Manifesto XXI – Oui, ça paraît important de le souligner. Concernant l’expo Shepard Fairey certaines œuvres de la série en noir et blanc sont très mordantes, corrosives. Est-ce qu’on est dans le registre de l’ironie, de la caricature quelque part ou pas du tout ?

Jérôme Catz : Non, ce n’est pas ironique, c’est militant, c’est engagé. Shepard Fairey, c’est quelqu’un qui « icônifie » des causes ou des sujets. Que ce soit la pollution ou B. Obama, il fait des slogans visuels. Son boulot c’est d’arriver à magnifier un sujet, une cause, c’est un peu le boulot de tout street artist. Quand on voit une œuvre rapidement, il faut que le message – s’il y en a un – soit compris au premier coup d’œil. Un bon street artist est souvent un très bon communiquant, un bon publicitaire.

Manifesto XXI – On remarque énormément de symboles ésotériques, ou à connotation franc-maçonne dans le travail de l’artiste. Ses influences semblent être multiples, comment utilise-t-il toutes ces références ?

Jérôme Catz : Non c’est plutôt rare, il en rigole quelquefois, mais dénonce les lobbys et les cercles de pouvoir, les allusions aux sociétés secrètes sont minimes. Par contre on retrouve presque chaque fois sa signature graphique, avec le visage stylisé d’André the Giant jusqu’en 1997 puis ce même visage au centre d’une étoile à cinq branches. Ensuite il y a un style, il a imposé une patte artistique et en fonction du sujet va aller capter des éléments graphiques. Il se sert souvent d’une photo ou d’une illustration à la base de ses travaux, c’est une sorte de compositeur. Dans cette expo on a quasi que des portraits ou des affiches de concerts, mais dès que l’on rencontre son travail militant, il s’inspire de la propagande soviétique, du travail de Rodchenko, de Barbara Kruger et de beaucoup d’autres qu’il cite souvent.

Manifesto XXI – Le côté contestataire se ressent dans son travail, même quand il traite de musique. Quelle est sa posture, sa philosophie en fait ? C’est une envie de faire prendre conscience ?

Jérôme Catz : Il dénonce, il ne va pas dire « Il faut faire ça ». Il va expliquer pourquoi il est contre Bush, ce qu’on fait avec le trésor américain, comment les Américains suivent aveuglément la presse… Il met Nixon sur le même niveau que Mao et Lénine alors qu’ils sont les pires ennemis de l’Amérique. Après, il a d’autres manières de faire avec des dénonciations beaucoup plus frontales. Dans la nouvelle expo sur l’art engagé à Spacejunk, nous allons montrer des œuvres très fortes et très frontales où il dénonce Bush et son administration en long, en large et en travers.

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