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À l’intérieur du télescope avec Caroline Corbasson

À l’intérieur du télescope avec Caroline Corbasson

Caroline Corbasson est une jeune artiste confirmée, finaliste du Prix Découverte 2016 des Amis du Palais de Tokyo – dont les résultats finaux seront connus le 4 janvier. Nous avions déjà parlé de son travail ici, et cette fois-ci, intrigués et curieux, nous sommes allés la rencontrer au ZA sous la Canopée des Halles. Nous avons parlé de ses nouveaux travaux, mais aussi collaborations, démocratisation et artisanat dans l’art aujourd’hui. Rencontre.

Stardust, 2016, Charbon sur papier, 150 x 210 cm Interplanetary dust viewed under electron microscope Courtesy the artist and Galerie Laurence Bernard
Stardust, 2016, charbon sur papier,
150 x 210 cm
Interplanetary dust viewed under electron microscope
Courtesy the artist and galerie Laurence Bernard

Manifesto XXI – Pour commencer, comment t’es-tu retrouvée à « faire de l’art » ?

Caroline Corbasson : Alors j’ai commencé à dessiner très petite. C’est une pratique qui m’a vraiment suivie, et c’est par le dessin finalement que j’ai été amenée vers les études d’art, tout simplement. Mais j’ai une passion parallèle, les sciences – qui à première vue peut paraître un peu paradoxale. C’est elle qui me nourrit le plus.

Comment en es-tu venue à te « spécialiser » dans l’espace ?

J’aime bien chercher ailleurs, en fait. Chercher ma matière première là où on l’attend le moins. Ce qui m’intéresse, c’est de sortir de ma zone de confort. Me confronter à un milieu scientifique – que finalement je ne connais pas puisque je n’ai pas fait d’études scientifiques – pour moi c’est fascinant : parce que j’ai tout à apprendre. Donc ça part d’une sorte de fascination un peu primitive qu’on a tous ; cette fascination-là est mon moteur et me pousse à explorer. C’est de ça que j’ai envie de parler dans mon travail.

On m’associe beaucoup à la science. C’est le sujet principal dans les interviews et les articles. Mais je ne vais pas non plus m’enfermer là-dedans. Je sens qu’il y a beaucoup de choses à y faire ; plus j’explore, et plus ça m’emmène vers des lieux auxquels je ne m’attendais pas. Je suis sur une belle lancée et j’ai envie d’aller loin dans cette voie, et chaque rencontre avec un scientifique m’y emmène.

Galileo - 2010
Galileo, 2010

C’était une de mes questions à suivre : tu travailles avec des scientifiques pour tes œuvres. Comment ça se passe ?

Ce qui est intéressant, c’est que c’est vraiment un échange à double sens. Je vais leur poser des questions, ils vont me faire visiter leur laboratoire, les observatoires, etc., et en retour je leur permets de voir leur travail à travers un autre prisme. Ils me disent souvent que c’est rafraîchissant pour eux. Je me demandais ce qu’ils tiraient de ces échanges, et en fait, au fil du temps, ils perdent le sentiment de fascination face à leur objet. Ils sont parfois dans quelque chose de très froid, et moi je peux les aider à replonger dans ce sentiment d’émerveillement.

Du coup, on peut dire qu’en tant qu’artiste, tu es là pour redonner la passion ?

(rires) Je n’ai pas la prétention de… mais bon ! En tout cas j’ai l’impression que c’est valorisant pour eux que des artistes s’intéressent à leurs recherches. Là, j’ai commencé à travailler de manière régulière avec un scientifique du LAM de Marseille, Emmanuel Hugot. D’une petite visite en laboratoire, on se retrouve à construire un vrai projet de film, que je vais tourner au Chili.

Donc tu vas aller dans la montagne, au Chili, aux observatoires ?!

Oui, exactement ! Là-bas, il y a l’un des plus grands observatoires astronomique du monde, où se trouve le VLT (ndlr : tout simplement « Very Large Telescope »). Je vais dans cette base scientifique au milieu du désert pour observer un peu ce qu’il s’y passe, et je vais tourner un court-métrage. Ce sera mon premier.

Tu te lances donc dans la vidéo ?

Oui, ça s’est assez démocratisé. C’est comme la photographie, tout le monde est un peu photographe maintenant. Il y a ce truc très grisant, de se dire qu’on peut faire un film sans un budget monumental, avec un simple téléphone par exemple. Au début, je me demandais si je n’allais pas le faire moi-même avec une mini-caméra, mais j’ai envie de faire de belles images, donc je pars avec un chef opérateur. Je vais en faire quelques-unes, puis je verrai si je les garde ou pas.

Caroline Corbasson, Chili - Instagram
Caroline Corbasson, Chili – Instagram

Tu collabores aussi avec des scientifiques de haut niveau quand même – bon la NASA toujours pas…

C’est en train de venir là.

C’est vrai ?!

Oui ! J’ai eu des interactions avec eux par Facebook notamment. Sur les miroirs de télescope que tu as vus, j’ai sérigraphié des images du satellite Hubble, donc je me suis dit que j’allais les leur envoyer. J’ai un peu jeté une bouteille à la mer. J’ai envoyé ça à la page de Hubble, et – ils ont pourtant deux millions d’abonnés ! – ils m’ont répondu dans la journée ! Ils m’ont même demandé la pièce pour l’exposer dans le visitor center, ils l’ont aussi partagée sur leur page Facebook… Et sinon, mon ami du LAM a eu la gentillesse de diffuser mon travail à ses connaissances de la NASA, donc les choses sont en train de bouger !

En parlant d’outils et de scientifiques : ma grande question, c’est comment tu te procures tes miroirs de télescope.

Ah ! (rires) Ça a été une recherche. J’ai vraiment fouillé les tréfonds d’Internet, et j’ai trouvé des artisans amateurs, passionnés d’astronomie, qui fabriquent ça chez eux. C’est ce qui m’intéresse dans cet objet : le miroir de télescope est destiné à avoir une très grande précision, au nanomètre près. Sauf que c’est un objet qui, encore aujourd’hui, est poncé à la main, jusqu’à obtenir une surface la plus lisse possible. Ce décalage entre un truc fait à la main humaine, et destiné à observer le ciel avec une précision au nanomètre… C’est fascinant. Et apparemment – c’est ce qu’on me dit mais je ne sais pas si c’est un mythe – aucun robot ne peut atteindre cette qualité, car c’est le geste aléatoire de la main – des heures et des heures de ponçage – qui permet une parfaite homogénéité.

BLANKS I Sérigraphie sur miroir de telescope, acier. Diam 46 cm ep 2,5 cm H 170 cm
BLANKS I
Sérigraphie sur miroir de télescope, acier
Diam. 46 cm, ép. 2,5 cm, H 170 cm

Comme on le voit sur ton Instagram, tu travailles beaucoup de matériaux différents – miroirs, blocs minéraux, acier… La structure en métal des miroirs de télescope a les traces irisées caractéristiques de la soudure et du ponçage à la main, on te voit travailler… Travailles-tu aussi avec des artisans ?

Alors oui, je voulais que les soudures, le bleuissement du métal, soient apparents. C’est dur à garder : c’est assez beau quand ça vient d’être fait mais ça s’oxyde.

Oui, je collabore souvent avec des artisans. Mais je pense qu’il faut savoir faire pour pouvoir bien déléguer : si tu ne connais pas bien la matière, c’est difficile d’expliquer ce que tu veux. Donc pour ne pas être limitée par mes capacités, quand j’ai des envies un peu monumentales par exemple, je fabrique à petite échelle, puis je fais réaliser, ensuite, à plus grande. J’ai fait une formation « métal » aux Beaux-Arts, donc j’ai appris à souder. Et puis il y a des choses que je fais toute seule de A à Z : les dessins, bien sûr.

Et les sérigraphies ?

J’ai aussi fait la formation ; mais j’ai des exigences assez élevées quand je fais de la sérigraphie – en général ce sont des choses très précises – donc je bosse avec un super bon sérigraphe, Simon Thompson, dont c’est la spécialité.

Et puis j’aime bien l’idée de collaborer. Chacun a ses forces, je n’ai pas envie de me limiter, c’est hyper agréable alors même que l’art est une pratique très solitaire.

J’ai aussi essayé de voir avec quelles galeries et institutions tu travaillais, et j’ai vu passer Christie’s ; je suppose donc que tu vis de ton art ?

Franchement, si je peux continuer à faire ça toute ma vie, c’est cool. J’estime ma chance de travailler avec des galeries qui ne m’ont mis aucune pression ou condition, m’ont fait confiance, et ne m’ont jamais fait faux bond. Je me trouve plutôt bien entourée, après c’est sûr qu’il faut bien choisir avec qui on travaille.

Caroline Corbasson, atelier - Instagram
Caroline Corbasson, atelier – Instagram

Parmi ceux que l’on peut appeler les collaborateurs, il y a aussi les gens qui viennent voir tes œuvres dans les galeries et sur ton Instagram. Qui cherches-tu à atteindre, et à propos de quoi ?

La ligne de mon Instagram n’est pas que fixée sur mon travail, il y a aussi des sources d’inspiration. C’est important pour moi de ne pas me cantonner à un public très instruit, comme je ne viens pas d’un tel milieu. Je veux qu’on puisse accéder à mon univers, qui fait quand même référence à des choses assez universelles. La dimension très visuelle d’une œuvre peut être critiquée par les puristes, mais moi je l’assume complètement. Et le message serait peut-être… de concentrer son regard sur la nature.

Tu es assez centrée sur l’aspect minéral de cette nature en l’occurrence.

Oui, parce qu’il y a une réflexion sur le temps aussi. Pour moi, le minéral, ça représente le passage du temps, quelque chose qui va durer.

Il y a autre chose qui évoque l’espace sur ton site, mais qui n’est en fait que des photocopies. 

(rires) En fait, j’ai mis un prisme dans mon scanner (ndlr : un petit objet optique en verre qui sert à séparer les couleurs du spectre lumineux) et j’ai scanné en super haute def’. On voit à la fois les défauts du scan – j’aime bien quand la technologie atteint ses limites – et il y a aussi la poussière sur ce morceau de verre qui produit aussi un bruit, qui peut faire penser à une imagerie spatiale.

Fine-art inkjet prints on RAG. 82 x 60 cm
Fine-art inkjet prints on RAG, 82 x 60 cm

J’ai vu que tu avais une photo sur la place du Panthéon avec le maître du verre et du néon, Olafur Eliasson. C’est un pote ?

(rires) J’aimerais bien dire que c’est un pote. On va dire que c’est un pote pour l’interview.

Non, en fait je l’ai croisé par hasard : je me promenais et je vois Olafur Eliasson quoi. En fait, il y avait son installation avec les icebergs devant le Panthéon, et il était là. Du coup je suis allée discuter. Sinon je connais pas mal de gens qui sont allés bosser dans son studio, beaucoup d’étudiants en art.

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Comment décrirais-tu le monde de l’art à quelqu’un qui ne le connaît pas ?

Je ne passe pas beaucoup de temps dans les vernissages en fait ! Le monde de l’art, ça me paraissait très inaccessible, et très mystérieux. Mais avec mes bonnes rencontres, j’ai l’impression d’échapper à sa partie mondaine que je n’aime pas, et que peu d’artistes aiment je pense. Mais on est un peu obligés de jouer le jeu. En tout cas, je pense qu’il faut démystifier un peu tout ça.

Il y a, toujours sur ton Instagram, une photo de Margaret Hamilton, la femme qui a dirigé le développement – et codé une bonne partie – du programme embarqué de la mission Apollo 11. En sciences, comme en art à haut niveau, on croise très peu de femmes. Toi qui touches un peu aux deux domaines, as-tu des choses à dire là-dessus ?

J’ai bon espoir que tout ça ne soit plus qu’un mauvais souvenir dans quelques années. Je veille à ne pas être passive, à ce qu’on ne me fasse pas de remarques macho, etc., comme ça peut arriver. Je vois bien qu’on n’y échappe pas, il y a toujours de grosses différences : encore aujourd’hui, il y a plus de mecs dans les expos, les programmations, les sélections, que de filles. Il y a beaucoup de moments à 90% masculins. Si on veut faire un bilan des plus médiatisés, on a Olafur Eliasson, Anish Kapoor…

Caroline Corbasson, Atelier - Instagram
Caroline Corbasson, atelier – Instagram

J’avais lu quelqu’un qui disait que tes sculptures étaient là pour enfermer quelqu’un dedans.

Ah oui (rires), c’est mon professeur d’histoire de l’art. Écoute, non, mais pour l’instant on peut manipuler toutes mes sculptures et passer à travers.

On a le droit de le faire, ça ?

On doit le faire, c’est le but ! C’est pour désacraliser la sculpture que j’utilise des socles le moins possible. Mes sculptures sont en mouvement, à même le sol bien souvent.

Donc le cercle en haut du cylindre, il bouge aussi ?

Oui, le cercle est en rotation. À l’intérieur, ça donne aussi l’impression d’être emporté par ce mouvement. Ça crée un vertige, ça donne l’impression que ça tombera sur la tête.

Ça rappelle un peu les vieux modules pour représenter l’espace.

Oui, les astrolabes et tout ça, exactement. En fait, je suis partie de l’idée d’un support de mappemonde qui serait vide, comme si le globe avait disparu.

For A Void, 2016 Acier / Steel 460 x 230 x 230 cm
For A Void, 2016
Acier
460 x 230 x 230 cm

Pourrais-tu présenter un panorama de tes inspirations ? 

Les hommes préhistoriques, l’art pariétal. Et mes artistes fétiches : Michael Heizer, Walter De Maria, James Turrell, mais aussi Nancy Holt, Lygia Clark, Robert Smithson, Alice Aycock (notamment sa pièce Sand/Fans de 1971). Je trouve aussi important de ne pas se cantonner aux « artistes » : j’aime bien aussi Léonard de Vinci, Athanasius Kircher…

Deux copies identiques d’un rare atlas des nuages datant de 1953 sont d’abord disséquées, puis fusionnées dans cette série de collages intitulée ATLAST. Chaque page mesurant 21 x 29,7 cm est assemblée avec sa jumelle.
Deux copies identiques d’un rare atlas des nuages datant de 1953 sont d’abord disséquées, puis fusionnées dans cette série de collages intitulée ATLAST.
Chaque page mesurant 21 x 29,7 cm est assemblée avec sa jumelle.

Et pour finir, si un jour on te propose de recréer l’intérieur du télescope Hubble dans le couloir de tapis roulants du métro Montparnasse, ça te dirait ?

(rires) T’as une super idée, fais-le !

***

Caroline Corbasson a un site ainsi qu’un Instagram tous deux très inspirants. Vous pouvez aussi la retrouver sur Facebook.

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